Faut-il instaurer un péage urbain à Bruxelles?
Publié le 27-11-2018 à 09h40 - Mis à jour le 02-04-2019 à 10h03
Après des années de tergiversations, l'Etat de New York a voté lundi la mise en place d'un péage urbain pour pour rouler au cœur de Manhattan à partir de 2021. Ce péage se construira sur le modèle de péages instaurés à Londres, Stockholm ou Singapour. Et à Bruxelles? En novembre, le parlementaire bruxellois Emmanuel De Bock (Défi) avait prononcé un plaidoyer pour l’introduction d’un péage urbain à l'entrée de la ville afin de lutter contre la pollution de l’air. Ses détracteurs y voient cependant un risque pour l’économie.
Oui pour Hugues Duchâteau, ingénieur civil, président du CA du bureau d’études Stratec
Le péage urbain est une solution efficace pour désengorger la ville. Il existe d’ailleurs des solutions pour compenser ceux qui ne peuvent se passer de leur voiture. Enfin, les commerçants bruxellois ne doivent surtout pas craindre pour leur chiffre d’affaires.

Instaurer un péage urbain pour désengorger la ville, cela fonctionnerait ?
C’est le but. Le péage peut décourager un certain nombre d’automobilistes par rapport au fait de se mettre en circulation dans la ville aux moments les plus congestionnés. Soit en différant leur départ à une période plus creuse, soit en changeant de mode de transport. À l’intérieur d’un certain périmètre, comme celui de la région de Bruxelles ou de la zone située à l’intérieur de la moyenne ceinture, par exemple, tous ceux qui circulent entre 7 h et 19 h devraient au préalable s’être acquittés d’un péage. Une autre solution pourrait être de faire payer au kilomètre. C’est-à-dire que quelqu’un qui fait des livraisons paierait plus que quelqu’un qui fait quelques kilomètres le matin et pareil le soir. À Londres, ils ont opté pour la solution du péage de zone. On paie un abonnement à l’année ou par forfait avec son smartphone, selon la zone où l’on circule. Mais il peut y avoir une certaine injustice ressentie si l’on ne paie pas en fonction du nombre de kilomètres parcourus.
N’y a-t-il pas d’autres solutions ?
On pourrait penser à la taxe sur les carburants, ou encore à abaisser le prix des transports publics. Mais on sait bien qu’entre voiture et transports publics, le choix n’est pas toujours question de prix. Le péage est facile et ne coûte pas grand chose à mettre en place.
Certains n’ont effectivement d’autre choix que de se déplacer en voiture… Est-ce qu’assumer le coût du péage ne pénalisera pas les couches précaires de la population, tandis que d’autres n’y verront que du feu ?
C’est un problème qu’il faut absolument résoudre. En effet, il faut compenser les captifs de la voiture en cas de péage. Dans d’autres pays, on a réfléchi à toutes les manières de compenser les "perdants", c’est-à-dire ceux qui n’ont pas d’alternative dans les transports publics et qui sont obligés de prendre la voiture. Les "gilets jaunes", par exemple, c’est une manifestation de "perdants". Ces gens pour la majorité n’ont pas d’autre solution que de se déplacer en voiture. En outre, on leur impose une taxe carbone. Ils se disent : "Ça n’a pas d’effet ; je ne peux pas améliorer la situation environnementale en changeant de mode de transport." Dans des zones très peu peuplées de France, il est évident que la taxe carbone pose problème. C’est pourquoi le gouvernement doit compenser cela en utilisant une partie de la recette de la nouvelle taxe (ou du péage dans notre cas) pour trouver des solutions pour les personnes concernées.
Quel genre de compensation ?
À Stockholm, par exemple, l’argent du péage urbain va être en partie consacré à développer le réseau des transports publics. À Londres, il est affecté à diminuer leur coût.
Oserait-on évoquer le RER comme solution de compensation pour certains "perdants" chez nous, qui n’ont d’autre solution que de prendre leur voiture pour le moment ?
Bien sûr, mais là il y a un problème institutionnel, propre à la Belgique. Le RER n’a de régional que le nom. C’est le fédéral qui paie les infrastructures et le fonctionnement du RER. Raisonnablement, il faudrait que les recettes du péage de zone soient en partie remises par la Région de Bruxelles au fédéral pour qu’il améliore le RER. Ou bien que le réseau de chemin de fer dans la ville devienne une compétence régionale. Mais vous imaginez que c’est quelque chose qui n’est pas prêt d’être décidé. Il y a bien sûr le budget Beliris pour Bruxelles qui doit servir à toute la population belge. Ce budget pourrait être consacré au RER, mais il y a tellement d’autres motifs pour que l’argent du fédéral aille à Bruxelles que c’est une décision très difficile à prendre.
Que diriez-vous aux commerçants bruxellois qui craignent des retombées négatives, en termes de chiffre d’affaires, si on instaurait un péage urbain ?
Qu’ils se trompent tout à fait. Ce qui nuit le plus à l’accès aux commerces dans la ville, c’est la congestion. Le péage urbain est là pour la limiter aux heures de pointe. Je pense plutôt que les commerçants devraient se féliciter de ce projet.
Entretien : Anne Lebessi
Non pour Christine Mattheeuws, présidente du Syndicat neutre pour indépendants
Instaurer un péage urbain serait une catastrophe économique pour Bruxelles. Pas moins de 5 % des travailleurs risqueraient de partir et l’Horeca et le secteur de la culture en souffriraient particulièrement. Pourquoi ne pas investir dans les transports en commun plutôt que de sanctionner ?

Que pensez-vous de l’idée d’instaurer un péage urbain à Bruxelles ?
C’est une très mauvaise idée. Nous ne vivons plus au Moyen Âge. Je comprends qu’on veuille réduire le nombre de voitures à Bruxelles mais je pense qu’on pourrait y arriver de façon positive et pas en sanctionnant tout le monde. Ce serait désastreux d’un point de vue économique. Les chiffres officiels indiquent qu’il y a 328 500 navetteurs chaque jour vers Bruxelles. C’est énorme. Des experts ont déjà calculé que si on instaurait un péage urbain à Bruxelles, il y aurait 5 % de travailleurs en moins dans la capitale. Ces personnes iraient chercher du travail ailleurs, autour de la ville. Les secteurs qui souffriraient particulièrement de cette mesure seraient l’Horeca et la culture. Une personne qui voudrait visiter la ville devrait payer l’entrée qui coûterait le prix d’un hors-d’œuvre, d’une bière ou d’un apéritif. De plus, le parking représente un coût, il n’est pas bon marché. Pourquoi cette personne devrait-elle choisir Bruxelles si elle peut aller ailleurs ? C’est dommage car notre capitale est très chouette à visiter. Bref, ce serait une catastrophe pour ces secteurs qui ont déjà souffert des suites des attentats. Le secteur de l’Horeca est le premier en termes de faillites, tout comme celui de la construction.
De plus, la mesure ne ferait que renforcer la colère des "gilets jaunes" qui se plaignent déjà du coût de la vie.
Cette mesure est proposée pour réduire la fréquence des pics de pollution à Bruxelles. Instaurer un péage urbain ne permettrait-il pas d’avoir un air plus sain dans la capitale ?
Il faut plutôt se demander pourquoi tant de personnes préfèrent prendre leur voiture pour s’y rendre. Les chiffres officiels indiquent que 9 % des trains ne sont pas à l’heure, c’est-à-dire qu’ils ont plus de 6 minutes de retard. De plus, il n’y a pas de gare à chaque coin de rue. Plusieurs employés de notre entreprise viennent travailler chaque jour en train, en bus, en métro car nous sommes situés dans le centre de Bruxelles. Combien de fois n’ont-ils pas envoyé un message pour nous informer de leur retard à cause d’un transport en commun défaillant ou carrément supprimé ? Ce n’est pas agréable.
Selon moi, il faudrait plutôt investir dans les transports en commun plutôt que de sanctionner tout le monde. S’ils fonctionnaient très bien, qu’on pouvait réellement compter sur leur ponctualité et s’il y avait moins de grèves, je suis certaine que des personnes abandonneraient plus facilement leur voiture.
Il faudrait également proposer des réductions aux personnes qui prennent les transports en commun pour se rendre à Bruxelles.
Entretien : Louise Vanderkelen