Le bouddhisme occidental, une religion pour bobos?

Neuf mille personnes ont écouté le Dalaï-Lama au Palais 12. Certains ont déboursé 490 euros pour assister aux trois jours de conférence à Bozar. Des bobos attirés par le côté exotique du bouddhisme? Ou les adeptes d’une spiritualité basée sur la compassion? Ripostes.

Entretiens: Baptiste Erpicum & Thierry Boutte
Le bouddhisme occidental, une religion pour bobos?
©AP

Septembre 2016. Neuf mille personnes ont écouté le Dalaï-Lama au Palais 12. Certains ont déboursé 490 euros pour assister aux trois jours de conférence à Bozar. Des bobos attirés par le côté exotique du bouddhisme? Ou les adeptes d’une spiritualité basée sur la compassion?

OUI

Marion Dapsance, docteur en anthropologie et auteure des "Dévots du bouddhisme", un livre à paraître ce jeudi 15 septembre aux Editions Max Milo.

" S’adressant à certains intellectuels avides de découvrir la "méditation", il y a beaucoup de livres et de centre d’enseignement qui présentent le bouddhisme comme une "philosophie", voire une "science de l’esprit". Il ne s’agit pourtant de rien d’autre qu’une religion. Après plusieurs mois d’enquête, j’ajouterais aussi que sa version occidentale connaît de nombreuses dérives. "

Après plusieurs années d’enquête, vous vous apprêtez à publier un livre détricotant les mythes que les Occidentaux ont projetés sur le bouddhisme. Ne serait-ce donc pas, comme on le dit si souvent, une sagesse laïque ?

Non, en effet. Il suffit de se rendre dans des centres bouddhistes, notamment d’obédience tibétaine, pour se rendre compte que le bouddhisme n’a pas grand-chose de "rationnel" ni de "laïc". Il y a des rituels très compliqués en tibétain, la notion d’enfer, une foi accordée aux lamas, les enseignants religieux, et des divinités auxquelles on récite des prières… Indubitablement, ce sont des pratiques et des concepts très éloignés de ce qu’on nous vend dans les livres.

Comment expliquez-vous un tel malentendu ?

Les Occidentaux ont découvert le bouddhisme dans des textes au XIXe siècle, forgeant une vision très intellectuelle de cette religion. Ils n’ont pas pris en compte les pratiques sociales, culturelles, liturgiques qui avaient cours en Asie. Au point qu’à une période où il était de bon ton de s’en prendre au clergé, on a fait du bouddhisme l’antithèse du christianisme, le cataloguant davantage au rang de "philosophie". Mais, en fait, c’est comme si des extraterrestres avaient découvert la religion catholique à partir des écrits du penseur Blaise Pascal, sans n’avoir jamais vu d’églises, n’avoir jamais assisté à aucune messe, aucune procession, aucune vénération de reliques… Avec pour résultat qu’aujourd’hui, nous héritons d’une vision tronquée du bouddhisme, qui a continué de se développer dans la littérature.

Vous voulez dire que depuis le XIXe siècle, peu de gens en Occident comprennent le bouddhisme, tel qu’on l’envisage en Asie ?

C’est-à-dire qu’il y a tout un tas de termes, de concepts et de réalités dans le bouddhisme, et en particulier dans le bouddhisme tibétain, qui sont totalement étrangers à notre propre culture. Pour nous, Occidentaux, c’est aussi très difficile d’intégrer qu’il n’y a pas d’âme, pas de personnalité aux choses et aux êtres, puis que le monde n’existe pas vraiment… Et c’est si compliqué qu’on a tout simplifié. On prend par exemple la méditation pour la panacée de cette religion. Or les bouddhistes asiatiques la pratiquent eux-mêmes assez peu. Au Tibet, c’est même une tâche que l’on assigne aux moines intellectuellement déficients ou illettrés. On leur dit : "Bon, toi qui n’es pas capable de faire des rituels ou de lire et écrire, mets-toi dans un coin, reste silencieux et surveille ton esprit."

Le succès du bouddhisme en Occident surfe-t-il dès lors sur un effet de mode ?

C’est bien sûr très exotique et c’est très original de pouvoir dire que l’on suit un maître tibétain. Cette religion attire particulièrement les intellectuels, parce qu’il y a une espèce de relativisme dans l’approche bouddhique, qui est très séduisante pour des personnes qui aiment tout questionner et "déconstruire". Pour le bouddhisme, le monde est une projection de l’esprit, il n’existe pas réellement. Cela séduit beaucoup ceux qui refusent ce qu’ils appellent "les dogmes", c’est-à-dire des énoncés clairs sur la vie.

En deux mots, c’est une religion réservée à une certaine partie de l’élite de la société, aux bobos ?

Très certainement.

Certains enseignants religieux en profiteraient-ils pour développer des business juteux ?

Tablant sur l’ignorance et la crédulité des gens, il y a certains lamas dont on pourrait dénoncer les abus. Je me suis particulièrement intéressée au cas de Sogyal Rinpoché, qui est le fils d’une famille d’aristocrates tibétains ruinés par l’invasion chinoise. Il n’avait pas de formation religieuse. Mais, sur les conseils de sa mère, il est parti en Europe "pour faire fortune". Et, aujourd’hui, grâce à sa stratégie marketing destinée à un public avide d’apprendre la "méditation", il gère de nombreux centres d’étude, il signe aussi plusieurs best-sellers, et brasse des millions d’euros. Pourtant, il commence ses enseignements avec plusieurs heures de retard, humilie ses disciples, et certaines femmes l’accusent de viol.

NON

Carlo Luyckx, président de l'Union Bouddhique Belge.

" Des gens simples n’ayant jamais été à l’école peuvent sans problème s’épanouir grâce au bouddhisme. Environ 100 000 personnes suivent la philosophie et la pratique bouddhistes en Belgique. Ce succès - en 40 ans - tient à la grande accessibilité à cette spiritualité, à son ouverture d’esprit et à sa tolérance. "

Le bouddhisme en Occident doit-il son succès au New Age, ce courant occidental qui favorise l’approche individuelle, éclectique et syncrétique de la spiritualité ?

Pour certains, attirés par le côté exotique, mystique et presque romantico-spirituel, c’est effectivement un phénomène de mode. Une fois partie la première couche de maquillage, ils se rendent toutefois compte que la méditation n’est pas si facile et n’arrivent pas à se confronter à eux-mêmes, à leurs qualités et défauts et passent leur chemin. Mais la grande majorité qui s’est investie dans le bouddhisme - ce qui demande effort, patience et persévérance -, reste et en tire tout le profit.

Contrairement aux autres religions traditionnelles, le bouddhisme d’ici - souvent zen ou tibétain - remplit les salles et se développe bien (un dernier centre à Beaumont). Est-ce parce qu’il paraît offrir une spiritualité dénuée de dogmatisme et de moralisme avec un travail centré sur soi ?

C’est d’abord parce que le bouddhisme est très accessible avec ses multiples angles d’entrée. On s’y intéresse autant d’un point de vue culturel, philosophique, intellectuel, émotionnel ou méditatif. La popularité du bouddhisme réside aussi dans son ouverture d’esprit et sa tolérance. Il n’y a pas de commandements, chacun est sa propre conscience. Des athées, des chrétiens, des musulmans ou des juifs peuvent venir dans nos temples et utiliser des méthodes bouddhistes pour pacifier leur esprit sans quitter leur propre cheminement.

Combien y a-t-il de bouddhistes en Belgique ?

Sur les 100 000 personnes qui suivent notre philosophie, entre 50 et 70 000 bouddhistes pratiquent tous les jours. 500 000 personnes sont entrées en contact et ont montré un intérêt (via un livre ou une conférence).

Les adeptes en Belgique ne sont-ils pas davantage issus d’une couche instruite, conscientisée et plutôt installée socio-économiquement ?

Non. Des gens simples n’ayant jamais été à l’école peuvent sans problème s’épanouir grâce au bouddhisme. Le prototype du bouddhiste occidental n’existe pas. Les textes tibétains disent que l’enseignement du Bouddha - le Dharma - est vaste comme un océan. Que l’on soit colérique ou orgueilleux : les chemins sont nombreux pour arriver au même objectif de sagesse et d’harmonie.

Le bouddhisme est-il compatible avec le monde occidental ?

Absolument. Il est né en Inde mais s’est développé dans une grande partie de l’Asie en incorporant des valeurs existantes sur place. En Chine ou à Sri Lanka, à Bali ou au Tibet, même le visage de Bouddha est différent au gré des cultures. Il ne prétend pas détenir le monopole de la sagesse. C’est la même chose en Occident.

On s’étonne des 490 € la place pour assister au colloque du Dalaï-Lama au Bozar de Bruxelles ou des tarifs élevés pour suivre des formations dans certains centres bouddhistes. Quel est le lien entre le bouddhisme tibétain et l’argent ?

Ce colloque de 3 jours avait aussi des tarifs adaptés aux étudiants (50€) et aux demandeurs d’emplois (150 €). Le Dalaï-Lama ne reçoit rien et les autres conférenciers uniquement leur voyage et hébergement. S’il y a des bénéfices, ils seront reversés à des œuvres caritatives. Pour le reste, l’enseignement du Bouddha ne se vend pas ! En Orient, la population a une tradition d’offrande aux monastères, tradition qui n’existe pas ici. Et comme nous avons des coûts dans nos centres, quand il existe une entrée, elle doit être minime. A Beaumont, la participation au centre est d’ailleurs libre. Mais nous ne sommes jamais à l’abri d’un Lama autoproclamé qui s’intéresse plus au portefeuille qu’au bien-être des adeptes.

Le bouddhisme sera-t-il bientôt reconnu officiellement et donc subsidié en Belgique ?

C’est imminent. La procédure a été lancée en 2006. L’article 181 de la Constitution qui l’organise comporte deux paragraphes. Le premier se rapporte aux cultes, le deuxième aux organisations philosophiques non confessionnelles où se retrouve la laïcité organisée. Le bouddhisme - où il n’existe pas de dieu créateur - devrait y être aussi. On aurait préféré un troisième paragraphe adapté au bouddhisme qui se veut un art de vivre, une sagesse, une spiritualité mais pas un service à une divinité.


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