Faut-il sauver tous les chats?

Une campagne vient d'être lancée en Wallonie pour encourager l'adoption des chats dans les refuges. Aujourd'hui, un félin recueilli sur deux doit y être euthanasié. Mais l'engouement n'est pas partagé par tout le monde pour cette espèce que certains jugent "invasive". Ripostes.

Entretien : Monique Baus
Faut-il sauver tous les chats?
©Ghost Présenter/Pexels

Une campagne vient d'être lancée en Wallonie pour encourager l'adoption des chats dans les refuges. Aujourd'hui, un félin recueilli sur deux doit y être euthanasié. Mais l'engouement n'est pas partagé par tout le monde pour cette espèce que certains jugent "invasive".

Oui

Daisy Olexak, propriétaire du refuge "Les Chats oubliés".

" Tout cassés ou tout moches, malades ou impossibles à placer, je récupère tous les chats. Chaque animal sauvé est une victoire.Par respect pour la vie, j’ai toujours dit que je n’euthanasierais jamais. Il faut lutter contre la prolifération des chats, oui, mais pas comme cela.Aujourd’hui, j’en accueille 102 chez moi. Même si vous pouvez imaginer que c’est difficile, je ne changerais de vie pour rien au monde."

Sur le blog de votre refuge "Les Chats oubliés", on peut lire que, depuis quatorze ans, vous recueillez, soignez et nourrissez tous les chats oubliés. Pourquoi ?

Un jour, ma route a croisé celle de chats de rue sur un parking. Ils avaient été abandonnés et s’étaient multipliés là. J’ai eu comme un déclic. Je voulais absolument faire quelque chose de ma vie, avoir un but. Je l’ai trouvé ce jour-là. Je travaillais à Bruxelles dans le secteur de l’enfance. J’adore toujours les enfants mais j’ai tout laissé pour créer mon association. Je m’occupe essentiellement de chats de rue dont une grande partie sont inapprochables et, donc, impossibles à placer. Certains sont malades, comme ce chaton que j’ai encore recueilli il y a trois jours. On l’avait jeté dans la rue avec un gros coriza. En SPA, il n’aurait eu aucune chance : il aurait été euthanasié, c’est certain. Chaque vie sauvée est une victoire. Même tout cassés et tout moches, je récupère tous les chats et vous ne pouvez pas imaginer l’amour qu’ils me donnent !

Combien avez-vous aujourd’hui de félins ?

Compte tenu de l’espace dont je dispose, je peux aller jusqu’à 120 chats. En plus des chiens, chèvres et chevaux, j’en ai 102, dont je m’occupe avec l’aide d’un bénévole.

Pourquoi est-ce important de les sauver tous, alors que tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut faire quelque chose contre leur prolifération ?

Par respect de la vie. J’ai toujours dit que je n’euthanasierais jamais. Jamais ! Je suis absolument contre. J’estime que ce ne sont pas les chats mais bien les gens qui doivent être punis. Quand ils viennent déposer des chatons en SPA, on devrait leur faire la morale au lieu de leur dire que les petites bêtes vont être placées, alors qu’on sait bien qu’elles seront euthanasiées ! Les chiffres qui circulent sont bien en dessous de la vérité. Il y a tellement d’abandons que tous les chatons, en tout cas, y passent. Je comprends les SPA qui n’ont pas le choix mais il faut absolument responsabiliser les gens.

Quelle est la solution ?

Il faut faire stériliser les chats et les identifier. Et pas à deux mois, comme les refuges sont aujourd’hui obligés de le faire avant de pouvoir placer l’animal, ce qui n’a aucun sens ! Les vétérinaires ne veulent pas le faire car des chatons de cet âge sont bien trop petits ! Pour ma part, je fais stériliser les chats à six mois. C’est ça, le bon âge. Le problème c’est qu’il est plus compliqué de les placer après, parce que les gens veulent absolument un tout petit… Dont certains se débarrasseront quand il aura grandi ! Savez-vous que plus de 10 000 chats sont euthanasiés chaque année en Belgique ? C’est énorme. J’habite dans une des zones les plus défavorisées de Belgique et je vois des choses pas faciles. Encore la semaine passée, on a jeté dans mon jardin une caisse avec neuf chatons. La première chose que j’ai pensée, c’était mais où sont les mamans ? Toujours dans la nature, elles vont se reproduire encore et encore. C’est une véritable catastrophe ! C’est la raison pour laquelle je travaille également à capturer les chats errants avec une cage-piège et à les stériliser avant de les remettre sur leur territoire, les placer ou les garder ici.

Mais comment vous en sortez-vous financièrement ?

C’est très difficile. Je ne touche ni chômage ni CPAS mais j’ai la chance d’avoir une grande propriété avec un grand terrain. Rien que pour la nourriture, le budget est quand même d’environ 2 000 euros par mois. Il y a aussi tous les frais médicaux. Heureusement, il y a des personnes qui m’aident un peu… J’ai quelques donateurs. On me prend parfois pour une folle parce que tous les jours, de 6h30 à 20h30, je m’occupe des animaux. Et il arrive que j’ai affaire avec des gens agressifs voire menaçants. Ce n’est pas un travail mais une passion, un amour.

Les chats sont plus importants que d’autres causes ?

J’ai travaillé avec des enfants pendant longtemps et je ferais n’importe quoi pour eux. Seulement, il y a quatorze ans, il n’existait rien pour les chats de rue. Il fallait faire quelque chose. Chacun ses choix. Je ne changerais de vie pour rien au monde.

Non

Antoine Derouaux, ornithologue chez Aves-Natagora.

" Je déplore bien sûr qu’on doive euthanasier un chat abandonné sur deux, mais c’est préférable au fait de les relâcher dans la nature ou de les confier à n’importe qui, au risque de les voir proliférer. N’oublions pas que les chats tuent des millions d’oiseaux, de petits mammifères et de reptiles, dans un écosystème qui est déjà souvent précaire. "

Les refuges pour animaux sont souvent débordés. Faute de pouvoir trouver de nouveaux maîtres aux nombreux chats recueillis, près de la moitié d’entre eux sont euthanasiés. Ne pourrait-on pas plutôt leur rendre la liberté ?

Non, il n’est pas question de relâcher ces petits félins dans la nature. Car pour survivre, ils chasseraient des oiseaux, des petits mammifères, des reptiles et des amphibiens au point de menacer l’écosystème. Je déplore bien sûr qu’on doive euthanasier un chat sur deux qui se retrouve en refuge, mais non, on ne peut pas tous les sauver. La solution, pour nous, ce serait davantage de prendre le problème à la base et d’encourager les gens à stériliser leur animal domestique. A ce titre, je me réjouis qu’un arrêté royal devrait rendre obligatoire la stérilisation de tous les chats domestiques, à l’exception de ceux destinés à l’élevage, d’ici le printemps 2017.

Les chats sont-ils considérés comme une "espèce invasive" ?

En Belgique, nous ne disposons pas de chiffres précis concernant l’impact des chats et leur prédation sur la survie des petits animaux. Mais on peut se baser sur des études qui ont été faites en Angleterre, en Suisse, etc. Ce sont des études basées sur le butin de chasse que ramènent à la maison, et pendant un certain temps, les chats domestiques. Au final, on peut approximativement calculer que ces petits félins tuent entre autres des millions d’oiseaux chaque année. Un chiffre qui serait encore bien plus énorme si l’on relâchait tous les chats abandonnés qui se retrouvent dans des refuges.

Vous voulez dire que les chats domestiques chassent aussi ?

Oui les chats font partie des rares animaux qui ne chassent pas seulement pour se nourrir, mais aussi pour s’exercer, voire par "jeu". Cependant, les chats domestiques vivent le plus souvent en intérieur, ils ont aussi leur ration quotidienne de nourriture, en pâtée ou en croquettes. Ils tuent donc moins de petits animaux que les chats sauvages.

Sachant cela, est-ce qu’actuellement, les chats représentent une menace pour l’écosystème ?

Selon les études sur les populations d’oiseaux, ceux qui sont le plus souvent capturés par les chats - les mésanges, les moineaux… - ne semblent pas en voie de disparition. Il y a même des populations qui sont en augmentation. Cela s’explique sans doute par le fait que ce sont des espèces qui ont un fort taux de reproduction et dont la majorité des nouveaux nés ne survit de toute façon pas jusqu’à l’âge adulte. Donc, par exemple, beaucoup des jeunes mésanges et de moineaux tués par les chats seraient quand bien même morts d’autres choses : de famine, de maladie…

Pas de quoi tirer la sonnette d’alarme donc ?

Non, même s’il est vrai que localement, dans certaines agglomérations où il y a une forte concentration de chats, là où par exemple on dénombre plus de 100 chats au km², on constate parfois la disparition de toute une population d’oiseaux. Dont des villages où l’on ne retrouve par exemple plus beaucoup de moineaux, voire plus du tout. Mais, au niveau global, l’impact des chats et leur prédation semble tout de même limité.

Que conseillez-vous dès lors à ceux qui ont des chats pour qu’ils continuent d’entendre le gazouillis des oiseaux à leurs fenêtres ?

On ne va pas interdire aux gens d’avoir des chats, mais on va leur conseiller de faire quelques aménagements pour circonscrire leur prédation. Tout d’abord, ils peuvent leur mettre au cou un collier avec une clochette, pour alerter les oiseaux de leur venue. Ensuite, il s’agit d’aménager des zones de son jardin où les petits animaux peuvent aller se réfugier : des buissons épineux bien touffus comme des aubépines, des prunelliers, des berbéris, ou des petits tas de bois. Enfin, si on a un nichoir, il faut le rendre inaccessible aux chats en protégeant le tronc sur lequel il est installé ou en le mettant sur une façade.


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