Des formations à l'islam pour les policiers, la bonne idée?
Publié le 10-01-2017 à 10h06 - Mis à jour le 10-01-2017 à 10h17
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Les policiers bruxellois vont suivre une formation sur l'islam et l'islamisme. Objectif: ne pas confondre une religion et ses déviances. Certains dénoncent cependant des cours inutiles qui alimentent le communautarisme.
Oui
Rudi Vervoort, Ministre-Président de la Région de Bruxelles Capitale, notamment en charge de Bruxelles-Prévention&Sécurité.
" Une formation de base permet d’appréhender la culture et la religion musulmanes puis de faire la part des choses entre l’islam et l’islamisme radical. Dans ses fonctions de prévention de la radicalisation et du terrorisme, il est important que les policiers de terrain n’aient pas des idées réductrices."
Dès février 2017, une formation sur l’islam et l’islamisme sera proposée aux policiers bruxellois. De quoi s’agit-il ?
On parle ici d’un cycle composé de plusieurs modules. Ce cours est une première étape pour appréhender la culture et la religion musulmanes et de faire la différence avec l’islamisme et ses composantes radicales. Cette formation a été développée par l’organisation "Centrum voor Expertise en Advies inzake Preventie en Interventie met betrekking tot Radicalisme en Extremisme" (Ceapire). Dans le cadre du "projet radicalisme", Bruxelles-Prévention&Sécurité et l’Ecole régionale et intercommunale de police (ERIP) vont offrir à la police zonale de la région ce module de base. Ce sera un prérequis pour suivre ensuite une autre formation, dite Coppra (Community Policing and the Prevention of Radicalism).
En quoi une telle formation s’avère nécessaire ?
Une des fonctions de la police est la prévention de la radicalisation et du terrorisme. A ce titre, il importe que nos forces construisent des rapports mutuels respectueux et non réducteurs à propos de questions complexes. Pour comprendre les phénomènes de radicalisation qui partent d’une religion ou d’une culture, il faut connaître un minimum les origines sur lesquelles ils se greffent. De même la radicalisation de mouvements d’extrême droite appelle à un décryptage minimal du socle social où se sont cristallisés ces groupuscules.
Des détracteurs considèrent qu’une telle formation est susceptible de stigmatiser les musulmans en Belgique. Que répondez-vous ?
Le radicalisme est toujours la déviance d’une forme de pensée qui n’est a priori ni condamnable ni à stigmatiser. Des spécialistes pourront vous expliquer comment l’écologie produit aussi des rejets radicaux. Personne ne pense remettre en cause l’écologie. Non, il ne s’agit pas de stigmatiser mais d’offrir une base de connaissances et de compréhension d’un phénomène social. On ne peut pas approcher le radicalisme sans faire l’économie de l’histoire et des courants de pensée. Les idées de personnes comme Rachid Benzine, islamologue franco-marocain renommé et figure de proue de l’islam libéral, sont intégrées à cette formation. Et cela peut aider. Sa lecture, plus conforme au vrai islam, donnera des armes contre ceux qui font dévier les discours religieux classiques. Vous avez vu les résultats de l’enquête "Noir Jaune Blues" de la RTBF et du "Soir" ? Elle dévoile un citoyen belge qui a perdu confiance en ses institutions, tenté par le repli sur soi et qui tend à rejeter l’étranger. Une telle formation va démontrer que le problème n’est pas l’islam mais bien certains radicaux qui en font une lecture divergente et orientée.
Non
Hamid Bénichou, premier agent de quartier bruxellois d'origine immigrée et acteur de terrain.
" Ce n’est pas un cours sur le contenu du Coran qui va aider les policiers à maîtriser un délinquant furieux d’avoir été pris en flagrant délit ou un terroriste qui est sur le point de mener un attentat. Un délinquant reste un délinquant… De plus, en se focalisant sur les musulmans, j’estime que ces cours participent à leur stigmatisation et alimentent le communautarisme. "
Alors que les médias annonçaient, ce week-end, l’organisation d’une formation sur l’islam à l’Ecole régionale et intercommunale de police (ERIP), vous avez posté un statut sur Facebook pour dénoncer "une arnaque". Pourquoi ?
Des démarches similaires ont déjà été expérimentées dans les années nonante à Bruxelles. Les services de diversité de l’ancienne gendarmerie, avec le concours du formateur Said H., avaient mis sur place une formation basée sur le contact avec l’autre, surtout d’origine maghrébine. Certaines communes avaient répondu positivement à cette initiative. D’autres, par contre, avaient refusé de participer à cet élan pour des raisons qui leur étaient propres. Au total, cette expérience n’avait pas donné les résultats escomptés. Comme le reconnaissait lui-même le formateur, la motivation des policiers communaux était faible. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas un cours sur le contenu du Coran qui va aider les policiers à maîtriser un délinquant furieux d’avoir été pris en flagrant délit ou un terroriste qui est sur le point de mener un attentat.
Pour vous, ce genre de formation ne serait donc vraiment d’aucune utilité ?
Il faut cesser de prendre les policiers pour des ahuris. La police sait très bien qu’on n’intervient pas de la même façon dans un appartement d’une personne de 80 ans que dans celui d’un jeune couple de 30 ans. Cela va de soi. Bien que je sois musulman pratiquant, quand j’ai été recruté en 1991, on ne m’a pas formé au judaïsme ni au christianisme pour intervenir auprès des familles juives ou chrétiennes. Je ne vois pas pourquoi, aujourd’hui, il faudrait que les policiers apprennent certaines notions de l’islam. Nous sommes tous des citoyens égaux devant la loi. Et lorsque la police intervient dans une famille ou interpelle quelqu’un, ce n’est généralement pas dans le but de discuter de questions religieuses. Un délinquant reste un délinquant, au-delà de ses appartenances philosophiques, ethniques ou religieuses.
Dans un autre de vos statuts Facebook, vous racontez aussi que vous avez suivi volontairement la formation Coppra (contre la radicalisation) et qu’à cette occasion, vous aviez eu "mal à vos oreilles"…
J’ai entendu de nombreux propos stigmatisants, dont les signes auxquels on pourrait reconnaître un futur "terroriste" : le changement de nom, la barbe, le port du Kamis… Franchement, c’est n’importe quoi. Les assassins du chanteur Hasni et du dramaturge Alloula durant la décennie noire algérienne étaient habillés en training et ne portaient pas de barbe ! On peut dire que les services de formation de la police n’ont pas fait Cambridge… Aujourd’hui, posons la question aux policiers qui ont suivi la formation Coppra pour avoir leur sentiment et leur demander s’ils veulent faire un autre tour de piste.
Mais si, comme vous le dites, ces formations sont contre-productives, pourquoi continue-t-on à en organiser ?
C’est certainement le fait des "bobos islamophiles" et des "islamo-communautaristes", qu’on retrouve dans tous les partis politiques. En refusant de séparer la sphère religieuse et la sphère étatique, ils alimentent dangereusement le communautarisme.
Une formation sur l'islam et l'islamisme
L’ERIP, Ecole régionale et intercommunale de police, est le centre de formation commun aux 6 zones de police bruxelloises. Le menu en formation est varié : motocycliste, maître-chien de patrouille, drogues avec l’ASBL Transit, technique de menottes, cybercrime "How to start", maîtrise de la violence sans arme à feu, etc.
La formation sur l’islam, agréée par la police fédérale, est déjà dispensée à l’école de police d’Anvers - Campus Vesta - et à celle du Brabant flamand - PIVO. Il n’y a donc rien de spectaculaire ou qui pose problème, souligne Bruno Debrabandere, coordinateur des formations continuées à l’ERIP.
Contenu ? La formation est intitulée "Questions particulières dans le cadre de l’islam et de l’islamisme". Le contenu est composé de connaissances de base de l’islam, l’histoire de l’immigration de 1960 à aujourd’hui, les différentes communautés liées à l’islam présentes en Belgique, la différence entre religion et culture, actions préventives et interventions.
Pour qui ? Cette formation qui dure un jour est destinée aux policiers des 6 zones de la Région de Bruxelles-Capitale, à raison de 25 participants par jour et devrait commencer dès février.
Appel à nos dirigeants
Le juriste Etienne Dujardin dénonce aussi cette formation à destination des policiers bruxellois "visant à gérer les conflits lors des interventions avec les musulmans".
Partageant les arguments d’Hamid Bénichou, il insiste : " Le laxisme à tous les étages et le communautarisme ont donné la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Alors, de grâce, que nos dirigeants cessent de faire des erreurs magistrales ! Pour résoudre la situation actuelle, ce n’est pas des cours d’islam aux policiers qu’il faut donner, mais des parcours d’intégration obligatoires et extrêmement poussés aux populations fragilisées, car c’est à elles de s’adapter… "