Des amendes pour décourager les gestes antisportifs?
Pour combattre les attitudes déplacées en match, des clubs amputent le salaire des fautifs. Chris Dowe du Brussels (basket) touchera 20 % de moins ce mois-ci, pour deux "fautes techniques". Superbe exemple à suivre ou méthode inefficace ?
Publié le 17-11-2016 à 11h42 - Mis à jour le 17-11-2016 à 14h18
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Pour combattre les attitudes déplacées en match, des clubs amputent le salaire des fautifs. Chris Dowe du Brussels (basket) touchera 20 % de moins ce mois-ci, pour deux "fautes techniques". Superbe exemple à suivre ou méthode inefficace ?
Oui
Serge Crèvecoeur, coach du Basic-Fit Brussels (D1 Basket-ball).
" Chez nous, une faute technique est sanctionnée par 10 % du salaire mensuel en moins. C’est stipulé dans le règlement d’ordre intérieur et les contrats de travail. Si l’amende ne fait pas mal, elle n’a aucun sens. Certains comportements sont tout à fait inacceptables dans le sport qui doit rester un plaisir et prôner le respect. Chaque joueur doit absolument travailler sur lui pour maîtriser ses émotions négatives. "
Avant tout, qu’est-ce qu’une faute technique ?
C’est un comportement contraire à l’esprit du sport : vous êtes soit injurieux, soit vous avez un comportement qui agace l’arbitre depuis une heure, ou encore un vilain geste. Le plus souvent, la faute technique sanctionne un joueur ou un entraîneur qui a montré qu’une décision d’arbitrage ne lui a pas plu. Les arbitres sont humains, la plupart dans le basket belge ne sont pas professionnels, ils ont tous un boulot par ailleurs et on doit les respecter en tant que personnes. Ils peuvent se tromper. Prendre une faute technique peut être très pénalisant au niveau du jeu pour une équipe et peut même coûter un match.
Quelle est votre politique en la matière ?
Chaque club professionnel a son propre système de gestion interne du comportement des joueurs. Nous, on l’aborde dans le règlement d’ordre intérieur et dans les contrats de travail. Au Brussels, une faute technique est sanctionnée par 10 % du salaire mensuel en moins. Que ce soit clair : je souhaiterais évidemment ne pas devoir appliquer ce règlement et me contenter d’explications. Seulement, on a parfois de jeunes joueurs qui doivent encore apprendre à contrôler leurs émotions négatives, comme ce fut le cas ici. Or nous avons un rôle à jouer dans leur développement. Sportivement et physiquement bien sûr, mais aussi mentalement. Ici, la première faute technique du joueur n’avait pas été sanctionnée. Il en a commis une deuxième. Son salaire sera donc amputé de 20 % (plusieurs centaines d’euros). Mais je suis certain que quand il aura compris qu’il perd de l’influx en s’excitant pour rien, ce gamin sera un joueur encore plus fantastique !
Comment expliquer le comportement coupable ?
Maîtriser ses émotions n’est pas aussi simple qu’il y paraît ! Personnellement, j’ai eu beaucoup de problèmes avec cela quand j’étais jeune coach. J’ai une personnalité assez impulsive, alors je me suis fait aider par quelqu’un. Encore maintenant, je fais beaucoup de travail sur moi-même pour me contrôler. Aujourd’hui, je respecte vraiment les arbitres et je suis très heureux de la relation que j’ai avec eux. Je fais des erreurs tous les jours, j’accepte donc que d’autres en fassent aussi. Il faut se dire que l’arbitrage est incontrôlable. Par contre, ce qu’on peut contrôler, c’est la façon de s’engager sur le terrain. A-t-on de l’énergie ? Est-ce qu’on se bat ? J’ai envie que mes joueurs se focalisent sur la compréhension de ce qu’ils font de bien pendant un match ou ce qu’il faudrait changer, plutôt que de s’exciter sur les trois malheureux hommes en gris qui essaient de siffler…
Toucher au salaire, n’est-ce pas une mesure extrême ?
Si les mesures ne sont pas fortes, elles ne servent à rien ! Il y a quelques années, on a eu un joueur un peu compliqué avec lequel il a fallu appliquer le système plusieurs fois. Ses équipiers sont venus plaider sa cause. Ils voulaient remplacer le système de pourcentage du salaire, exagéré selon eux, par des amendes de 20 ou 30 euros. Seulement si cette amende ne fait pas mal, elle n’a aucun sens. Le basket va vite, il y a beaucoup d’intensité et les sportifs de haut niveau ont souvent de gros ego. Plus le niveau augmente, plus les ego seront élevés. C’est pourquoi il est important de servir de modèle en supprimant certains comportements inacceptables. Dans notre club, il n’y a pas que l’équipe de division 1. Il y a également 300 jeunes. C’est évidemment un exemple pour eux mais aussi pour leurs parents. D’ailleurs tous les entraîneurs ont un rôle à jouer au niveau du respect des acteurs du jeu, dans tous les sports. Prenons le football où les intérêts financiers sont énormes. La pression est d’autant plus grande. Mais quel que soit tout cela, il faut vraiment travailler très dur sur sa propre personnalité. Malheureusement, quand je vois le comportement déplorable de certains entraîneurs professionnels de football, je me dis que cela ne va pas du tout. Quel que soit son niveau, le sport doit rester un plaisir.
En quoi perdre de l’argent fait-il mieux passer la leçon ?
Il y a l’argent mais aussi tout un travail. "Coach, je n’ai rien dit à l’arbitre", disait le joueur. Alors on a regardé les images. Je travaille beaucoup avec la vidéo. "Regarde ton visage", je lui ai dit, "ton expression : tu n’arrêtes pas, par ton comportement, de lui dire qu’il est un imbécile !"
Non
Jean-Michel de Waele, professeur à l'ULB, spécialiste des rapports entre le sport et la politique.
" Une sanction financière suffira-t-elle pour qu’un joueur qui s’énerve contre l’arbitre parvienne, lors des prochains matchs, à gérer ses émotions ? Permettez-moi d’en douter. Ne vaudrait-il pas mieux prévoir un coaching spécifique à ce joueur, afin qu’il arrive à contenir ses ardeurs ? Par ailleurs, je ne suis guère convaincu que les sportifs professionnels puissent être vus comme des "exemples". "
Les clubs peuvent-ils infliger une amende à un joueur qui a commis un geste antisportif, à l’instar du Brussels, un club de basket, qui va retenir 20 % du salaire de l’Américain Chris Dowe coupable d’un comportement déplacé lors du match de vendredi dernier ?
Les contrats signés entre les joueurs et les clubs sportifs sont privés. On ne sait dès lors pas très bien ce qu’ils contiennent, mais il est bien clair qu’il y a une série de contrats où il est question de bonus : si, par exemple, vous marquez un certain nombre de points, vous recevrez, à la fin du mois, telle ou telle somme supplémentaire… Il est donc possible que dans les contrats, voire dans les règlements des clubs, il y ait également une série d’amendes prévues pour sanctionner les mauvais comportements : des retards à l’entraînement, le fait de ne pas participer à telles activités, un grand nombre de cartons jaune ou rouge, etc.
De telles sanctions financières sont-elles efficaces ?
Dans le monde du sport professionnel l’argent a pris une telle place qu’il en est devenu le principal moteur. On peut toutefois s’interroger : une sanction financière suffira-t-elle pour qu’un joueur qui s’énerve contre l’arbitre parvienne, lors des prochains matchs, à gérer ses émotions ? Permettez-moi d’en douter. Ne vaudrait-il pas mieux prévoir un coaching spécifique à ce joueur, afin qu’il arrive à contenir ses ardeurs ?
Pour justifier ces sanctions financières, les clubs de sport avancent souvent l’argument que les joueurs les plus expérimentés doivent donner l’exemple aux plus jeunes. Qu’en pensez-vous ?
Si c’est bien évidemment l’argument numéro "un" des clubs, il ne faut pas oublier que les clubs sont avant tout des "marques" qui doivent tenir compte de leur image. Ils se méfient donc des joueurs qui la mettraient en péril. C’est pourquoi, ils veillent à ce que ceux-ci affichent non seulement un bon comportement sur le terrain, mais aussi en dehors. Il arrive ainsi qu’ils licencient des joueurs pour des déclarations racistes ou homophobes, des accidents de la route en état d’ébriété… Bref, tout ce qui serait attentatoire à l’image du club.
Si les clubs veillent davantage à préserver leur image qu’une certaine idée du fair-play, le monde du sport n’est-il pas un monde idéal ?
Certainement pas.
En d’autres mots, le monde du sport n’est pas exemplatif ?
Penser que le sport doit être exemplatif, c’est surévaluer le rôle du sport. En effet, je ne crois pas que le sport va résoudre tous les problèmes de la société. Et quand bien même tous les sportifs afficheraient une attitude exemplaire dans leur pratique, cela n’influencerait pas fondamentalement notre société; le problème de la violence persisterait. Certes, le sport peut donner un mauvais exemple, mais je suis convaincu qu’il ne fait que refléter la société. Il ne crée rien. Ce n’est pas le sport qui crée la violence, la violence fait partie intégrante de notre société. Et le sport comporte dès lors des éléments de violence comme les autres pans de la société.
Le contre-exemple américain
Les amendes pleuvent dans la principale ligue de basket-ball nord-américaine (NBA). Or il semble que cela ne serve pas toujours de leçon aux joueurs et aux coaches.
Le roi de l’amende , c’est Rasheed Wallace, selon le site basketusa.com. Il en a récolté huit, principalement pour des critiques sur les arbitres, pour un montant global de 205 000 dollars.
Chez les coaches , Phil Jackson arrive en tête avec dix amendes pour 380 000 dollars.
Ceci dit , nuance le site basketusa.com, les amendes ne représentent pas grand-chose pour un joueur NBA. L’amende moyenne est de 33 689 dollars alors que le salaire moyen est de 5,15 millions de dollars.