Est-on prêt pour le compostage des corps, une nouvelle pratique funéraire?
Trop polluantes, l'inhumation et l'incinération? L'humusation propose de composter les corps. Une idée écologique pour traiter la mort dans le respect de la terre. Problème, elle n'est pas légale. Ripostes.
Publié le 20-10-2016 à 14h08 - Mis à jour le 16-11-2016 à 11h54
Trop polluantes, l'inhumation et l'incinération? L'humusation propose de composter les corps. Une idée écologique pour traiter la mort dans le respect de la terre. Problème, elle n'est pas légale.
Oui
Francis Busigny, ingénieur conseil en eautar*cie, composteur et initiateur de la Fondation "Métamorphose pour mourir...puis donner la vie"
"La crémation et l’inhumation polluent gravement l’air et le sol. L’humusation est un processus basé sur le compostage et la permaculture. En un an, la dépouille du défunt s’assimile et se fond à la terre. Ce substrat va refertiliser les sols et être utilisé pour planter un arbre du souvenir. Cette troisième voie marque notre volonté de rester écologique après notre passage sur terre."
Qu’est-ce que l’humusation ?
Cette nouvelle façon d’honorer nos défunts est un retour à la terre avec la volonté de ne plus polluer une fois que la vie nous aura quittés et un "merci" final en faisant pousser un arbre. Pratiquement, il s’agit d’un processus contrôlé de transformation des corps par les micro-organismes dans un compost composé de broyats de bois d’élagage qui transforme en 12 mois les dépouilles mortelles en humus sain et fertile. La transformation se fait hors sol. Le corps, enveloppé dans un linceul, est déposé dans un compost et recouvert d’une couche de matières végétales broyées que les humusateurs ajusteront pour en faire une sorte de "monument vivant", selon le principe de la permaculture. Après 3 mois, ils enlèveront les prothèses métalliques ou matériaux non biodégradables pour parer à toute pollution du sol et réduiront en poudre les os, riches en phosphore et en calcium. Après un an, l’humusation du défunt, réalisée sur un terrain réservé et sécurisé appelé le "Jardin-Forêt de la Métamorphose", produira 2m3 de "super-compost". Les proches pourront récupérer une partie de ce substrat pour fertiliser un lieu de recueillement dans un espace "Souvenir" du jardin-forêt ou dans un terrain de la famille afin d’y planter la jeune pousse d’un chêne ou d’un fruitier.
Est-ce un rite lié à une nouvelle croyance ou religion ?
Pas du tout. Toute cérémonie, tout rite funéraire - ou pas - peut se faire avant ou après l’humusation selon la volonté du défunt ou de sa famille. Toutes les confessions - notamment musulmane qui a recours au linceul - peuvent s’y retrouver. Derrière cela, l’humusation se rattache au biomimétisme qui s’inspire du modèle de la forêt. Il fonctionne admirablement en rendant aux couches superficielles les restes de ce que la terre a produit.
N’y a-t-il pas des risques de contamination bactérienne ?
Non parce que l’humusation s’accompagne d’abord d’une montée en température jusqu’à 60-70 degrés due aux matières organiques, ce qui met hors d’état les éléments pathogènes, virus et bactéries. De même, les antibiotiques, pesticides, perturbateurs endocriniens, etc., disparaissent. Le travail des micro-organismes dans un compost bien équilibré est "naturellement" sidérant.
Existe-t-il déjà des lieux d’humusation ?
Pas encore. Mais certaines communes attendent que la loi autorise l’humusation pour affecter un terrain, souvent jouxtant un cimetière et un bois, à cette pratique.
Cette pratique funéraire n’est pas légale ?
On attend. La législation - régionale en cette matière - est en marche, poussée par notre Fondation. La discussion se situe actuellement au niveau de la commission des pouvoirs locaux. Mais les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement ont sans doute leur mot à dire. L’humusation est pratiquée avec succès pour des animaux - même conseillée dans ce cadre par les autorités canadiennes afin d’éviter le coût des équarrisseurs et les risques de propagation de maladies. Actuellement, plus de 600 Belges ont demandé à nos pouvoirs régionaux de bénéficier de l’humusation. Un formulaire type est sur notre site. Espérons que les élus et les mentalités suivent.
Non
Thomas Degueldre, responsable du service Décès et sépultures de la Ville de Namur
"Sur le formulaire de l’administration de la ville de Namur permettant de stipuler ses dernières volontés, les gens ont seulement le choix entre deux pratiques funéraires : l’inhumation et la crémation. Peut-être qu’un jour s’y ajoutera l’humusation, mais, pour le moment, je n’ai pas eu vent d’une volonté politique en ce sens. Sans compter que cela demanderait du temps pour passer du projet à sa réalisation."
Avez-vous déjà entendu parler de l’humusation ?
J’ai déjà lu quelques articles à ce sujet, et il y a aussi plusieurs personnes qui sont déjà venues dans les bureaux de notre administration pour nous notifier qu’elles aimeraient recourir à cette nouvelle pratique funéraire. Ce n’est pas une démarche anodine. Au contraire, c’est une décision issue d’une réflexion personnelle, voire familiale. Nous prenons donc le temps de recevoir ces gens et d’entendre leur demande.
Une demande que vous devez cependant refuser ?
C’est effectivement une démarche personnelle qui se voit opposer un refus de l’administration, un refus qui s’explique par le fait que nous ne pouvons acter que des choix de sépultures reconnus pas le décret de la Région wallonne - ce qui n’est pas le cas de l’humusation. Concrètement, quand on se présente chez nous pour faire part de ses dernières volontés, on peut remplir un formulaire en trois points, dont le premier concerne le choix d’une pratique funéraire, soit l’inhumation, soit la crémation, point à la ligne. Ensuite, ce choix est inscrit de façon intemporelle dans le registre national.
Ne pourrait-on pas cependant demander de recourir à l’humusation en espérant que d’ici nos funérailles celle-ci soit légalisée ?
Non, il n’est pas question de faire des promesses que nous ne sommes pas sûrs de pouvoir tenir. Il est cependant possible de s’adresser à son notaire pour stipuler ce genre de souhaits. Mais, à la différence du registre national consultable partout sur le territoire et même à l’étranger, les testaments notariés mettent parfois du temps à faire surface. Et il arrive que les funérailles aient alors déjà eu lieu.
Personnellement, vous pensez que l’humusation, ce n’est pas pour demain ?
Il faudrait poser la question au ministre compétent.
Nous avons essayé de le contacter, mais il n’a pas répondu.
Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’en tant qu’administration, nous ne recevons aucune info à ce sujet, si ce n’est le rappel suivant : n’oubliez pas que jusqu’à présent la seule réponse à apporter aux demandes d’humusation est un refus. Il faut aussi prendre en compte le fait que s’il y a une volonté politique qui émerge en faveur de l’humusation, un certain temps sera nécessaire avant qu’elle se réalise. J’imagine qu’on devra faire des études sur cette pratique et ses conséquences, puis répondre à un certain nombre de questions : comment garantir les bonnes conditions de l’humusation ? Est ce que cela se pratiquera dans un lieu fermé ou à ciel ouvert ? Devra-t-on mettre en place des formations ? Par qui cela sera-t-il géré ? Des intercommunales ?
Mais, finalement, c’est tout de même possible qu’un jour cette pratique soit légalisée ?
Un jour, peut-être. En tout cas, les trois petits points ajoutés à la suite de l’inhumation et de la crémation dans la liste des pratiques funéraires autorisées par le décret de la Région wallonne tendent à démontrer que cette matière n’est pas figée.
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