Les locataires mauvais payeurs bientôt listés?
Le Syndicat national des propriétaires remonte au créneau avec une vieille idée. Les arriérés de loyers prennent beaucoup trop de poids, d'après les bailleurs. En cause, de mauvais payeurs récidivistes. Fichage à la Centrale des crédits envisagé. Ripostes.
Publié le 14-09-2016 à 10h04 - Mis à jour le 14-09-2016 à 10h21
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Le Syndicat national des propriétaires remonte au créneau avec une vieille idée. Les arriérés de loyers prennent beaucoup trop de poids, d'après les bailleurs. En cause, de mauvais payeurs récidivistes. Fichage à la Centrale des crédits envisagé.
POUR
Olivier Hamal, Président du Syndicat national des propriétaires.
"Il faut distinguer les personnes de bonne foi qui, cela peut arriver, ont des difficultés pour payer un loyer, et celles qui en font un vrai sport. C’est pourquoi un projet est sur les rails pour sanctionner la grivèlerie locative."
Pourquoi l’idée de lister les "mauvais locataires" revient-elle dans l’actualité ?
Parce qu’il devient intolérable que certains érigent le non-règlement de leurs loyers et charges en un véritable système qui leur permet de profiter au maximum des limites des procédures pour se maintenir dans les lieux le plus longtemps possible. C’est de l’abus de confiance, de l’escroquerie ! Il y a de très gros problèmes d’arriérés de loyer. Il faut évidemment faire la distinction entre des personnes de bonne foi qui, cela peut arriver, ont des difficultés pour payer un loyer, et d’autres qui en font un vrai sport. Ces dernières prennent des biens en location en sachant parfaitement qu’elles ne pourront pas payer le loyer et les charges. Et elles savent bien, aussi, qu’il faudra plusieurs semaines voire plusieurs mois au propriétaire (en fonction de ce qu’on fera durer les choses, en convoquant un avocat de façon parfois dilatoire, en invoquant des problèmes au niveau de l’immeuble qui n’existent pas ou autre), pour retrouver la possession de son bien. On est facilement parti pour trois à six mois. Et, pendant ce temps, elles ne paient pas. Voire changent d’adresse et vont profiter de quelqu’un d’autre.
Comment éviter cela ?
Une proposition de loi a été redéposée à la Chambre pour sanctionner la grivèlerie locative. Qui est visé ? Les personnes qui, de manière intentionnelle et répétitive, ne paient pas. Un propriétaire doit pouvoir les repérer parmi les candidats locataires de son bien. Il faut une incrimination pénale spécifique. D’autant que la grivèlerie est déjà sanctionnée sous forme de peine d’emprisonnement pour des faits commis dans l’Horeca (y compris l’hôtellerie) et la location de voiture ou l’approvisionnement en carburant. L’autre piste se rapproche de l’idée de liste et se trouve dans le programme du gouvernement de l’actuelle majorité fédérale. Dans le cadre de sa politique de lutte contre le surendettement, il est prévu que les arriérés de loyers soient inscrits à la Centrale des crédits aux particuliers.
En quoi l’inscription des personnes en dettes de loyer à la Centrale empêcherait-elle la récidive ?
Parce que le propriétaire pourra demander à son locataire de lui fournir un document de la Centrale des crédits attestant qu’il n’y est pas fiché. Le propriétaire ne pourra pas directement consulter cette liste ni obtenir aucune information. Ce sera au locataire de lui présenter le document.
Quel est l’état d’avancée de ce projet ?
Nous nous sommes manifestés cet été auprès du MR pour réclamer qu’il avance dans cette promesse. Comme je vous l’ai dit, c’était dans le programme du gouvernement et, pourtant, rien ne bouge. C’est aussi pour cela qu’on reparle de ce projet maintenant.
Ceci constitue donc bel et bien une sorte de liste noire. D’autres projets avancés par le passé mentionnaient la même idée de fichiers avec moins de garde-fous. Les avez-vous abandonnés ?
Nous trouvons anormal qu’aujourd’hui, on accepte pour toute une série d’autres créanciers, notamment en matière de téléphonie, l’existence de telles listes. Pourquoi pas pour les propriétaires alors ? Vous savez, il ne faut pas vouloir tout et son contraire au niveau du logement. D’un côté, dire que c’est une dépense majeure pour le locataire mais, de l’autre, que cela n’est pas important pour le propriétaire.
Comment qualifieriez-vous le parc des propriétaires relativement à leur(s) propriété(s) ?
En moyenne sur l’ensemble des propriétaires, la propriété concerne maximum trois à cinq biens. Mais il y a beaucoup de petits propriétaires pour lesquels il est évidemment essentiel de percevoir les loyers auxquels ils ont droit.
Sont-ils trop peu protégés aujourd’hui ?
C’est certain.
CONTRE
José Garcia, Secrétaire général du Syndicat des locataires.
"Il existe déjà des outils juridiques pour contraindre les locataires à payer leur loyer. La solution envisagée par le Syndicat des propriétaires est donc superflue. Sans compter qu’elle risque de faire pire que bien."
Le Syndicat national des propriétaires remet sur le tapis l’idée d’instaurer une liste noire comprenant les locataires mauvais payeurs. Qu’en dites-vous ?
On était déjà contre ce projet, on l’est toujours. Ce serait une attitude d’un autre âge qui consiste à traquer des personnes sans se demander pourquoi elles ont du mal à payer leur loyer, voire ne le peuvent pas. Or, si l’on prend la peine d’analyser la réalité, on se rend compte qu’ici en Belgique, le véritable problème, ce sont les loyers qui sont disproportionnés par rapport aux revenus d’une grande partie de la population. Aussi, faudrait-il plutôt envisager des moyens d’aider les plus démunis pour qu’ils puissent se payer un toit, plutôt que de mettre en place un système où certains se verraient interdits d’occuper un logement.
Le Syndicat national des propriétaires pointe cependant des abus, affirmant qu’il y a de plus en plus de gens qui arnaquent les bailleurs en passant d’un logement à l’autre. Une problématique que vous niez ?
Selon moi, c’est tout à fait faux. Je ne dis pas qu’il n’y a pas l’un ou l’autre malfrat qui déménage d’un domicile à l’autre pour se soustraire au paiement de ses loyers en retard, mais la majorité des familles normales, et même des plus pauvres d’entre elles, ne s’amuse pas à passer de nid en nid en laissant des ardoises chargées. Prétendre le contraire, c’est de l’invention pure et simple. Ce qu’il se passe, sans doute, c’est que le Syndicat des propriétaires accepte mal le fait qu’actuellement la loi interdise aux bailleurs de demander à à leurs locataires certaines preuves de paiement de précédents loyers, alors que c’est souvent l’usage.
Mais, s’il existe tout de même quelques malfrats qui ne paient pas leurs loyers, la solution envisagée par le Syndicat des propriétaires ne serait-elle pas d’une certaine manière utile ?
Non, il existe déjà des outils juridiques auxquels on peut recourir pour poursuivre et faire condamner un locataire mauvais payeur. La solution envisagée par le Syndicat des propriétaires est donc superflue. Mais, en plus, elle raterait son objectif. Car ce ne serait pas les malfrats qui en pâtiraient, mais bien, comme je vous l’ai déjà dit, les locataires de bonne foi qui sont dans l’impossibilité de payer. Or il ne faut pas, me semble-t-il, légiférer à tout va et n’importe comment pour s’attaquer à quelques personnes mal intentionnées et, au final, faire des misères à tous les autres gens. Sans compter que la Commission sur la protection de la vie privée a également émis de nettes réserves par rapport à ce projet d’une liste noire comprenant les locataires mauvais payeurs.
Selon vous, le Syndicat des propriétaires sous-estime la bonne volonté des locataires ?
Franchement, ils crient à la grande arnaque, mais ils devraient donner des chiffres. Combien de locataires sont-ils vraiment en retard de paiement ? Je me le demande. En tous les cas, à mes yeux, les propriétaires devraient déjà s’estimer heureux…
Et pourquoi ça ?
A mes yeux, ils ont souvent de la chance de récupérer leurs loyers. Car je peux témoigner que de nombreux locataires économisent sur la nourriture, sur les soins de santé, sur les loisirs, ne partent pas en vacances, afin de régler leur dette. Et ce n’est pas si simple quand vous savez que bon nombre de locataires dépensent 60 % de leurs revenus pour se loger.
On en revient à votre point de départ : il faudrait adapter les loyers aux revenus de la population.
Oui, pour notre part, nous ne demandons pas qu’il y ait une liste noire pour les bailleurs qui louent des taudis. Avec l’arsenal juridique actuel, c’est possible, même si c’est difficile, qu’on combatte ce fléau.
Des arnaques qui pourrissent le secteur: "Il y a de plus en plus d’histoires de ce genre"
Guillaume Pinte est administrateur-délégué de l’agence immobilière L’Office des propriétaires (active notamment dans la gestion de patrimoine immobilier et la location de biens à Bruxelles). "Même si elles ne sont pas la majorité, j’entends beaucoup d’histoires de ce genre : des gens louent un appartement en sachant que, d’ici 7, 8 mois, ou un an, ils seront expulsés. Entre-temps, ils auront loué un autre logement, etc. Et ils passent ainsi d’un logement à un autre." Et d’ajouter : "Je trouve normal que les propriétaires cherchent à se protéger." Pour le professionnel, tout le problème de la protection à mettre en place concerne qui a l’autorisation d’inscrire quelqu’un sur une liste comme étant volontairement défaillant. "Ce doit être une autorité impartiale. Une décision de justice de paix pourrait être un critère d’inscription." La situation a-t-elle tendance à empirer ? "Elle devient intenable pour certains. Avant, l’arnaque était anecdotique. Ce n’est plus le cas. Et même les propriétaires qui obtiennent raison en justice de paix ont du mal à récupérer l’argent qui leur est dû et finissent parfois par abandonner." Evoquant la difficulté d’être prudent dans l’état actuel des choses, il suggère : " La bonne idée serait d’instaurer le dossier de location comme en France. Là, au moins, tout est officiellement vérifié alors que chez nous toute recherche de renseignement reste interdite."
Témoigage d'un propriétaire bruxellois
Une première fois il y a plusieurs années, puis une seconde fois l’année passée, ses locataires en défaut de paiement ont été invités à quitter le bien, puis été déclarés insolvables dans la foulée.
" Je suis très sensible aux problèmes que connaissent certaines familles pour se loger. J’y prête attention lors de mes choix, et je ne voudrais pas que ceux-ci empirent du fait d’une réglementation exagérée. Néanmoins, victime par deux fois de locataires indélicats qui laissent une ardoise irrécupérable de plusieurs milliers d’euros, je considère que les propriétaires sont trop peu protégés aujourd’hui. Comment trouver la juste mesure ? "