L'assurance autonomie, un impôt mal déguisé? (RIPOSTES)
En quoi consiste l’assurance autonomie annoncée pour 2017 en Wallonie ? Favorisera-t-elle vraiment l’autonomie des seniors, comme le veut son objectif initial ? Ceux qui en doutent parlent plutôt d’assurance dépendance ou de taxe générale.
Publié le 02-12-2016 à 16h03 - Mis à jour le 02-12-2016 à 16h21
En quoi consiste l’assurance autonomie annoncée pour 2017 en Wallonie ? Favorisera-t-elle vraiment l’autonomie des seniors, comme le veut son objectif initial ? Ceux qui en doutent parlent plutôt d’assurance dépendance ou de taxe générale.
Objectif 2017 . Le parlement et le gouvernement wallons mitonnent les derniers préparatifs pour concrétiser en 2017 l’entrée en vigueur d’une assurance autonomie. Que sait-on du projet ?
Défi du vieillissement . En Wallonie, les 80 ans et plus passeront de 188 368 individus en 2015 à près de 405 000 d’ici 2060, avec une poussée marquée à partir des années 2025-2030. Cela signifie un besoin croissant en soins et services d’aides pour faire face aux conséquences de problèmes de santé divers (cancers, maladies chroniques, AVC…). L’objectif de l’assurance autonomie est d’accompagner la dépendance et de favoriser le maintien - dans de bonnes conditions - dans le milieu de vie habituel.
Combien ? Le financement repose sur la perception d’une cotisation (25 € pour les bénéficiaires de l’intervention majorée ou 50 €) annuelle obligatoire, prélevée par les mutuelles auprès de tous leurs membres de 26 ans et plus. Outre cette part générée par la cotisation annuelle obligatoire, le mécanisme sera également financé par du budget wallon consacré aux services d’aide à domicile et par le budget de l’Aide aux personnes âgées (APA) hérité du fédéral.
Comment ? Les demandes d’interventions seront gérées par les mutuelles. Elles chargeront un évaluateur (infirmier, assistant social, médecin généraliste…) de procéder à l’évaluation du niveau de dépendance du demandeur. Un plan d’aide sera ensuite défini par un service d’aide à domicile.
Maisons de repos et aides à domicile. L’assurance intervient pour tout résident en Wallonie en situation de dépendance quel que soit son âge. De deux manières selon le lieu de résidence. Soit au domicile, via un quota d’heures de prestations des services à domicile : aide-ménagère sociale, aide familiale, garde à domicile… Soit en maisons de repos par une réduction de la facture d’hébergement en fonction des revenus du pensionnaire (en remplacement de l’actuelle APA). Précisons que les personnes handicapées en institution ne sont pas concernées et bénéficient d’autres aides spécifiques.
Gain et coût. Selon les projections, cette assurance permettrait à ceux qui en bénéficieront d’en obtenir un retour de 300 €/mois en moyenne. Cela équivaut à 15 heures de prestations d’une aide-ménagère. A terme, le budget annuel global est estimé à 381 millions d’euros. C’est l’AVIQ, Agence wallonne pour une vie de qualité, qui sera chargée de sa gestion.
Non
Véronique Salvi, députée CDH au parlement wallon
" Une série de questions pratiques doivent encore être précisées, mais toute personne âgée d’au moins 26 ans cotisera et sera donc en droit d’obtenir des services lorsqu’elle sera considérée comme dépendante."
Pourquoi lancer une assurance autonomie en Wallonie ?
Cette assurance autonomie est une belle opportunité, un magnifique défi. Elle permettra de réduire la dépendance des personnes âgées en les aidant à rester à domicile le plus longtemps possible. Cependant, le texte officiel n’est pas encore sur la table du parlement, il y a une note cadre avec des accords sur une série de grands principes.
Ce type d’assurance existe déjà en Flandre depuis quinze ans. Pourquoi arrive-t-elle seulement maintenant en Wallonie ?
Il y a eu la réforme de l’Etat, puis c’est une question d’opportunité. A la fois le secteur et les décideurs politiques doivent être mûrs pour la mise en place d’une telle assurance.
Les mutuelles interviennent deux fois dans le parcours de cette assurance, d’abord pour prélever la cotisation puis pour activer la mise en route. Selon Philippe Defeyt, économiste et ex-président du CPAS de Namur, c’est inutile et complexifie le mode opératoire. Qu’en pensez-vous ?
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Je ne peux pas porter de jugement sur un texte qui n’est pas encore officiel. Au moment des négociations, ce n’était pas évident d’avoir une concertation politique suffisamment aboutie pour la mise en place de l’assurance autonomie. Aujourd’hui, c’est acquis et il y a une volonté commune de l’instaurer. Des concertations sont toujours en cours, notamment avec les acteurs de terrain. L’année 2017 sera une année charnière pour l’opérationnalisation.
Cette assurance autonomie n’est-elle pas un impôt déguisé ? La possibilité de la financer via un additionnel à l’impôt sur les personnes physiques a-t-elle été évoquée ?
Non, on n’en a pas du tout parlé. Il s’agit vraiment d’un modèle d’assurance pur et c’est important de le souligner. Il n’est donc pas du tout question d’impôt, de taxe ou autre. Ce sont des rumeurs.
Elle pourrait aussi s’apparenter à un financement alternatif des aides à domicile…
Non, c’est différent. Cela porte bien le nom d’assurance ce qui signifie que toute personne âgée d’au moins 26 ans cotisera et sera donc en droit d’obtenir des services à partir du moment où elle sera considérée comme dépendante. On est vraiment dans une association entre les pouvoirs publics et le mode "assurantiel". Au niveau des budgets, il y aura une intervention des pouvoirs publics. 80 % des budgets des Services agréés d’aide aux familles et aux aînés (SAFA) seront dédiés à cette assurance.
Quels aspects doivent encore être définis ?
Il y a encore une série de questions pratiques sur le calendrier, le budget et la mise en œuvre. Si on utilise 80 % des budgets des SAFA pour l’assurance autonomie, les 20 % restants seront-ils suffisants pour les autres types de personnes qui ont besoin de services ? Le milieu médical doit aussi préciser une série de critères pour définir la notion de dépendance.
Oui
Pierre-Yves Jeholet, député-bourgmestre de Herve, chef de groupe MR au parlement wallon
"Tous les Wallons cotiseront, mais seule une partie pourra bénéficier des prestations de l’assurance autonomie. Ce projet s’apparente donc à une taxe sur la potentielle dépendance future, sans certitude de contrepartie."
La Wallonie va mettre en place une assurance autonomie. Etes-vous satisfait ?
Avec 15 ans de retard sur la Flandre, la Wallonie envisage enfin la création d’une assurance autonomie. Nous l’appelions de nos vœux depuis de nombreuses années !
Qu’est-ce qui vous contrarie dans le projet du gouvernement ?
Le projet wallon repose sur une cotisation annuelle personnelle (25 à 50 euros) imposée à tous les Wallons de 26 à 65 ans. En contrepartie, en cas de survenance d’une dépendance suffisante pour y être éligible, les Wallons bénéficieraient d’une intervention sur le prix de journée de leur maison de repos ou d’une réduction de leur participation financière horaire due sur les prestations d’aides à domicile (aides familiales, ménagères-sociales ou gardes à domicile). En d’autres mots, cette assurance autonomie revient à la promesse d’octroi de "bons à valoir" dans le futur. Imaginé en ces termes, ce projet ne s’apparente-t-il pas, plus modestement, à une assurance dépendance voire à une taxe généralisée visant à financer la potentielle dépendance future ? En effet, ces "bons à valoir" se cantonneraient uniquement aux prestations de services à domicile. De ce fait, même si le maintien à domicile doit être privilégié autant que possible, ce mécanisme revient à une assignation à domicile, à une assurance dépendance, plus qu’à une réelle assurance autonomie qui, elle, permet à ses bénéficiaires de sortir de chez eux, de conserver une vie sociale, des loisirs, des visites à la famille, aux amis…
N’est-il pas logique de faire appel via cette assurance aux aides à domicile qui jouent un rôle de premier plan pour le maintien au domicile ?
La Wallonie sera incapable de garantir une intervention des services à domicile à toutes les personnes éligibles, en tout lieu et en tout temps. En effet, lesdits services sont, et ce depuis de nombreuses années, structurellement sous-financés. Chaque année, dès les mois de mai-juin, des services ne peuvent plus accepter de nouveaux bénéficiaires alors même que certaines personnes limitent leurs demandes voire y renoncent vu leur coût… En d’autres mots, tous les Wallons cotiseront mais une partie seulement pourra bénéficier des prestations de l’assurance autonomie ! En cela, ce projet s’apparente à un impôt mal déguisé, à une taxe sur la potentielle dépendance future, sans assurance d’une contrepartie. A l’analyse, derrière ce nom un peu racoleur mais très usurpé d’"assurance autonomie", se cache en fin de compte uniquement un financement alternatif des services à domicile visant à combler les carences régionales. A nos yeux, elle se devrait plutôt d’améliorer l’autonomie de nos seniors dépendants.
Vous critiquez. Mais, vous-mêmes, qu’auriez-vous fait ?
A l’inverse de l’approche "paternaliste" envisagée par la Wallonie, nous privilégions une indemnisation en espèces qui profiterait à tous les Wallons concernés, à l’instar de la Flandre. Cette option est la seule qui garantisse la liberté de choix de nos seniors dépendants ou leur entourage, sous un regard professionnel bienveillant. Qui d’autre sait mieux comment organiser leur autonomie au regard de leurs souhaits, de leur situation spécifique, du soutien dont ils disposent ? Ne convient-il pas de remettre l’humain au centre des préoccupations plutôt que d’y placer les structures ? Ne devrait-on pas outiller ces dernières afin qu’elles puissent s’adapter à l’évolution des besoins ? La base de l’édifice à construire doit aussi et même surtout s’appuyer sur une réflexion prospective et des statistiques fiables et à jour. Elles manquent cruellement aujourd’hui. A défaut, l’assurance autonomie, tout comme les autres initiatives à prendre, manqueront l’objectif et seront financièrement bancales (augmentation rapide des cotisations, etc.). Du reste, la prévention au sens large reste le grand absent du débat, songeons notamment aux logements adaptables, aux voiries pour tous, aux moyens de transports adaptés, etc.