Un label de qualité sur les rails pour les kinés?
D'après Test-Achats, la qualité des soins de kiné doit être mieux contrôlée. Son enquête cite en exemple le premier Registre de qualité lancé en 2012. Mais certains francophones crient au scandale. Pour eux, il s'agit d'un projet pro-flamand déjà tombé à l'eau. Ripostes.
Publié le 06-10-2016 à 09h59
D'après Test-Achats, la qualité des soins de kiné doit être mieux contrôlée. Son enquête cite en exemple le premier Registre de qualité lancé en 2012. Mais certains francophones crient au scandale. Pour eux, il s'agit d'un projet pro-flamand déjà tombé à l'eau.
Oui
Julie Frère, porte-parole de Test-Achats.
" Suite aux résultats alarmants de notre enquête auprès de trente kinés, nous nous réjouissons que les autorités développent des directives pour encadrer cette pratique et nous saluons l’initiative de Pro-Q-Kiné créant un Registre national de qualité. Cependant, pour nous, cela ne va pas encore assez loin. Il faut rendre la formation permanente obligatoire et évaluer la pratique de tous les kinés."
Pourquoi avez-vous entrepris de mener une enquête incognito auprès de kinésithérapeutes ?
Cela fait partie de l’ADN de Test-Achats. Nous faisons régulièrement des "mystery shopping" pour voir concrètement comment cela se passe dans le quotidien des consommateurs, mais nous testons aussi les services et les soins de santé à destination des patients. Dernièrement, nous avions déjà mené des investigations auprès des pharmaciens et des médecins. S’intéresser aux kinésithérapeutes relevait simplement de la suite logique de notre démarche.
Quelle est la conclusion de cette dernière enquête sur les kinés ?
Deux expertes se sont rendues chez trente kinés en expliquant avoir une douleur persistante au niveau de la nuque. Dans la plupart des cabinets, les patientes n’ont pas été suffisamment interrogées et ont reçu des traitements très divers pour la même douleur avec une méthode de traitement adéquate dans 1 cas sur 5. L’enquête incognito de Test-Achats doit donc déboucher sur un contrôle nécessaire de la qualité dans ce secteur.
Mais est-ce que ce panel de kinés choisis pour votre enquête reflète bien la réalité du paysage belge ?
La sélection des kinés a eu lieu de manière aléatoire, comprenant aussi bien des francophones que des néerlandophones, principalement en Flandre et en Wallonie et de manière très limitée à Bruxelles. Ainsi, nous convenons que notre enquête n’est peut-être pas basée sur un échantillonnage représentatif. Cependant, il s’agit d’une photographie d’un instant précis : un signal que quelque chose ne va pas. Comme nous le constatons d’ailleurs également chez les médecins, pharmaciens, etc. Ce qui rend la question complexe chez les kinés, c’est qu’il y a très peu de directives scientifiques qui encadrent leur pratique. On peut penser que, vu qu’aucune formation permanente n’est obligatoire, beaucoup de ces professionnels de la santé ne sont pas au courant des dernières évolutions scientifiques.
Avez-vous relevé d’autres problèmes, notamment en termes de transparence ?
Les kinés conventionnés sont censés respecter certains tarifs. Or, lors de notre enquête, ils sont plusieurs à n’avoir pas respecté leur engagement. C’est inacceptable. D’autres kinés ne sont pas conventionnés, et peuvent donc facturer des suppléments au tarif officiel, mais doivent obligatoirement le renseigner dans la salle d’attente. Ce qui ne semble pas toujours être le cas non plus. De plus, nous estimons que le statut des kinés devrait être affiché à l’extérieur du bâtiment et sur le site web du kiné le cas échéant. A toutes fins utiles, je rappelle aux patients qu’il existe toujours la possibilité de rechercher le statut de leur médecin-kiné sur le site des mutualités ou sur le site de l’Inami.
Face à l’absence de contrôle de qualité de la pratique de la kiné, quelles solutions défendez-vous ?
Test-Achats se réjouit que les autorités aient mis la qualité des soins kinésithérapeutiques à l’agenda, en vue du financement du développement de directives. Nous saluons également l’initiative de l’ASBL Pro-Q-Kiné, qui tend à créer un Registre national de qualité. Mais pour nous, cela ne va pas encore assez loin. Il s’agirait de rendre obligatoire la formation permanente de ces professionnels de la santé et de mettre en place des instruments de mesure généralisés de la qualité des soins.
Le communiqué détaillant votre enquête présente le label de qualité de l’ASBL Pro-Q-Kiné comme un exemple. Certains trouvent cependant que cette initiative favorise les Flamands.
Notre rôle, c’est de contrôler comment cela se passe sur le terrain, de soulever les problèmes et, enfin, de lancer des réflexions en vue de trouver des solutions. Si nous parlons, effectivement, de l’initiative de Pro-Q-Kiné, nous lui reconnaissons aussi certaines lacunes : elle ne rend pas la formation permanente des kinés obligatoire et les indicateurs de la qualité des soins sont réservés aux professionnels qui demandent à faire partie de leur Registre national de qualité. Or il faudrait pouvoir évaluer la pratique de tous les kinés.
Non
Didier Leva, président de l'Union des kinésithérapeutes francophones et germanophones.
" La tentative de Registre national de qualité lancée en 2012 que Test-Achats présente comme une bonne idée est un grand flop. C’est un système de copinage. Tout est fait pour ne reconnaître qu’un modèle unique ne représentant qu’une partie de la profession, surtout néerlandophone. Quant à l’enquête présentée, je doute de sa méthodologie. N’est-on pas juste aller chercher ce qu’on voulait trouver? "
Etes-vous opposé à des contrôles supplémentaires pour vérifier la qualité du travail des kinés ?
Le problème, c’est qu’en Belgique, la profession de kinésithérapeute est étouffée par un tas de lobbys (les mutuelles, la médecine physique, les institutions, les politiques) et qu’il est inconcevable que le système de contrôles soit organisé autrement que par les kinés eux-mêmes. L’ensemble des kinés, je veux dire. C’est l’idée d’un Ordre des kinés que nous défendons depuis longtemps. Aujourd’hui, certains kinés sont affiliés à une union professionnelle, ce qui n’est pas obligatoire. Et les kinés indépendants ne sont pas représentés.
Test-Achats mentionne un système de contrôle qui existe déjà : le Registre de Qualité organisé par l’ASBL Pro-Q-Kine. Vous n’adhérez pas ?
Certainement pas ! Cette association représente Axxon, la grosse association professionnelle de kinés en Belgique, en énorme majorité flamande. La politique qu’elle veut mettre en place est inspirée par ce qui se passe aux Pays-Bas. Elle veut favoriser le lobby universitaire (attention : je n’ai rien contre la recherche, qui est fort importante aussi, mais pourquoi prôner seulement des formations à l’université et pas les autres ?) mais ne prend pas du tout en compte ce qui se passe en première ligne, dans les cabinets indépendants francophones. C’est scandaleux ! Il faut savoir que côté francophone, les kinés sont plus individualistes, on ne connaît pas la même tendance qu’au Nord du pays à se regrouper en gros cabinets.
Combien de membres compte Axxon et combien êtes-vous dans votre Union ?
Axxon représente environ 400 kinés francophones et plusieurs milliers de Flamands. Quant à l’Union des kinés francophones et germanophones, elle compte un millier de professionnels, surtout francophones.
Mais que viennent faire les différences communautaires ici ? Un kiné c’est un kiné et un patient, un patient, non ?
Sans doute… Mais Axxon entend privilégier les grosses structures telles qu’il en existe beaucoup en Flandre et leur façon de fonctionner.
Les intérêts des patients sont loin de ce type de préoccupations… Un Registre de Qualité, par contre, pourrait les servir. En quoi celui de l’ASBL Pro-Q-Kine ne vous convient-il pas ?
Depuis 2012, seuls 800 kinés ont reçu le "label" et la prime qui y est liée, dont seulement 100 francophones (la Belgique compte 13 000 kinés francophones !) De toute façon, 800 sur 20 000, c’est un flop extraordinaire. Et il n’y a plus d’argent car les choses ont été mal pensées et mal gérées par une partie seulement de la profession. Cela ne peut en aucun cas être présenté comme un exemple à encourager !
Vous dites 100 francophones sur 13 000 : mais peut-être les autres ne remplissaient-ils pas les critères ?
Pas question de cela, non. Le souci, c’est que tout est organisé de façon élitiste en fonction d’intérêts particuliers. Tout est fait par des gens qui n’acceptent comme seul modèle que la façon de faire de l’association Axxon. Tous ceux qui sont rattachés à des spécialistes qui travaillent dans les hôpitaux par exemple et qui, grâce à ce lien, peuvent tout de suite remplir tous les critères. C’est une politique de petits copains !
Un mot, tout de même, de l’enquête menée par Test-Achats. Questions posées, conseils, traitements, confort, prix et temps consacré au patient : les griefs fusent tous azimuts et sont plutôt graves, non ?
Il y a des choses qui ne devraient pas arriver, c’est vrai. Et vous avez bien compris que les kinés francophones ont eux aussi à cœur de protéger la qualité de leurs services. Mais permettez-moi de douter de la méthodologie de cette enquête qui n’a quand même été menée qu’auprès de trente kinés. N’est-on pas aller chercher ce qu’on voulait trouver ? Il est particulièrement malvenu de taper maintenant sur une profession déjà fortement malmenée, surtout en donnant en exemple une initiative qui n’a rien de positif ! Un peu comme si on lançait une dernière tentative de sauver le projet flamand.