Est-il exagéré de condamner tous les Blancs qui se griment en Noirs?
Des photos d’étudiants grimés en noirs partagées par le mouvement Nouvelle Voie anticoloniale ont fait le buzz sur Facebook. Cette association veut en finir avec le "blackface", qu’elle accuse de véhiculer une forme de racisme. Mais certains jugent sa démarche dangereuse et totalitaire.
Publié le 24-11-2016 à 13h40 - Mis à jour le 24-11-2016 à 16h49
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Des photos d’étudiants grimés en Noirs partagées par le mouvement Nouvelle Voie Anticoloniale ont fait le buzz sur Facebook. Cette association veut en finir avec le "blackface", qu’elle accuse de véhiculer une forme de racisme. Mais certains jugent sa démarche dangereuse et totalitaire.
Non
Méline, membre du collectif la Nouvelle Voie Anticoloniale.
" Nous sommes scandalisés par cet imaginaire raciste qui présente les Noirs comme des gens stupides, bestiaux, préhistoriques. Dès qu’il s’agit de discriminer une partie de la population, ce n’est plus un déguisement normal. Et le pire, c’est que certains puissent ne pas comprendre en quoi cela pose problème ! Comment regretter qu’un jour on puisse arrêter de se moquer de certaines minorités ? "
Vous faites le buzz sur les réseaux sociaux en publiant une photo de jeunes grimés en personnes noires à l’occasion d’une fête entre étudiants. Pourquoi cette dénonciation ?
Nous menons en ce moment une campagne anti-blackface contre les institutions, en particulier dans le cadre du folklore belge. Nous condamnons énergiquement le blackface (le fait de se déguiser en personne noire en se maquillant notamment la peau) car il s’agit d’un symbole colonial qui n’est pas neutre du tout et qui permet de faire circuler des stéréotypes sur les Africains (comme, sur cette photo, le collier de bananes qui renvoie clairement à l’idée d’homme-singe). Nous sommes scandalisés par cet imaginaire raciste qui présente les Noirs comme des gens stupides, bestiaux, préhistoriques. Dès qu’il s’agit de discriminer une partie de la population, ce n’est plus un déguisement normal.
Vous souhaitez donc clairement voir disparaître tous les personnages noirs du folklore (dans les carnavals notamment) ?
Oui. La couleur de peau et la culture ne sont pas des déguisements. Et tout ce qui est symbole de colonisation dans le folklore belge est visé. J’aimerais préciser qu’on ne lutte pas contre des personnes mais bien contre des pratiques.
N’empêche. Dans votre communication, vous dites ceci : "… un public privilégié, bourgeois, là où le racisme est normal…" Le racisme serait normal dans le milieu bourgeois… Mais comment pouvez-vous affirmer quelque chose comme ça ?
On a eu pas mal de témoignages de gens qui peinent à trouver leur place dans les universités visées par la campagne. Ils disent faire l’objet de micro-agressions répétées. C’est vrai que toute la bourgeoisie n’est pas forcément raciste. Ce n’est pas ce que nous avons voulu dire. Juste qu’il y a moins de racisés dans ce milieu-là et, donc, forcément plus d’incompréhension entre blancs et racisés. Et il est vrai qu’on retrouve plutôt les coutumes que nous condamnons dans les milieux les plus aisés, parmi des personnes qui sont plus privilégiées que nous, les racisés.
Revenons sur ce terme : les racisés. N’y a-t-il pas une contradiction entre votre souhait d’être à juste titre considéré comme n’importe quelle autre personne et ce substantif de racisé qui en remet une couche sur votre stigmatisation comme si, au final, vous la revendiquiez ?
C’est au contraire pour condamner le fait que nous soyons racisés, montrés du doigt à cause de notre race.
Mais pourquoi votre collectif ne rassemble-t-il que des racisés et aucune personne blanche ? N’est-ce pas aussi de l’exclusion ? Ne participez-vous pas un peu plus à dresser les gens les uns contre les autres ?
D’abord, notre collectif se rattache au mouvement JOC (jeunes organisés combatifs) à dominante blanche. Ensuite, c’est une façon de nous constituer une zone de sécurité au sein de laquelle nous nous comprenons sans avoir à donner de longues explications. Par ailleurs, nous voulons mener nous-même notre lutte car nous sommes mieux à même de juger les difficultés que nous affrontons au quotidien. Elle n’a pas à être récupérée par d’autres qui voient cela de plus loin.
Vous êtes donc réunis au sein du collectif la Nouvelle Voie Anticoloniale et vous lancez : "Si vous avez déjà entendu parler de publications similaires racistes et de blackfaces, nous vous demandons de nous transmettre les informations. Il est temps que ces actes ignobles cessent." Un appel à délation : c’est violent aussi, ça, non ?
On a reçu des choses et on ne publie pas tout. Le but n’est pas de nous attaquer aux gens mais de montrer que ces comportements existent toujours et de les dénoncer.
N’avez-vous pas l’impression de voir le mal partout ?
Ceux qui disent qu’on voit le mal partout cherchent à excuser cette pratique et ces stéréotypes qui ne doivent plus être tolérés. Nous ne comprenons pas qu’aujourd’hui, on puisse encore ne pas voir où est le problème. Ce n’est pas normal !
Une polémique juste pour faire parler de vous ?
Sincèrement non. Si tel avait été le but, nous aurions été plus soigneux dans la communication.
Oui
Joseph Junker, ingénieur civil, dirige l'équipe Engineering & Energie d'un groupe de consultance technologique.
" Le principe des soirées costumées étant précisément de se grimer et de jouer avec les clichés, je ne vois pas vraiment de problèmes à se déguiser en Noir. Relancée par le collectif La Nouvelle Voie anticoloniale, cette polémique du "blackface" vise, selon moi, davantage à ce qu’on parle de leur mouvement, plutôt qu’à éviter le racisme ."
Suite à la publication de photos datant de 2015 d’étudiants "déguisés" en Noirs, lors d’une soirée privée, de nombreuses réactions ont émergé sur les réseaux sociaux. Qu’en pensez-vous ?
Personnellement, je ne vois pas vraiment le problème. Le principe d’une soirée costumée n’est-il pas précisément de se grimer et, éventuellement, de jouer avec des clichés ? Il s’agit d’ailleurs bien de jouer avec les clichés plus qu’avec les personnes elles-mêmes. Vous pouvez aisément imaginer ce que donnerait une soirée "franchouillarde", "British" ou "mexicano". Ainsi, le fait de se grimer en Noir est neutre en soi, à moins bien sûr que cela donne lieu à des moqueries désagréables ou que la situation soit dérangeante. En définitive, c’est le contexte qui détermine s’il est question de racisme.
Ces photos d’étudiants grimés en Noirs ont été dévoilées par une association antiraciste, La Nouvelle Voie Anticoloniale. Dans quel but selon vous ?
On sent l’intention de créer une polémique de toutes pièces là où il n’y en a en fait aucune : pourquoi ressortir deux ans après des clichés sortis de leur contexte ? Pourquoi choisir une "cible de choix" comme la "bourgeoisie" en amalgamant les rallyes et le "blackface", un événement privé et l’université, etc. ? On décèle une volonté de faire parler de soi et je doute franchement que la motivation première de cette démarche soit d’éviter le racisme. De plus, de nombreux exemples démontrent que ce genre d’actions excessives est non seulement contre-productif mais fait aussi progresser le racisme : à force de jouer les talibans du vocabulaire, de s’en prendre violemment à des faits insignifiants, de caresser dans le sens du poil les sentiments victimaires des communautés immigrées et d’accuser le tout-venant de raciste s’il ne se plie pas aux injonctions du politiquement correct, on finit par fracturer et diviser la société.
Comment cela ?
La Nouvelle Voie Anticoloniale demande de lui signaler tous les "blackfaces". Un tel appel à la délation montre bien à quel genre de mouvement on a affaire : ceux qui se complaisent à excommunier les autres, tout en s’estimant au-dessus des lois. La Nouvelle Voie anticoloniale, le Mrax, pour ne citer qu’eux, sont coutumiers de ce réflexe que je trouve tout à fait détestable : ils insultent leurs adversaires et les font passer pour racistes s’ils n’obéissent pas à leurs décrets. Ils édictent des dogmes auxquels on est prié d’adhérer instantanément. C’est un raisonnement dangereux et totalitaire. C’est ce que l’on constate en occurrence : on a un méchant bien méchant (les riches petits bourgeois blancs), des victimes parfaites (les pauvres Africains culturellement méprisés), un dogme à respecter (l’interdiction du "blackface"). Et peu importe la vérité, le bon sens ou la loi, les méchants doivent payer. On a vu très récemment où mènent ces injonctions "politiquement correctes" : on coupe court au débat, on empêche toute pensée contraire à la sienne d’émerger. A tel point que des populistes tels que Trump finissent par apparaître comme des libérateurs de la parole populaire, et sont élus présidents.
Vous voulez dire qu’en dernier lieu, ces associations font empirer la situation ? Et si c'était le cas, ne serait-ce pas injuste de dire que ce serait leur but ?
On constate en tout cas des dérapages communautaristes à répétition de ce genre d’associations : camps de vacances interdits aux Blancs, positions floues sur l’antisémitisme… Peut-on cependant aller jusqu’à dire que ces associations promeuvent le communautarisme ? Je n’irai pas jusqu’à dire que le communautarisme est le but recherché, mais c’est en tout cas le résultat de leurs actions. Reste à voir si cela vient d’un manque total de subtilité ou d’un but délibéré.
