La "com" politique a-t-elle pris le pas sur l'action?

Empathie, consternation, regrets, espoirs... Comme précédemment dans d'autres dossiers, nos élus commentent largement le séisme qui frappe Caterpillar. Mais que pèsent encore les actions politiques face aux discours? Ripostes.

Entretiens : Thierry Boutte, Monique Baus & Baptiste Erpicum

Empathie, consternation, regrets, espoirs... Comme précédemment dans d'autres dossiers, nos élus commentent largement le séisme qui frappe Caterpillar. Mais que pèsent encore les actions politiques face aux discours?

Oui

Laurent Bazin, journaliste français. Co-auteur avec Alba Ventura du "bal des dézingueurs", éd. Flammarion.

" Aujourd’hui, pour nos ministres et élus, la communication semble primer sur l’action politique. Face aux inquiétudes des citoyens, les politiques répondent par des fenêtres de tirs médiatiques, des éléments de langage et de la mousse. Il y a danger pour la démocratie. "

Les réactions au sujet du séisme Caterpillar, les gesticulations sur le burkini ou le "grand bazar" autour de la sécurité renforcent le sentiment que les politiques communiquent davantage plutôt qu’ils n’agissent. Pourquoi avoir abordé ce thème dans votre livre ?

Parce que cette tendance s’est généralisée et qu’il y a un danger pour la démocratie. Il est frappant de voir combien, aujourd’hui, les hommes et femmes politiques sont indexés sur l’indice médiatique avec ses UBM (unités de bruit médiatique) et autres buzz. Etre vu, entendu ou lu par ses concitoyens mais plus encore par un cercle politique/économique/social restreint (ou son parti) est devenu un critère essentiel de la carrière d’un politique dans l’accession à des postes de responsabilité. Attention, je ne critique pas la communication. Faire savoir est aussi important que faire. Mais la politique doit primer et la communication rester un outil, pas une fin. Elle semble pourtant avoir pris le dessus. Les conseillers en communication qui accompagnent l’action politique décidée se transforment de plus en plus en conseillers en politique. Que les communicateurs présentent la politique, c’est normal. Mais quand ils se mettent à façonner la politique, il y a un problème. Dans le même ordre d’idées, les journalistes commentaient auparavant la politique. Aujourd’hui, ils commentent davantage la communication politique, ce fameux #COMPOL. Plus loin, l’émotion est la première chose qu’on apprend à un homme politique lors des sessions en gestion de communication. "D’abord compatissez", leur dit-on. Parce que l’empathie, c’est la proximité. C’est une clé pour entrer en lien puis concevoir et mettre en place des solutions collectives. Mais certains usent et abusent de l’émotion, faute d’agir. Mais la ficelle devient grosse.

A quoi attribuez-vous cette hypercommunication ?

Nous sommes dans une ère de communication tous terrains, accentuée par les réseaux sociaux. Cette conjonction des nouveaux moyens de communication et d’information produit une accélération du rythme politique, déjà sous pression en étant en campagne électorale continue. Occuper l’espace médiatique revient à occuper l’espace politique. C’est ce que pensent les politiques. Pas les citoyens qui ne sont pas aussi dupes et candides.

Quels risques pointez-vous ?

Celui de décrédibiliser la politique en n’en faisant qu’un objet médiatique. Souvenez-nous de la bulle Internet qui a explosé en mars 2000 parce qu’on s’était trop éloigné des fondamentaux de l’économie. Le danger aujourd’hui est qu’on n’est plus sur les fondamentaux de la politique. Dans ce système #COMPOL, il faut faire cliquer un maximum, il faut buzzer un maximum, il ne faut pas nécessairement agir un maximum. Ce fonctionnement un peu artificiel et en huis clos ne participe pas à réconcilier les citoyens avec le politique. Or, il y a urgence. Parce que face aux inquiétudes des citoyens, les politiques répondent par des fenêtres de tirs médiatiques, des éléments de langage et de la mousse. Les hommes et femmes politiques de qualité doivent se désintoxiquer, se reprendre et se reconcentrer sur l’action. A défaut, l’autoroute est grande ouverte pour les démagogues et populistes.

Non

Céline Fremault (CDH)

" De l’info service "

"Évidemment que la communication est essentielle" , réagit la ministre bruxelloise de l’Environnement. "Mais ma conception n’est certainement pas de faire de la com, de la com et encore de la com. Si je n’ai aucun levier, même si un sujet est abondamment traité, je ne m’exprimerai pas juste pour être visible." La communication doit rester au service de l’action politique et des citoyens, et ce n’est certainement pas elle qui guide l’agenda politique. "Ma cellule de communication n’est pas pléthorique et, en nombre, est beaucoup moins importante que les cellules fonctionnelles." Pour prendre un exemple concret, le cabinet Fremault planche justement sur sa communication concernant la zone de basse émission qui sera prochainement lancée pour améliorer la qualité de l’air des Bruxellois et filtrer les véhicules les plus polluants. "Là, on est purement dans l’info service. Il est vraiment essentiel de communiquer correctement lorsqu’on prend une mesure politique comme celle-là, pour éviter un effet anxiogène contre-productif et permettre aux citoyens de s’organiser en conséquence. Même chose avec la régionalisation du bail et le survol de Bruxelles qui demandent beaucoup de pédagogie."

Elio di Rupo (PS)

"D’abord des projets"

"L’action est à la base de la politique" , clame le président du PS. "D’ailleurs, lorsque les politiques ne font pas ce qu’ils ont promis de faire, vous, les journalistes, vous êtes les premiers à le signaler !" L’ex-Premier ministre rappelle que l’action politique est faite de centaines de décisions ou de projets qui ne font pas forcément la une des journaux : "Quand vous regardez l’ordre du jour d’un gouvernement ou d’un conseil communal, des dizaines de décisions sont prises, qui ne font pas l’objet d’une communication mais qui sont importantes pour les gens, comme par exemple un permis d’urbanisme pour la construction d’une maison ou le soutien à l’innovation sollicité par une entreprise". Quand on suggère que, dans les cabinets ministériels, la cellule "relations presse" occupe une place trop importante, M. Di Rupo rétorque qu’elle n’est pas au centre du jeu : "Il faut d’abord des idées, des projets, réunir les conditions de leur mise en œuvre et ensuite communiquer sur le travail effectué". Enfin, le président du Parti socialiste cite des actions concrètes menées par des membres de son parti, dont l’attribution d’une enveloppe d’1 450 000 euros pour mettre en œuvre des projets d’éducation des jeunes à la citoyenneté.

Patrick Dupriez (Ecolo)

" Pour valoriser "

Pour le coprésident d’Ecolo, il est clair qu’au niveau local, "il y a beaucoup d’hommes et de femmes qui s’engagent sincèrement et concrètement dans leurs mandats politiques" . Et si l’on n’a pas toujours vent du résultat de leurs actions, "c’est qu’ils sont victimes d’un système qui ne valorise pas assez l’espace qui est celui de l’engagement concret" . Ainsi, Patrick Dupriez évoque à demi-mot la responsabilité des journalistes : "I l est vrai qu’aujourd’hui, les petites phrases chocs, voire certaines situations problématiques créées de toutes pièces - par exemple, cette polémique ridicule sur le burkini -, occupent trop de place dans les médias, au détriment des réflexions approfondies."

Mais il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, insiste M. Dupriez : "Je préfère valoriser les projets concrets sur lesquels certains travaillent jour et nuit plutôt que de considérer qu’on peut balayer tous leurs efforts en disant que la politique, ce n’est que de la com’ et du cynisme. A cet égard, des membres d’Ecolo se battent pour imposer une alimentation plus saine dans les cantines. Or cela peut contribuer à changer la société."

Denis Ducarme (MR)

"Faire et faire savoir"

"Porter un projet, c’est à la fois du faire et du faire savoir. Les réformes et propositions de changements supposent à la fois une action et une communication." Et le député réformateur justifie : "La communication est un devoir. On est élus par le peuple, l’exercice de transparence et d’information est donc obligatoire". Surtout que les canaux de communication sont plus nombreux qu’avant. "La réflexion d’aujourd’hui doit englober les nouveaux supports qui demandent de communiquer plus vite et plus brièvement." Pour autant, le poids des communicateurs n’aurait pas augmenté au MR. "Depuis près de quinze ans que je suis au Parlement, je n’ai pas constaté de tels changements, non. Nous avons un porte-parole pour le groupe. Rien n’a changé, même s’il nous arrive de consulter des spécialistes sur des dossiers précis, mais c’est juste une question de dynamique." Et pas question de laisser entendre que les impératifs de com relèguent l’action au second plan ! "S’il n’y avait pas de fond, si on communiquait dans le vide, le citoyen s’en rendrait compte. Nous pouvons faire acte d’humilité mais pas d’impuissance. La critique de la communication politique, je l’ai déjà entendue il y a 25 ans. C’est un bon produit marketing justement. Ce livre se vendra !"


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