Non au Ceta: les francophones vont-ils aller jusqu'au bout?
Les députés de la Fédération Wallonie-Bruxelles s'opposent à la ratification du Ceta. Leur courage politique est salué par les uns. Mais pour les autres, ils se sont mis dans une situation impossible et la Belgique risque de le payer. Ripostes.
Publié le 14-10-2016 à 11h02 - Mis à jour le 14-10-2016 à 11h07
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Les députés de la Fédération Wallonie-Bruxelles s'opposent à la ratification du Ceta. Leur courage politique est salué par les uns. Mais pour les autres, ils se sont mis dans une situation impossible et la Belgique risque de le payer.
Oui
Philippe Lamberts, Co-président des Verts/ALE au Parlement européen.
"En adoptant une résolution qui pourrait bloquer la mise en œuvre du traité de libre-échange entre le Canada et l’Europe, les élus francophones suivent l’opinion de la majorité de ceux qu’ils représentent. C’est non seulement légitime, mais c’est aussi la seule position politique acceptable, même s’il faudra faire preuve de courage pour ne pas céder à la pression des multinationales. "
Les francophones de Belgique mettent des bâtons dans les roues du Ceta. Les soutenez-vous ?
La position adoptée ce mercredi par la Fédération Wallonie-Bruxelles et, sans doute, ce vendredi par le Parlement wallon est effectivement la nôtre depuis des années : ces traités de libre-échange, en particulier ceux négociés avec le Canada et avec les Etats-Unis, sont des traités taillés sur mesure pour servir les intérêts des actionnaires des multinationales. Et, cela, il n’en est pas question.
Mais les francophones peuvent-ils légitimement empêcher la mise en œuvre d’un traité négocié depuis sept ans entre le Canada et l’Union européenne, alors qu’ils ne représentent même pas un pour cent de la population européenne ?
Au niveau européen, on a décidé que la signature des traités internationaux devait se faire à l’unanimité du Conseil des 28 pays et, au niveau belge, on a aussi décidé que la ratification des traités internationaux devait se faire à l’unanimité des entités fédérées. Au vu de ces règles d’ordre constitutionnel, il est donc tout à fait légitime que la décision des élus francophones puisse bloquer cet accord. Sans compter que la légitimité d’une juridiction démocratique ne peut dépendre de sa taille. Par ailleurs, la population des francophones de Belgique est plus importante que celle d’autres Etats membres de l’Europe, dont Malte, le Luxembourg, la Slovénie… Et on ne fait pas un tel foin quand la population de ces pays dit ce qu’elle pense.
En compromettant la mise en œuvre du Ceta, les élus de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de Wallonie ne s’exposent-ils pas à des pressions ?
Si, il y aura très vraisemblablement des pressions énormes, au sein de la Belgique et au sein de l’UE, des pressions principalement motivées par les intérêts d’affaire des multinationales. Mais je pense qu’il est important que les politiques puissent y résister.
Est-ce seulement possible ?
Je ne me serais pas engagé en politique si je ne croyais pas que le politique était capable d’affirmer ses convictions et de s’y tenir. Est-ce que, cependant, la force de conviction et le courage politique sont répandus de manière universelle dans le monde politique ? Certainement pas. Mais il ne faudrait pas non plus conclure qu’ils en sont complètement absents… Je constate d’ailleurs qu’aujourd’hui rien ne laisse présager que les élus francophones de ce pays (les Bruxellois, les Wallons, mais aussi les germanophones), qui s’alignent simplement sur l’opinion de la majorité de ceux qu’ils représentent, finiront par plier en faveur de l’adoption des traités de libre-échange qui augmenteraient le pouvoir des entreprises multinationales au détriment des démocraties.
Même au risque de provoquer une crise interne en Belgique ? Est-ce que cela en vaudrait la peine ?
Cela en vaudrait d’autant plus la peine qu’il s’agit ici de défendre la capacité des démocraties d’encore décider de ses règles, qu’elles soient sociales, environnementales, fiscales, etc, ainsi que de la localisation de leurs entreprises. Il me semble sincèrement qu’il y a peu de sujets qui ont une telle importance ! En plus, si les élus francophones bloquent ce traité, c’est une bonne chose et pas seulement pour la Belgique, mais pour tous les citoyens européens. Et si, en l’occurrence, les francophones de Belgique peuvent prendre la tête d’une résistance à des traités qui sont profondément antidémocratiques, je dirais que cela constituerait plutôt une plume à leur chapeau et certainement pas un boulet.
Que risque-t-il de ressortir de la rencontre entre Magnette et Hollande, ce vendredi ?
Je ne sais pas très bien ce que François Hollande pourrait proposer à Paul Magnette pour que les Wallons appuient le Ceta, mais ce qui est sûr, c’est que si j’étais moi-même dans les souliers de Paul Magnette, et que j’avais face à moi le président français, je lui dirais, en tant que socialiste : "Ecoutez vos politiques de droite pro-business, vos politiques sécuritaires d’extrême droite, regardez ce qu’elles sont en train de faire au socialisme en France, votre parti est un véritable désastre… Ne comptez pas sur moi pour suivre cette orientation…"
Non
Marianne Dony, présidente de l'Institut d'Etudes européennes de l'Université libre de Bruxelles.
"Les députés wallons sont coincés politiquement, ils se sont mis dans une situation impossible et la Belgique risque de le payer très cher, y compris dans des négociations qui n’ont rien à voir avec le Ceta. Nous sommes arrivés à une situation de blocage et c’est triste pour l’Union européenne qui a quand même d’autres soucis à régler."
La Fédération Wallonie-Bruxelles peut-elle maintenir son veto pour le Ceta sur le long terme ?
Leur position est légitime, nous sommes dans la conjonction des règles européennes et belges. On a décidé de conclure ce traité sous forme mixte donc les différents pays vont devoir ratifier. Mais en Belgique, la ratification ne se fait pas seulement par le Parlement fédéral mais aussi par les parlements des entités fédérées. De plus, il y a cette particularité tout à fait belge qui apparaît sur le devant de la scène aujourd’hui : le gouvernement belge ne peut pas signer l’accord sans avoir au préalable l’assentiment des gouvernements régionaux qui eux-mêmes consultent leurs parlements. Nous nous retrouvons dans une situation inédite. Par ce mécanisme de veto, le gouvernement belge ne pourra pas signer l’accord la semaine prochaine.
Cette position des députés wallons ne va-t-elle pas engendrer une crise ?
Cela va certainement créer des problèmes en interne et aussi au sein de l’Union européenne. Il y aura des pressions de la part des États en faveur de l’accord. La Cour constitutionnelle allemande vient de donner le feu vert pour la signature par le gouvernement allemand et la France, par exemple, est l’un des pays les plus demandeurs. Il faut 30 signatures, le Canada, l’Union européenne et les 28 Etats membres. Le traité ne peut pas exister s’il manque l’une d’entre elles.
Si seule la Belgique ne signe pas, les députés finiront peut-être par changer d’avis ?
On peut s’attendre à ce que cette décision ne fasse plaisir à personne. Mais pour le moment, plus on essaye de faire pression, plus la Fédération Wallonie-Bruxelles va buter sur ses positions. Si on commence à avoir de telles oppositions pour un accord de libre-échange, que va-t-il se passer après le Brexit ? C’est ce type d’accord qu’on va devoir renégocier avec le Royaume-Uni.
Aujourd’hui, un parlement représentant un faible pourcentage d’Européens, 0,7 % pour la Wallonie, peut bloquer un important accord de libre-échange. Ne devrait-on pas passer à un système de vote différent ?
La décision de l’Union européenne de signer est prise à la majorité qualifiée donc la Belgique ne pourra pas l’empêcher de signer mais pour adoucir les choses et faire des concessions aux Etats, la Commission a accepté que l’accord soit mixte donc signé par tous les Etats. Est-ce que l’on va retricoter ce traité ? Ce serait peut-être la seule manière juridiquement de s’en sortir… Mais je pense que personne n’acceptera de renégocier après sept années de travail.
Les divergences de voix au sein de l’Union vont-elles porter préjudice à sa crédibilité pour les négociations en cours ?
C’est certain et cela affaiblit aussi la position de l’Union pour tous les autres accords en cours de négociation. Si les partenaires de l’Union se rendent compte que même en faisant des concessions et en faisant des pas vers les Européens, il y a tel ou tel pays ou même telle ou telle région qui peut prendre en otage son gouvernement pour empêcher la ratification de ce traité et bien ils peuvent décider d’adopter la position la plus dure possible. C’est un grand risque.
La position des députés wallons est donc délicate aujourd’hui…
Ils se sont enfermés dans un cercle vicieux dont ils ne peuvent pratiquement pas sortir. En Wallonie, le PS et le CDH sont en perte de vitesse. S’ils lâchent maintenant, toute marche arrière sera vue comme le fait de s’être laissé influencé ou d’avoir capitulé. Politiquement, ils sont coincés, ils se sont mis dans une situation impossible. La Belgique risque de le payer très cher, y compris dans des négociations qui n’ont rien à voir avec le Ceta car si la Belgique, au cours de l’adoption d’une nouvelle directive dans les mois qui viennent, veut exprimer son point de vue, on lui dira : tu nous a assez mis dans l’embarras en refusant de signer le Ceta alors nous ne sommes pas disposés à te faire la moindre concession. Nous sommes arrivés à une situation de blocage et c’est triste pour l’Union européenne qui a quand même d’autres soucis à régler.