Stop au dépistage systématique du cancer du sein?
En France, un rapport préconise l'arrêt du dépistage organisé du cancer du sein. En cause: de nombreux surdiagnostics. Ne vaudrait-il pas mieux apprécier la pertinence d'une mammographie avec son médecin traitant? Ripostes.
Publié le 11-10-2016 à 13h31 - Mis à jour le 11-10-2016 à 13h32
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En France, un rapport préconise l'arrêt du dépistage organisé du cancer du sein. En cause: de nombreux surdiagnostics. Ne vaudrait-il pas mieux apprécier la pertinence d'une mammographie avec son médecin traitant?
Oui
Docteur Philippe Nicot, médecin généraliste à Panazole (France) et membre du Collectif Cancer Rose .
" L’organisation du dépistage systématique du cancer du sein entraîne une baisse du taux de mortalité de cette maladie, mais aussi des conséquences néfastes, dont de nombreux surdiagnostics. Au point qu’aujourd’hui, il apparaît urgent de remettre en question ce dépistage, notamment pour les femmes qui ne se plaignent de rien et ne présentent pas de facteurs de risque."
En France, suite à la publication d’un rapport commandé par la ministre de la Santé, vous encouragez les autorités à arrêter le dépistage du cancer du sein tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Pourquoi ?
Pendant deux décennies, j’ai cru - comme tant d’autres - au bénéfice de ce dépistage. En partant de l’idée qu’au plus vite, on diagnostiquait les petits cancers, au plus on avait de chance de les guérir, je disais d’ailleurs à toutes mes patientes, dont celles qui ne se plaignaient de rien et qui n’avaient pas de facteurs de risques, qu’une mammographie pouvait leur sauver la vie, et ce sans que cela ne leur occasionne aucun souci. Ensuite, j’ai analysé les études scientifiques successives à ce sujet et réalisé, peu à peu, que je me trompais.
Que révèlent ces études ?
Si l’on avance généralement le fait que le dépistage systématique du cancer du sein permet de réduire de 20 % son taux de mortalité, il s’agit tout d’abord de prendre du recul par rapport à ce chiffre. En considérant un panel de 2 000 femmes, si elles ne se soumettent pas au dépistage, 5 d’entre elles vont mourir d’un cancer du sein. Et, si par contre elles s’y soumettent, 4 d’entre elles seront victimes de cette maladie. Il faut ensuite considérer ce risque du cancer du sein relativement à un problème révélé au fil des études, et que personne n’avait prévu : le surdiagnostic. On va dire à une femme qu’on lui a décelé des cellules cancéreuses et qu’il faut la traiter, alors qu’il se peut que ces cellules n’auraient pas évolué au point de déclarer les symptômes de la maladie. On va de fait la surtraiter. Or, annoncer un cancer du sein à une patiente et la traiter n’est pas sans conséquence : c’est une annonce terriblement difficile à digérer - le traumatisme de l’annonce du diagnostic de cancer débouche parfois sur des suicides, qu’il s’agisse d’un diagnostic ou d’un surdiagnostic - et il s’agit d’un traitement très lourd, se répercutant sur toutes les sphères de la vie, tant privées que professionnelles. Et, selon les chiffres généralement retenus, il y aurait 20 % de surdiagnostics. Ce qui signifie concrètement qu’on va créer 10, 20, voire 30 surdiagnostics pour une vie sauvée. Sans compter ce qu’on appelle les fausses alertes, entre 200 et 300.
N’est-il pas également question d’effets secondaires qui pourraient être engendrés par les traitements ?
On sait en effet que les femmes qui vont être soumises à des rayons des radiothérapie, sur une période de près de vingt ans risquent notamment de souffrir d’atteinte des artères coronaires, les artères nourricières du cœur.
Comment se fait-il que pourtant, tant en France qu’en Belgique, le dépistage systématique du cancer du sein n’ait jusqu’alors pas été davantage remis en question ?
Comme je l’ai déjà dit en 2012 à l’occasion d’une émission radio, le dépistage organisé du cancer du sein, c’est une machine extrêmement importante. Du jour au lendemain, aller dire on l’arrête… Je pense que ce n’est pas si simple. Au-delà du fait que cela demanderait un certain courage politique (dont j’espère que notre ministre de la Santé fera preuve), cela poserait aussi des soucis d’ordre économique. D’une part, certaines entreprises vendent chaque année du matériel de plus en plus sophistiqué et onéreux aux radiologues. D’autre part, on a créé des tas d’associations avec des parcours fléchés menant au dépistage du cancer du sein. Mais, enfin, si l’on a construit des montagnes, parfois, il faut pouvoir les soulever parce que sinon, il n’y aura jamais rien qui change, au détriment de la santé des patients.
Quelles solutions proposez-vous ?
Sur le site Internet de notre collectif, Cancer Rose, vous trouverez les données scientifiques les plus objectives et les plus récentes sur le dépistage du cancer du sein, celles auxquelles le public a droit, et dont on semble le priver. Personnellement, ce que je préconise, ce n’est bien sûr pas d’arrêter de faire des mammographies, mais d’arrêter d’en faire systématiquement, sans l’avis du médecin traitant, sans donner les informations aux patientes... Arrêter de fonctionner comme on a fonctionné jusqu’à présent.
Non
Docteur Mathijs Goosens, Fondation contre le cancer.
" Il faut préserver ce programme de dépistage systématique du cancer du sein. Parce que le cancer du sein est le premier cancer de la femme (35 %), le plus mortel aussi. Parce que, jusqu’à présent, études à l’appui, ce moyen de prévention reste le meilleur moyen pour diminuer le nombre de décès liés à un cancer du sein. "
En quoi consiste le programme de dépistage organisé du cancer du sein ?
En Belgique, la prévention est gérée différemment par les communautés. Mais entre Bruxelles, la Flandre et la Wallonie, les programmes organisés de dépistage affichent quelques points communs. Ils consistent en une mammographie, proposée à toutes les femmes entre 50 et 69 ans, tous les deux ans et gratuite (tout est remboursé par la sécurité sociale via les mutuelles et le système de tiers payant). L’organisation, la logistique et l’administration, elles, sont à charge des communautés. Parmi les moyens de dépistage (scanner, échographie, examen clinique…), la mammographie répétée est le seul qui atteste d’une augmentation de la probabilité de survie (soit une diminution de la mortalité) pour une population générale, donc les femmes à risque non élevé.
Pourquoi un tel système a-t-il été mis en place voici une vingtaine d’années ?
Avec près de 10 500 nouveaux cas annuels recensés en Belgique, le cancer du sein reste le premier cancer (16 % de l’ensemble de ceux-ci) et bien entendu le premier cancer de la femme (35 %), le plus mortel aussi. C’est dire combien la prévention doit être importante. La prévention primaire vise à éviter qu’une personne attrape ce cancer, notamment en limitant l’alcool et la cigarette. La prévention secondaire va permettre de trouver un cancer du sein à un stade précoce afin d’augmenter les chances de guérison et d’utiliser des traitements moins agressifs. A ce niveau, les études montrent qu’un dépistage systématique du cancer du sein diminue la mortalité chez les femmes.
L’opportunité de dépistage systématique fait l’objet de controverses. Faut-il garder une telle organisation ?
Oui parce qu’entre 50 et 69 ans, les avantages sont plus importants que les désavantages notamment liés aux surdiagnostics. Il faut le préserver, ne fût-ce que pour informer convenablement les femmes afin qu’elles en parlent et décident - ou non - avec leur médecin d’y souscrire. Si 1 000 femmes se font dépister, 99 % d’entre elles ne développeront pas de cancer. Les dépistages systématiques permettent aussi de garantir la qualité des examens de dépistage mais surtout d’atteindre toutes les femmes dans la population.
Le dépistage doit évoluer
Pour le docteur Jean-Benoît Burrion, coordinateur de Brumammo (Centre bruxellois de coordination pour le dépistage du cancer du sein), le dépistage systématique se maintiendra mais doit évoluer pour prendre en compte le niveau de risque des femmes. Prenant comme seul facteur de risque l’âge - entre 50 et 69 ans -, le dépistage actuel ne répond pas à toutes les promesses, constate le médecin. La diminution de la mortalité serait moindre qu’estimée. Le système génère pas mal de surdiagnostics (10 à 30 % des cancers découverts n’auraient pas posé de problème) mais un quart des (vrais) cancers ne sont pas dépistés.
Comment limiter ces deux travers malgré le fait qu’il y a plus d’avantages (3/4 des cancers problématiques sont trouvés) que d’inconvénients ? En intégrant les facteurs de risques individuel (antécédent personnel de cancer), familiaux (cancer chez les mère, sœurs ou filles), génétiques et de style de vie. Et donc d’utiliser une stratégie de dépistage stratifiée selon la catégorie de risque de la femme. Chaque catégorie aurait son type d’examen et son rythme. Certaines femmes - à haut risque - seraient dépistées chaque année avec une imagerie plus sensible telle une échographie ou une résonance magnétique.
Cela va-t-il peser sur les budgets ? Le but de ces examens, souligne l’expert, est de trouver les cancers plus tôt et d’utiliser des traitements moins lourds. A terme, c’est donc censé réduire les coûts de prise en charge des cancers du sein.