Stop aux nouvelles constructions sur les espaces libres en Flandre, le bon plan?
Publié le 13-12-2016 à 14h14 - Mis à jour le 13-12-2016 à 14h15
Le gouvernement flamand a décidé qu'en 2040, on ne pourrait plus bâtir sur les espaces libres. Ce plan, surnommé "Stop béton", est impossible à mettre en place, selon ses détracteurs. Surprise: la Wallonie est en avance sur la Flandre.
Oui
Leo Van Broek, l'architecte qui conseille le gouvernement flamand.
" Multiplier les lotissements entraîne la destruction des campagnes et des paysages. Mieux vaut miser sur des agglomérations compactes de minimum cinquante maisons par hectare. Avec des jardins et des piscines partagés, pour disposer des mêmes avantages que dans les fermettes esseulées. Et des commerces, des écoles, des crèches… pour ne plus devoir prendre la voiture à tout bout de champ."
Le gouvernement flamand a conclu un accord sur son plan d’aménagement du territoire, aussi appelé "stop au béton". Cet accord est-il révolutionnaire ?
Pour le moment, en Flandre, on bâtit sur 6 hectares par jour. D’ici 2025, on devrait réduire cette empreinte spatiale à 3 hectares, et d’ici 2040, on ne devrait plus du tout construire de nouvelles constructions sur des terrains libres. Pour moi, on se dirige dans la bonne direction, en vue de préserver les campagnes, réduire les embouteillages et les émissions de CO2. Après, il restera encore à diminuer notre empreinte spatiale.
Concrètement, comment est-ce possible ? En entassant les gens dans les villes ?
C’est beaucoup de travail pour les architectes. C’est un travail qui va durer plusieurs décennies. Les grandes villas unifamiliales, dans des espaces ouverts, ce n’est plus possible ; c’est un modèle intenable. Il faudra opter pour des appartements ou bien des maisons juxtaposées, avec jardins et piscines partagés. Le défi ? Construire de telle façon qu’on puisse continuer à faire tout ce qu’on peut faire dans une fermette, mais dans des agglomérations de minimum cinquante maisons par hectare. Avec des commerces, des écoles… pour ne plus devoir prendre la voiture à tout bout de champ.
La vie à la campagne, dans la nature, est-ce donc fini ?
Au contraire, ce plan, c’est la seule façon de sauver la campagne. Regardez l’exemple de la Toscane. San Giminiano, c’est presque 200 maisons par hectare. Et la région alentour est magnifique, car elle est préservée. Le plus grand malentendu belge, c’est qu’un lotissement étendu serait un mode d’habitat rural, alors que ces lotissements détruisent la campagne et les paysages. Depuis des millénaires, l’habitat rural est justement constitué de hameaux compacts, des micro-cités pour ainsi dire. Certes, il y a aussi des fermes. Mais là habitent des fermiers. Et pas des avocats, des ingénieurs et des médecins qui font la navette jusqu’à Bruxelles, Gand ou Liège ! Ce qui vaut pour la Flandre vaut pour la Wallonie. Les problèmes de mobilité sont une conséquence du malentendu spatial du lotissement. Dois-je rappeler que la Belgique est la championne des embouteillages ?
Les personnes possédant un terrain à bâtir en Flandre doivent-elles s’inquiéter ?
Pour les personnes possédant une parcelle de terrain à bâtir définie dans les plans d’aménagement du territoire, il n’y a pas de problème. Les zones qui sont actuellement définies comme "zones vertes" pourraient éventuellement changer d’affectation. Il y aura aussi une solution pour les personnes qui verraient leur terrain changer de nature, notamment sous la forme d’un remboursement ou d’un système d’échange.
Cela ne risque-t-il pas de coûter cher à la Flandre ?
D’ici 2040, cela coûterait 1,5 milliard d’euros, mais, en Flandre, les déductions de taxes pour les automobiles, c’est 4 milliards d’euros par an… Avec une telle opération anti-embouteillages, le bénéfice est certain.
Le projet flamand de plan d’aménagement
Trente-trois pour cent du territoire de la Flandre est occupé par l’activité humaine (logement, industries, commerces…) et 14 % recouvert par du béton ou des pavés (routes, parkings…). Cette empreinte spatiale compte parmi les plus importantes d’Europe. Chaque jour, six hectares de terrain continuent cependant d’être bâtis. Avec pour conséquences des embouteillages, des inondations, un manque d’espaces verts, etc.
Cette situation ne peut plus durer, explique la ministre de l’Environnement, Joke Schauvliege (CD&V) : " C’est pourquoi, d’ici 2025, nous allons réduire notre expansion à seulement 3 hectares par jour. Et d’ici 2040, nous arriverons à une expansion nulle. En termes de surface, dans les prochaines années, sur les 72 000 hectares destinés à étendre habitations et industries, seuls 24 000 seront utilisés ".
Non
Luc Van der Kelen, éditorialiste au quotidien "Het Laatste Nieuws".
" C’est une décision radicale, drastique et injuste. De quel droit les parents d’aujourd’hui empêcheraient-ils leurs enfants et petits-enfants de construire une maison chez eux en Flandre ? Devront-ils émigrer en Wallonie ? "
Le dernier plan flamand d’aménagement du territoire, aussi appelé "Stop au béton", stipule que, dès 2040, aucun espace supplémentaire ne pourra être construit, et que l’expansion devra être limitée à trois hectares par jour dès 2025. Que vous inspire ce plan ?
Je suis très sceptique sur cette décision d’arrêter de bâtir en 2040 en Flandre sur des espaces libres. Ça me rappelle le "kernstop". A l’époque, le gouvernement Verhofstadt avait annoncé la sortie du nucléaire et la fermeture des centrales pour 2015. Une loi dans ce sens avait été votée par le Parlement. Et tout le monde sait ce qu’il en est advenu : rien. Le gouvernement actuel ne peut pas engager les gouvernements et parlements futurs sur l’interdiction de nouvelles constructions. Et de leur dire : "Débrouillez-vous". Vraiment, ça ne mange pas de pain de prendre une telle décision aujourd’hui pour l’horizon 2040.
Le gouvernement flamand souhaite diminuer les embouteillages, les kilomètres d’égouttage et mettre fin au désordre dans l’aménagement du territoire. N’est-ce pas louable ?
Je comprends que des mesures soient prises, je comprends que nous ne pouvons pas continuer à bâtir sans cesse dans des espaces libres et couler encore plus de béton sur notre territoire pour créer des places de parking ou des routes, mais pourquoi une décision si radicale et si drastique ? Pourquoi ne pas commencer de façon plus raisonnée comme d’arrêter l’extension urbaine linéaire, cette façon de construire de longues rangées de maisons qui bordent les routes ?
La volonté est aussi de redensifier les villes.
Les gens seraient-ils plus heureux s’ils vivaient dans une boîte de béton de cinq ou dix étages, plus près de leur travail ou d’un supermarché ? Certainement pas, sinon pourquoi des centaines de milliers de Flamands habitent-ils aujourd’hui à la campagne s’il est si confortable d’habituer un immeuble en ville ?
Comment va réagir la population ?
Elle n’est pas préparée. Cette interdiction qui va peser sur les générations futures n’est pas juste. De quel droit les parents d’aujourd’hui empêcheraient-ils leurs enfants et petits-enfants de construire une maison chez eux en Flandre ? Devront-ils émigrer en Wallonie où il restera encore un peu d’espace ? Ou à l’étranger ? Avec cette décision, les prix des terrains à bâtir en Flandre vont s’envoler de plus belle. Les riches vont pouvoir construire, mais plus les classes moyennes.
N’est-ce pas plus clair de fixer un tel objectif à atteindre ?
C’est une mesure idéologique. Mon collègue Jan Segers a posé récemment posé une bonne question : a-t-on encore le droit de vivre ? D’après nos responsables politiques, non : finis les feux ouverts nocifs pour l’environnement, fini le sucre qui nuit à la santé, finis les sodas, finie la cigarette, finie la voiture, finie la bière dans un pays où elle fait partie du patrimoine culturel. Dans les années soixante, il était interdit d’interdire. Peut-être faudrait-il rappeler cette maxime aujourd’hui.
Et en Wallonie ? "Pourquoi pas", répond Carlo Di Antonio
"Très bien , cet objectif de limiter l’urbanisation. Nous le partageons mais le réalisons autrement" , commente Carlo Di Antonio, ministre de l’Aménagement du territoire en Wallonie.
Sur les chiffres . La Flandre annonce que, dès 2025, l’expansion devra déjà être limitée à trois hectares par jour. " Cet objectif n’est pas si ambitieux qu’il veut paraître. On y est déjà en Wallonie ", affirme le ministre. " Ces dernières années, la Wallonie n’urbanise pas plus de 1 000 hectares par an ." Et cela va encore baisser. " Notre volonté est de densifier les villes via notamment les mesures du Code du développement territorial (CoDT), les projets Quartier nouveaux et les friches à réhabiliter."
Dès 2040 , aucun espace supplémentaire ne pourra plus être construit en Flandre. Et en Wallonie ? " J’ai été surpris par l’énoncé. On n’a jamais abordé les choses comme ça mais cela me paraît être un bel objectif. J’aime bien l’idée de dire qu’à un moment, il faut pouvoir s’arrêter. Je crois opportun de mettre les outils en place pour aller aussi dans ce sens. Toutefois, la fin de toute augmentation nette devrait s’accompagner d’une souplesse permettant, par exemple, des échanges de terrains."
Pas de comparaison . "La Flandre est dans une situation nettement plus dense que la nôtre , souligne Carlo Di Antonio. Et l’urbanisation chez eux de 1 000 hectares par an entre 2025 et 2040 va intensifier cette densité".
"Leur formulation est toutefois sympa parce qu’elle fixe l’image d’un objectif, même s’il n’est pas très ambitieux , conclut le ministre, qui gère également l’Environnement et pointe une autre annonce récente du gouvernement flamand : en 2050, les voitures à moteur thermique y seront interdites. Croyez-vous qu’en 2050, il existera encore des autos à moteur thermique ? Je ne suis pas sûr. Mais l’objectif de viser zéro émission de CO2 pour les modes de transport de personnes en 2050 est bien parlant".