Démantèlement de la jungle à Calais: logique de parking ou solution humanitaire?
Les migrants du bidonville de Calais ont commencé à partir vers des centres d’accueil situés ailleurs. Ce démantèlement de la "jungle" est organisé par les autorités. Il inquiète vivement plusieurs associations. Ripostes.
Publié le 25-10-2016 à 11h45 - Mis à jour le 25-10-2016 à 12h57
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/AM4VPKJ26NGSLBO7YASXO5BALQ.jpg)
Les migrants du bidonville de Calais ont commencé à partir vers des centres d’accueil situés ailleurs. Ce démantèlement de la "jungle" est organisé par les autorités. Il inquiète vivement plusieurs associations.
Logique de parking
Pierre Verbeeren, directeur général de Médecins du monde.
" On reste dans une logique de parking, au lieu de répondre aux besoins de migration : des trajectoires et des besoins multiples auxquels on ne peut pas donner une réponse unique et, qui plus est, policière. Par ailleurs, rien n’est résolu pour les milliers de migrants qui continuent à vouloir aller en Angleterre. Enfin, la répartition des gens est aléatoire, il y a donc un souci d’égalité de traitement. "
Médecins du monde dénonce le principe et les modalités du démantèlement du camp de Calais. Pourquoi ?
Je veux d’abord préciser que nous souhaitons rester dans une logique de construction. Il ne s’agit pas de critiquer tout ce qui permet des solutions. Et tout le monde est d’accord pour dire qu’on ne peut plus laisser pourrir cette situation. Cela étant, le problème principal est qu’on reste ici dans une logique de parking. Or, ce qui est le plus nécessaire, c’est une réponse aux désirs de migration des gens. Ils sont sur un chemin. Ils viennent de situations peu enviables et espèrent pouvoir, à un moment, atterrir à un endroit qui les sécurise et leur permette de recommencer une vie. Mais leurs réalités sont multiples. On ne peut donc trouver de solutions que multiples. Certains volontaires ont commencé à quitter le parking horrible de Calais pour des centres d’accueil et d’orientation en France, OK. Mais on ne dit rien concernant les milliers de personnes qui ne participeront pas à cette opération. A toutes ces histoires très différentes, on ne peut pas répondre avec une seule et unique logique de police. Certains migrants ont déjà quitté Calais où la tension devenait trop intense. Nous en voyons arriver certains gare du Nord à Bruxelles, ou à Zeebrugge. Ils restent un temps pour souffler un peu, puis ils repartent là-bas puisque leur objectif reste de traverser la Manche. Pour ceux-là, rien n’est résolu.
Pensez-vous que les autorités soient en train de répéter les erreurs du passé ?
Absolument et ce, qui plus est, sans préparation ni concertation avec les acteurs de terrain et les migrants eux-mêmes. L’Etat impose sa force sans qu’il y ait de véritable certitude sur l’efficacité de son action. Cette population a vraiment besoin d’un soutien. Pourtant, c’est la violence qui revient comme lors du démantèlement de Sangatte en 2000 et lors du premier démantèlement de la "jungle" en 2009 ! De plus, on a un souci d’égalité de traitement, la répartition des personnes ayant lieu sur des bases aléatoires. La façon de traiter la question a une fois encore des allures de cache-sexe inutile.
Parmi les associations qui critiquent la manière dont les choses se passent, on parle d’improvisation. Est-ce votre avis ?
Oui. Il faudrait que les personnes comprennent ce qui les attend. Au contraire, on les considère comme réfractaires d’emblée. Et, du coup, on demeure à tort dans un esprit de contrainte et la question migratoire reste créatrice d’angoisse, on construit des bombes à retardement alors que tout le monde demande un peu de paix et d’humanité.
Vous attendez-vous à voir des images de violence ?
Ce lundi, tout devait bien se passer. Dans un premier temps, seuls les candidats volontaires sont emmenés vers des centres. Les médias diront sans doute que les migrants sont contents et que tout va bien, sauf peut-être quelques manifestants violents qui seront présentés comme des moutons noirs, alors que ce sont juste des bénévoles en colère qui se sont investis pour aider. Il en ira un peu moins bien le deuxième jour. Et pire le troisième, mais les médias ne seront plus là…
Réaction: "Je n’ai rien vu pour me rassurer"
Les inquiétudes exprimées par le mouvement Emmaüs sont identiques aux arguments avancés dans l’interview ci-dessus. Thierry Kuhn, son président, était présent dans la "jungle", lundi. Nous lui avons demandé si, après sa visite, ses craintes étaient un peu apaisées. "Je n’ai rien vu pour me rassurer, non" , répond-il. "Ce lundi était une journée calme. Environ 1 000 migrants sont partis dans les bus. Mais c’était le plus facile. On sait qu’environ 50 % des personnes présentes à Calais ne souhaitent pas demander l’asile en France et gardent l’Angleterre comme objectif. Certains sont d’ailleurs déjà partis. Ils vont se regrouper ailleurs dans de petits camps, à Grande-Synthe ou ailleurs. Puis ils reviendront car pour eux, le gouvernement n’a aucune solution. C’est pourquoi nous avions demandé un report de l’opération, ce qui nous a été refusé."
Les craintes de Yannick Le Bihan, directeur des opérations France de Médecins du monde
Solution humanitaire
Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur français.
Le ministre français de l’Intérieur n’a cessé de rappeler que le démantèlement du camp de la Lande ne démarrerait que lorsque les conditions pour le réaliser comme le gouvernement l’entendait seraient réunies. Selon lui, c’est le cas aujourd’hui : tout migrant présent dans le campement au moment du démantèlement se verra proposer une solution humanitaire de mise à l’abri.
Les raisons du démantèlement complet et définitif du camp de la Lande sont très claires, selon le ministre de l’Intérieur français, qui n’a cependant pas répondu à nos demandes d’entretien. C’est une question de dignité autant que de solidarité, explique-t-il dans un entretien exclusif accordé à "La Voix du Nord" : "Ce démantèlement est un devoir humanitaire pour notre pays. Il est l’aboutissement d’un engagement constant de l’Etat depuis deux ans à Calais, aux côtés des élus locaux et des associations. Il répond donc à la fois à une urgence, mais aussi aux attentes d’une ville et de ses habitants qui font face depuis plus de quinze ans à une crise migratoire d’une grande envergure. Il se fera en une fois. Nous prendrons le nombre de jours nécessaires pour le réussir. "
Dans un communiqué de presse sur le site détaillant l’action de l’Etat à Calais, Bernard Cazeneuve ajoutait aussi que les habitants de la région n’avaient pas à assumer, seuls, les effets de la crise migratoire.
Cependant, ce lundi, ce communiqué avait disparu du Web et les services de communication du ministère de l’Intérieur demandaient aux journalistes de ne plus le prendre en considération. C’est que le sujet est sensible.
Stratégie globale
Les problèmes constatés à Calais durent depuis des années. Des Français, mais aussi des associations, estiment dès lors que l’action du gouvernement n’en viendra pas à bout. Le ministre se veut pourtant rassurant dans l’interview accordée à "La Voix du Nord" : " Calais ne va pas changer de position géographique. Mais nous avons une stratégie globale pour éviter qu’un point de fixation ne se reforme. Ce n’était pas le cas en 2003 pour Sangatte qui n’était qu’une opération de dispersion à court terme. D’abord, pour décourager les passeurs sans scrupule d’orienter les migrants vers Calais, nous avons rendu la frontière étanche en sécurisant le Tunnel, le port et aujourd’hui la rocade. Ensuite nous menons une politique ferme et efficace de lutte contre les filières d’immigration clandestine vers le Royaume-Uni : trente-trois ont été démantelées depuis le début de l’année. Enfin nous allons maintenir une présence policière conséquente après le démantèlement. "
Par ailleurs, au début du mois d’octobre, plusieurs associations, dont, en premier lieu, le Secours catholique, avaient pointé la " précipitation " dans laquelle s’organisait le démantèlement. Elles avaient ainsi émis une requête au tribunal de Lille, contestant cette évacuation - non sur le fond, mais sur la forme. Toutefois, le tribunal avait conclu que l’Etat avait mobilisé sur le territoire national un nombre de places en centres d’accueil et d’orientation (CAO) supérieur au nombre de personnes présentes sur le campement, comme le souligne le ministre. " Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies a lui aussi salué notre décision , insiste-t-il. Avec Emmanuelle Cosse nous souhaitons la présence d’observateurs : le HCR, le défenseur des droits, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, la Commission nationale consultative des droits de l’homme délégueront leurs représentants sur place. Chacun doit pouvoir témoigner de ce que nous faisons."
Le chemin vers une vie normale
Pour Bernard Cazeneuve, il n’était plus question de tergiverser. S’il ne cessait de rappeler que le démantèlement ne démarrerait que lorsque les conditions pour le réaliser, à savoir une solution de mise à l’abri pour chacun, seraient réunies, il estime qu’aujourd’hui, c’est le cas.
De plus, contrairement à beaucoup d’observateurs, il est, lui, convaincu que la quasi-totalité des migrants monteront dans les cars en direction des CAO : "[Ils] accepteront la solution humanitaire de mise à l’abri que nous leur proposons, car c’est pour eux le chemin le plus court vers le statut de réfugié dont ils relèvent et vers une vie normale, à laquelle ils aspirent après avoir fui les guerres et les persécutions. Personne ne pourra rester sur le site à terme, en vertu de l’arrêté pris vendredi par la préfète du Pas-de-Calais. "
Ce lundi, en marge d’un congrès à Paris, le ministre déclarait : " Nous ferons tout pour que cette opération soit à la hauteur de ce qu’est notre pays, de ce qu’est son attachement au droit d’asile. "