L'orthographe, c'est ringard?
A l'affiche en ce moment, deux enseignants abordent les difficultés de l'orthographe sur scène. Ils dénoncent plein d'absurdités qu'il faudrait, d'après eux, rectifier. Mais, pour les amoureux du français, c'est aussi ce qui fait le sel de la langue. Ripostes.
Publié le 30-09-2016 à 11h33
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A l'affiche en ce moment, deux enseignants abordent les difficultés de l'orthographe sur scène. Ils dénoncent plein d'absurdités qu'il faudrait, d'après eux, rectifier. Mais, pour les amoureux du français, c'est aussi ce qui fait le sel de la langue.
Oui
Jérome Piron, professeur de religion, auteur et metteur en scène avec Arnaud Hoedt, du spectacle "La Convivialité", au Théatre National jusqu'au 15 octobre.
" L’orthographe est un outil technique qu’on déguise en objet de prestige, on va jusqu’à appeler ses absurdités des subtilités. Elle est devenue un dogme et la liste de ses absurdités est longue, il faut la rationaliser. Une réforme permettrait d’acquérir et d’utiliser cet outil avec intelligence et moins de par cœur."
Avec Arnaud Hoedt, vous écrivez que vous ne voulez pas être "les curés de l’orthographe". L’orthographe est-elle un dogme ?
Oui, il y a un côté dogmatique parce que les gens défendent quelque chose sans en connaître les raisons. Ils sont par exemple attachés à l’accord du participe passé ou du -x- au pluriel tout en ignorant les origines. L’unanimité, la ferveur et l’absence de connaissances des causes : ces trois ingrédients d’ordre dogmatique m’ont toujours frappé.
Qui impose ce dogme ?
Principalement la France. Des facteurs comme la centralisation parisienne ou la culture profondément littéraire et donc attachée à la langue comme à un patrimoine à un niveau plus profond que dans d’autres pays expliquent cette défense de l’orthographe de manière viscérale. Il y a aussi une confusion entre la langue et l’orthographe qui est un simple outil au service de la langue, pas le contraire. Un de mes professeurs à l’université disait que la France était un des seuls pays où les hommes politiques auraient préféré être écrivains.
Aujourd’hui, nous serions asservis à un outil ?
La fonction de l’orthographe est de retranscrire la langue orale qui prédomine de loin sur l’écrit (on parle beaucoup plus qu’on écrit). L’orthographe n’est donc qu’une partie de l’écriture, moins porteuse de sens comparée à la syntaxe, par exemple. Elle sert aussi à faciliter la lecture. Sauf qu’on charge l’orthographe d’autres fonctions, comme la sélection sociale. On a une orthographe que personne ne peut maîtriser parfaitement et qui pose systématiquement problème. Si on y réfléchit, c’est aberrant car cet outil doit servir à nous exprimer, à transmettre nos pensées. Aujourd’hui, hélas, c’est un capital culturel qu’on acquiert dans la douleur et dont on a du mal à relativiser la valeur.
Dans votre spectacle, "La Convivialité", vous expliquez que la norme est arbitraire. Les "conservateurs" défendent des absurdités ?
Oui, par exemple le mot style . Beaucoup de gens sont attachés aux marques grecques dans les mots, le ph , le th , le y . Si on devait appliquer cette idée de défense du patrimoine, on devrait écrire style avec un -i- étant donné qu’il vient du latin et pas du grec. On a perpétué cette erreur parce qu’un jour il a été écrit ainsi dans un dictionnaire et c’est resté. L’orthographe est aussi un très bon outil pour rendre les élèves dociles. C’est la matière par excellence où il n’y a pas d’explication, où règne le "parce que". Aujourd’hui, l’école a bien évolué mais elle s’est construite au XIXe siècle autour de l’orthographe. Il existe des écrits de Jules Ferry, au moment où l’école devient obligatoire et gratuite, où il s’inquiète ouvertement de "l’orthographisme" soit la place démesurée que prend l’orthographe dans l’enseignement.
La dictée et la sanction de la faute, ce n’est pas une bonne idée ?
Il est intéressant de remarquer que le mot faute vient du vocabulaire religieux. Cela conditionne un rapport à la langue en général. On est tous inégaux face à l’orthographe parce que les cerveaux ont des manières différentes de fonctionner, certains ont une mémoire visuelle et sont favorisés, d’autres auditive. C’est étonnant de voir comment on fait de l’orthographe la preuve d’un effort et du mérite alors que c’est faux. C’est dommage de se comparer sur cette question, je préférerais que le mérite soit lié à des choses intelligentes.
Que faire ? Mettre en œuvre les réformes ?
Oui, ou en créer une nouvelle en tirant les leçons des échecs. Je plaiderais pour suivre l’usage. Plus personne n’accorde le participe passé à l’oral, rendons-le invariable ! Cela correspondrait à la réalité. Une réforme permet de rationaliser et apporte de la cohérence. Pour la promouvoir, il faut mettre en avant les valeurs car ceux qui s’opposent à la simplification - qui n’est absolument pas un nivellement par le bas - le font avec des valeurs. On attaque le patrimoine, on va faire moins d’efforts… Ce sont des idées sur lesquelles tout le monde s’accorde, qui va les critiquer ? Une rationalisation permettrait de développer plus d’intelligence dans l’utilisation, moins de par cœur. Les enjeux sont aussi démocratiques et sociaux.
Non
Sandrine Campese, coach en orthographe, contributrice au Projet Voltaire & auteure de livres sur la langue française.
" Le succès des livres sur la langue française et des dictées que j’organise, parfois dans des cafés, montrent bien qu’il y a un réel intérêt de la part d’un large public pour l’orthographe. C’est que celle-ci nous éclaire souvent sur le sens des mots et des expressions qu’on utilise. Sans compter qu’elle dévoile qui nous sommes et ce que nous avons à dire. "
Vous êtes entre autres coach en orthographe, en quoi cela consiste-t-il ?
J’organise des dictées, je remets des personnes à niveau, et je donne des formations. Ce matin, par exemple, je me suis rendue au siège d’une grande banque pour intéresser les salariés à l’orthographe et au bon usage de certaines expressions.
Ils ne sont pas morts d’ennui ?
Au contraire, je crois que cela leur a plu. Vous savez, il y a beaucoup de façons d’aborder l’orthographe et, personnellement, j’essaie de la rendre la plus accessible possible de façon ludique, en dédramatisant. Il s’agit de ne pas traiter la langue en ennemie.
Tout de même, ne faut-il pas apprendre la plupart des règles orthographiques par cœur ?
Si la grammaire demande de la logique, pour retenir l’orthographe lexicale des mots, il faut effectivement les photographier dans sa mémoire. A ce titre, dans deux de mes livres (dont le dernier vient de paraître : "99 nouveaux dessins pour ne plus faire de fautes"), je propose des images pour que cela se fasse sans effort, ou presque. On peut ainsi visualiser les deux "l" d’une ballade musicale grâce aux deux ouïes d’un violoncelle et l’unique "l" d’une balade à pied grâce aux aiguilles d’une boussole, à angle droit…
A vous entendre, l’apprentissage et l’exercice de l’orthographe deviendrait "fun"…
Bien sûr, d’ailleurs les livres sur la langue française ont beaucoup de succès et, à la sortie des dictées que j’organise, parfois dans des cafés, les gens paraissent ravis.
Ecrire correctement sert-il à étaler sa maîtrise et son talent ?
Non, l’orthographe est importante à plus d’un titre : d’une part, elle montre qui nous sommes et, d’autre part, elle est très utile pour bien se faire comprendre. Voici deux exemples de la vie quotidienne : vous avez sans doute déjà reçu des courriers de ce genre, dans votre boîte aux lettres ou votre boîte mail - il s’agit le plus généralement d’un appel au don ou bien d’une invitation à communiquer vos coordonnées bancaires. Le courrier est frappé du sceau d’une institution connue, et tout paraît très officiel. Seulement, le texte est bourré de fautes d’orthographe. Ce qui vous met la puce à l’oreille, jusqu’à ce que vous vous rendiez compte que c’est une arnaque. Imaginez ensuite que vous vous rendez chez le cordonnier, pour y déposer des chaussures à réparer. Vous réglez d’avance, mais la personne qui le note dans le carnet des comptes de l’entreprise écrit "à payer" au lieu de "a payé". Une semaine plus tard, alors que vous revenez chercher vos chaussures, pas de chance, c’est une autre personne derrière le comptoir. Il se peut alors que celle-ci vous demande de régler une nouvelle fois le coût de la réparation de vos souliers, puisque la somme due semble encore "à payer", ou du moins c’est ce qui est inscrit… Donc, vous le voyez, le problème en l’occurrence, c’est que les accords des participes passés peuvent influer sur le sens de la phrase et que cela peut même vous coûter de l’argent.
Certes, selon ce que vous dites, l’orthographe apparaît comme un outil. Mais ne peut-on pas pointer des aberrations dans la manière d’écrire certains mots ?
Je ne peux qu’en convenir. Il y a des anomalies dans l’orthographe de la langue française. Est-ce qu’on pourrait les supprimer ? Pourquoi pas. Mais après, la question, c’est jusqu’où simplifier ? D’une part, les exceptions font le sel des dictées. D’autre part, le fait d’orthographier de telle ou telle manière certaines expressions en éclaire le sens. Si l’on n’écrit plus "au temps pour moi", mais "autant pour moi", on perd par exemple la notion de temporalité, indiquant qu’on aimerait bien revenir quelques instants en arrière.
Alors vous, vous êtes vraiment une amoureuse de la langue française !
C’est que je suis très curieuse et le français, pour moi, c’est une source inépuisable d’apprentissage. Il me faudrait en effet bien plus d’une vie pour connaître tous les mots du dictionnaire, leur définition et leur étymologie. C’est fascinant. Je viens d’ailleurs de m’acheter un dictionnaire de l’ancien français et un exemplaire du Petit Nicolas en latin, avec l’envie de me plonger dedans.