Bientôt davantage de pub déguisée sur les écrans. Danger?
La "communication commerciale" est un des volets de la directive sur les services de médias audiovisuels que la Commission européenne a commencé à réviser. Le texte actuellement sur la table assouplit les règles concernant le placement de produits et donne son feu vert au parrainage sous toutes ses formes. Ripostes.
Publié le 26-10-2016 à 15h22 - Mis à jour le 26-10-2016 à 16h24
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La "communication commerciale" est un des volets de la directive sur les services de médias audiovisuels que la Commission européenne a commencé à réviser. Le texte actuellement sur la table assouplit les règles concernant le placement de produits et donne son feu vert au parrainage sous toutes ses formes.
Les quatre grands changements du volet "communication commerciale"
Les heures de grande audience plus ciblées. La règle prévoit d’autoriser 20 % de pub, pas plus. Aujourd’hui, cette dose est mesurée par heure. Le texte prévoit d’effectuer désormais ce calcul à l’échelle journalière (entre 7h et 23h plus précisément). Concrètement, la limite pourra donc être dépassée aux heures de grande audience, tout en respectant la moyenne. Le placement de produits et l’autopromotion ne sont pas comptabilisés dans la règle. A ce propos, le texte prévoit aussi d’étendre la pratique d’autopromotion, limitée aux programmes propres d’un service, à toutes les productions du groupe auquel il appartient.
Le placement de produits facilité. L’interdiction de placement de produits est aujourd’hui la règle, avec dérogations possibles (les récentes séries belges qui ont cartonné n’auraient pas pu s’en sortir sans, ni plusieurs émissions de divertissement, partiellement soutenues par des marques en échange de visibilité pour leurs produits). Dans son texte, la Commission propose d’inverser la tendance : placement de produits autorisé, sauf dans l’info et l’actualité, les émissions de consommateurs, et les programmes religieux et pour enfants. La directive en préparation prévoit en outre que la mise en avant injustifiée d’un produit, actuellement proscrite, soit désormais autorisée. Le placement continue à devoir être clairement annoncé, au début et à la fin du programme (la mention "Le programme qui suit contient des placements commerciaux de produits, marques ou services" apparaît à l’antenne pendant dix secondes au moins, au début du programme soutenu, accompagnée par un pictogramme "PP" également programmé à la fin).
Les formes multipliées de parrainage. Il est prévu de faire sauter une des restrictions à l’insertion de parrainage, à savoir l’interdiction de promotionner les produits et services du parrain. La directive révisée prévoit que ceux-ci puissent être explicitement mentionnés.
La multiplication des écrans de publicité. Quand un programme peut-il être interrompu par la publicité (ou le télé-achat) ? Avant 2007, la réponse était toutes les 45 minutes. Depuis, toutes les 30 minutes. Et il est question, à l’occasion de cette révision, de réduire à 20 minutes la durée à respecter entre deux interruptions d’un même programme.
Attention!
Bernardo Herman, directeur général du CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel)
" Toutes les propositions avancées contribuent à augmenter la pression publicitaire. Elles vont tellement loin que la nécessité de continuer à réguler est remise en question. Or, la régulation empêche la manipulation. "
Avant de passer au commentaire point par point, pourquoi réagir maintenant au projet de révision, par la Commission européenne, de la directive sur les services de médias audiovisuels (et du volet commercial en particulier)?
Parce que c’est le bon moment pour faire valoir des arguments. Les propositions qui sont faites ont tendance à augmenter la pression commerciale sur les consommateurs. Il est clair que la décision finale est politique et que l’approche du régulateur que nous sommes consistera à contrôler la conformité des acteurs avec la régulation choisie par le législateur. En attendant, nous souhaitons attirer l’attention sur les conséquences de ce qui se prépare.
Premier axe de changement : la durée des plages publicitaires. Quel est le problème ?
Comme le quota de publicités sera mesuré sur la journée et non plus heure par heure, chacun pourra par exemple être bombardé de publicités entre 19 et 20h, si un éditeur décide d’y concentrer un maximum de communications commerciales. Si quelqu’un se plaint, il nous appartiendra de le rassurer en lui expliquant que c’était compensé par l’absence de ce type de message à d’autres moments. Seulement, ce contrôle pose un problème pratique. Nous devrons effectuer un monitoring sur l’ensemble de la journée. Ce qui paraît impossible en fonction des ressources dont nous disposons. C’est même tellement complexe que cela met en question l’utilité de la régulation. Or, à quoi sert celle-ci ? A éviter que le consommateur soit manipulé. Et si nous ne pouvons pas contrôler, à quoi sert-il encore d’imposer des règles ? Je dois préciser que le Parlement a déjà proposé, dans un amendement, que la proportion soit quand même respectée heure par heure entre 20 et 23h. C’est déjà un peu plus praticable que la proposition initiale.
Les messages d’autopromotion ne sont pas compris dans ce calcul. A ce propos aussi, la pratique est simplifiée. En quoi est-ce un souci ?
Le fait d’autoriser un service de médias à promotionner les autres entités du même groupe que lui, et plus seulement à s’autopromotionner, donne un poids démesuré aux grands groupes au détriment des petites sociétés isolées.
Le placement de produits semble également bénéficier de facilités. Mais n’est-ce pas normal, dans le contexte où évolue (économiquement, entre autres) l’audiovisuel ?
Jusqu’ici, la mise en avant injustifiée d’un produit est encore interdite. L’argument de la Commission consiste à dire que cette interdiction ne tient pas la route parce que le placement de produit est compliqué à détecter et, donc, à contrôler. Nous ne sommes pas d’accord. Plusieurs régulateurs dont le CSA ont émis des lignes directrices claires avec lesquelles nous travaillons, ce qui prouve que c’est possible. Dire qu’on ne contrôle plus parce que c’est difficile est inadmissible.
Même chose pour les possibilités de parrainage. Qu’entend-on par parrainage d’ailleurs ?
Il s’agit de toute contribution d’une institution ou entreprise au financement de services de médias audiovisuels ou de programmes, sous forme de paiement ou autre contrepartie, dans le but de promouvoir son nom, sa marque, son image, ses activités… En multiplier les formes, c’est ouvrir la porte à des formes insidieuses de communication commerciale qui ne seront plus clairement séparées des contenus éditoriaux. Aujourd’hui, le parrain est autorisé à condition d’être clairement identifié, que son apparition ne dépasse pas un certain quota et qu’il n’y ait pas de promotion de ses produits et services. Ses obligations disparaissent. Il devient dès lors tout à fait possible qu’un parrainage se glisse dans une émission et passe complètement inaperçu. Or si les gens ne réalisent pas que c’est de la publicité, l’opinion publique est manipulée et prend pour argent comptant tout ce qu’on lui propose.
De nouvelles formes de financement ne sont-elles pas nécessaires ?
Si, mais le tout est de savoir où on met le curseur.
Pas de danger
Bruno Liesse, managing director Carat Belgium et Président de l' Uma
"Trop de pub tue la pub. Les professionnels le savent et s’autodisciplinent. Mais il y a nécessité de messages - et de revenus - nouveaux pour que les groupes audiovisuels réalisent des programmes de qualité."
Pourquoi doit-on réviser cette directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) et son volet "communication commerciale" ?
Il s’agit d’actualiser l’ancêtre directive "Télévision sans frontières" (TSF) qui existe depuis que la pub audiovisuelle existe. L’environnement média évolue en permanence avec le numérique et les réseaux sociaux et il a nécessité à adapter cette directive en insistant sur le qualitatif et le contextuel plutôt que sur du volume pur, limité aux 12 minutes de pub par heure.
Les consommateurs ne sont pas rassurés.
Nous ne sommes pas, comme outre-Atlantique, pilotés uniquement par la densité publicitaire à tous crins. Nous savons bien que trop de pub tue la pub et qu’il ne faut pas dépasser certains quotas pour garder l’efficacité. Les différents acteurs présents autour de la table pour faire évoluer cette directive en sont bien conscients. Il n’y aura aucun excès, nous sommes en Europe. Mais pour des raisons économiques, des assouplissements sont nécessaires. A défaut, des médias risquent de se retrouver dans des situations difficiles.
Quel est le danger ?
Economiquement, l’Europe est un continent en récession. Depuis 2009, les investissements publicitaires n’augmentent pas plus que l’inflation. Les jeunes adultes étant de plus en plus exposés aux plateformes numériques, la publicité via les médias de masse a tendance, au mieux, à stagner. Or on demande à des groupes audiovisuels comme la RTBF, Medialaan ou IP-RTL de réaliser davantage de productions propres, locales ou culturelles et de diffuser amplement en direct. Mais si les recettes publicitaires diminuent, leur capacité d’acheter ou de réaliser des programmes de qualité diminue. Avec à la clé, le possible recours à des programmes au rapport économique intéressant, soit des séries américaines achetées à bas prix. Que faire ? Les messages commerciaux ne sont plus uniquement de la simple publicité de 30 secondes. Il existe de nouveaux formats audiovisuels comme le "brand content" (NdlR : contenus éditoriaux), le " product placement" (NdlR : placement de produits dans un film ou une émission télévisée) ou le sponsoring. Il y a nécessité d’augmenter leur présence dans les programmes. Ces partenariats permettent d’obtenir des revenus complémentaires aux revenus classiques mis à mal par la mauvaise situation économique mais aussi par l’émergence des nouveaux moyens numériques visant les consommateurs. Parce que sur un budget fixe d’un million par an, où va investir l’annonceur ? Si l’audience audiovisuelle vivote et que les messages à diffuser s’avèrent trop contingentés, l’annonceur se tournera facilement vers les réseaux sociaux. L’assouplissement de la directive SMA ne va pas faire exploser les investissements publicitaires qui stagnent mais propose de nouvelles possibilités de contact du consommateur à des marques qui risquent d’aller voir ailleurs.
Quelles attitudes ont les Belges face à la pub ?
Si on leur pose la question d’un monde sans pub, seuls 10 % des Belges francophones sont prêts à payer pour éviter la pub. La grande majorité affirme qu’elle aimerait bien s’en passer mais admet que c’est un mal nécessaire pour avoir accès à Google, Facebook ou à la RTBF. Beaucoup considèrent aussi les publicités comme des informations utiles pour leur consommation. Ce qui irrite le consommateur est d’être confronté à trop de publicités qui ne le concernent pas ou qui sont proposées à un mauvais moment ou dans un mauvais contexte. La télévision numérique interactive amène des solutions pour mieux cibler.
Le CSA dénonce l’augmentation de pubs plus insidieuses comme le placement de produits.
Pour autant que la présence de la marque se fasse en concertation avec les responsables de programme et de la ligne éditoriale, pourquoi pas ? Quand un soda veut sponsoriser "The Voice", il y a chez nous un véritable dialogue entre le média et la marque. En cas de mise en avant excessive d’une marque au sein d’une émission, le média subira un préjudice comme un rejet de l’audience. Les professionnels le savent. L’autodiscipline en la matière - pour être efficace - n’est pas un vain mot.