Peut-on se dire populiste et fier de l'être?
"Trump, le populiste" est voué aux gémonies par de nombreux médias et partis classiques. Le déclin des connaissances historiques bénéficie-t-il aux tribuns de tous poils ? Ou l’ordre établi utilise-t-il trop facilement le terme "populiste" pour disqualifier tout opposant ? Ripostes.
Publié le 08-11-2016 à 12h48 - Mis à jour le 08-11-2016 à 14h38
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"Trump, le populiste" est voué aux gémonies par de nombreux médias et partis classiques. Le déclin des connaissances historiques bénéficie-t-il aux tribuns de tous poils ? Ou l’ordre établi utilise-t-il trop facilement le terme "populiste" pour disqualifier tout opposant ? Ripostes.
Oui
Hugues Le Paige, directeur de la revue Politique.
" Lorsque l’ordre établi et les politiques dominantes expriment leur dédain pour le peuple, leur mépris des classes défavorisées et refusent toute alternative, on peut se déclarer populiste. Par ailleurs, ce terme complexe et ambigu est utilisé pour disqualifier tout opposant et mettre un terme aux débats ."
Peut-on se dire populiste et fier de l’être ?
En prémices, j’ai toujours défendu et défends toujours l’importance des partis politiques et des corps intermédiaires (syndicats, associations…). Mais dans les circonstances politiques et le climat idéologique actuels, d’une certaine manière, je peux déclarer être populiste et, par défaut, fier de l’être.
Ce n’est guère politiquement correct.
On a fait dévier la signification première du terme populiste. Aujourd’hui, toutes les contestations de l’ordre établi et des politiques dominantes se voient disqualifiées par le terme de populistes qu’on est quasi obligé de revendiquer cette appellation, avec les précautions oratoires susmentionnées.
Pourquoi cette disqualification, ce "flingage lexical" comme l’appelle Richard Laurent, sociologue et auteur de L’antipolitisme, les mots piégés de la politique ?
Cette tendance est forte dans les milieux du pouvoir et dans certains médias. Le fait de dire qu’il y a des alternatives possibles, le fait d’exprimer qu’on n’est pas inscrit indéfiniment dans l’ordre libéral du marché triomphant est considéré comme du populisme. C’est une manière de couper court au débat et d’affirmer qu’il n’y a pas d’autres possibilités que celle qui préside aujourd’hui dans la marche du monde.
Un exemple ?
C’était très clair en 2005, en France, lors du référendum sur la constitution européenne. A 85 %, la classe politique et les médias s’étaient prononcés préalablement en faveur du oui. Après le scrutin, plus de 50 % des votants s’étaient déclarés en faveur du non. La décision du peuple a été considérée comme illégitime parce qu’elle n’allait pas dans le sens des élites. On l’a encore vu récemment à propos du CETA combien les défenseurs de cet accord économique ont rapidement et largement utilisé la référence de populiste pour disqualifier ceux qui combattaient ce traité.
Le populisme est une notion floue, complexe voire ambiguë. Comment le définissez-vous ?
Le populisme se définit par cette manière de voir la société non plus dans un affrontement droite/gauche mais un affrontement système/antisystème, élite/peuple. Les élites qui nous gouvernent - c’est un fait, pas une appréciation - fabriquent un certain type de populisme. La Commission européenne est particulièrement productive en ce domaine. L’affaire Barroso est une affaire inimaginable dans une société démocratique. Une personne utilise la plus haute fonction institutionnelle et internationale de l’Union européenne au service du privé, en l’occurrence la banque Goldman Sachs, et cela passe comme une lettre à la poste, avec l’aval du comité déontologique. Là, on suscite une révolte contre les élites.
Dans certaines circonstances, n’est-il pas indiqué de prendre ses distances avec le populiste ?
Le mot est aussi polysémique. Pour le politologue Jérôme Jamin, le populisme n’est ni de droite ni de gauche, il n’est pas une idéologie, il se greffe sur les idéologies. Il serait, en quelque sorte, transversal. Historiquement, résumer tout le populisme à un affrontement système/antisystème a été l’apanage de l’extrême droite et notamment du fascisme mussolinien à l’origine. Quand j’avoue pouvoir me revendiquer populiste aujourd’hui à cause du dédain pour le peuple, du mépris des classes défavorisées et du refus de toute alternative, je réalise et pointe à côté un danger populiste quand il mène, dans sa critique de tous les corps intermédiaires, à porter et à supporter le pouvoir personnel jusqu’à une éventuelle dictature. Soyons-en conscient et prudent. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, la plus grande fabrique de populisme en tout genre, c’est bien l’attitude de la Commission européenne et de certains gouvernements qui ne veulent entendre aucune contestation. Face aux mouvements syndicaux en Belgique, combien de fois a-t-on lu ou entendu dans des discours que c’est du populisme que de critiquer la politique d’austérité puisqu’il n’y en a pas d’autre. Il est aussi dangereux de pousser vers une attitude qui peut devenir déviante ceux qui, légitimement, contestent cette politique.
Non
Olivier Meuwly, historien et essayiste suisse, membre du Parti libéral-radical.
" Plutôt que de pousser de grands cris ennemis, il faut oser être complexe et, surtout, oser prendre en compte notre histoire politique. De cette manière, les politiciens pourront mieux se situer dans le présent et les citoyens auront également les moyens d’apprécier les débats politiques dans leur véritable ampleur. "
Dans une opinion publiée dans "Le Temps", vous invitez vos lecteurs à résister au populisme. Par quels moyens ?
Comme l’explique notamment le sociologue français Jean-Pierre Le Goff, le phénomène du populisme est seulement la partie émergée de réalités qui posent actuellement problème. En fait, c’est toute la crise globale des démocraties qui doit être examinée. Et, à travers une telle analyse, on pourra enfin offrir des solutions à ceux qui ne s’y retrouvent plus dans nos sociétés.
A ce titre, vous écrivez que l’histoire politique est utile pour lutter contre le populisme. C’est-à-dire ?
Je rejoins deux chercheurs américains qui avancent que le déclin de l’enseignement de l’histoire politique au niveau universitaire a nourri l’ignorance dont bénéficient aujourd’hui les tribuns de tous poils, prompts à asséner leurs "vérités" face à un public qui ne possède plus les armes pour comprendre les enjeux du débat. Il faudrait dès lors revenir justement aux principes fondamentaux de l’histoire politique. Pour comprendre le contexte et le pourquoi de la situation actuelle - tout bêtement. Revenir aux questions basiques, évaluer les avantages et les inconvénients de notre système. Et conclure que ce dernier n’est quand même pas si mal, tout en envisageant ce qu’il y a à corriger. En Suisse, par exemple, nous sommes fort attachés à la démocratie directe, j’en suis l’un des premiers défenseurs, mais il faut aussi admettre qu’il y a des choses qui pourraient être améliorées, et cela vaut donc la peine de les interroger.
Quand vous parlez des tribuns de tous poils, vous visez entre autres Donald Trump ?
Trump fait partie du problème, mais comme tous les autres, avec des degrés variables d’extrémisme dans les différents pays. Ce qui est clair, c’est que c’est ce problème-là qu’il faut interroger, en interrogeant l’histoire qu’il y a autour.
En refusant les explications faciles ? Pour éviter à son tour de succomber au populisme ?
Plutôt que de pousser de grands cris ennemis, il faut effectivement oser être complexe, donc oser prendre l’histoire en compte. Car celui qui considère l’ensemble de la situation, et une fois de plus l’histoire politique, peut poser les problèmes, les questionnements politiques, et voir comment ceux-ci ont été résolus par le passé. Je suis conscient que l’histoire ne donnera aucune réponse concrète pour les problèmes d’aujourd’hui, seulement des instruments de réflexion. Mais c’est déjà beaucoup… Concernant l’Union européenne, par exemple, si ses institutions portaient davantage d’attention à son histoire, elles comprendraient mieux ses difficultés à rassembler. Pourquoi les gens trouvent-ils que les frontières sont plus pertinentes qu’un univers post-national ? Pour le savoir, il faut peut-être voir ce qui n’a pas joué, quel discours, à quel moment, n’a pas fonctionné. Et pour cela l’histoire politique est mieux armée que les outils d’analyse traditionnels et que l’histoire purement sociale et économique, qui a en quelque sorte tendance à abraser tout ce qui est séparateur.
Une histoire qui prendrait en compte les nations et les jeux politiques pourrait-elle enfin réconcilier le peuple et les élites ?
Ce serait l’idéal ! L’analyse historique de la gauche a souvent été la critique de l’Etat bourgeois. Or moi je plaide pour une histoire qui ose critiquer tout le monde. Et là on pourrait voir ce qui n’a pas marché chez les uns ou chez les autres… On pourrait aussi travailler intelligemment sur les notions de mythes, dont l’Europe qui dépasse les nations, le socialisme, etc. Ces grands mythes qui font que les gens ne se sont retrouvés nulle part. En revanche, l’histoire politique telle que je l’entends permet d’ancrer les institutions dans des contextes. C’est éminemment important parce que l’histoire méconnue est l’histoire qui sera instrumentalisée. Il est donc urgent que le politique réinvestisse le savoir historique, afin d’expliquer pourquoi tel ou tel système s’est développé ainsi en Belgique et ainsi en Suisse… La question n’est pas de savoir ce qui est le meilleur ou le pire, mais ce qui a joué et n’a pas joué. Travailler sur l’histoire politique des nations, par nature globale, c’est consolider les fondements de nos démocraties désorientées !