Saint-Nicolas, Père Noël : faut-il dire la vérité aux enfants?
Publié le 21-12-2018 à 09h54 - Mis à jour le 21-12-2018 à 13h26
Noël, c’est dans quelques jours. Alors que la plupart des enfants attendent impatiemment la venue du fameux personnage et sa hotte pleine de jouets, ou un peu avant, celle de saint Nicolas, certains parents choisissent de leur dire la vérité le plus tôt possible. Quitte à les décevoir ?
Oui pour Catherine Dumonteil Kremer, conférencière, auteure d’"Agathe ne croit pas au Père Noël"
Les enfants n’ont pas besoin d’un personnage fictif pour s’émerveiller et profiter de ce moment de bienveillance. Pourquoi ne pas fonder la magie de Noël sur l’attention que nous nous portons les uns aux autres, plutôt que sur un personnage imaginaire ?

D’après vous, faire croire aux enfants - même pour un temps défini - que le Père Noël ou saint Nicolas existe est une mauvaise idée. Pourquoi ?
Déjà, parce que cela interdit aux enfants d’exprimer leur gratitude. Moi, en tant qu’enfant, j’ai adoré recevoir des cadeaux dont je savais qu’ils m’étaient offerts par ma grand-mère, mon père, ma mère, mes amis… et donc j’ai fait la même chose avec mes enfants. Je trouve que c’est merveilleux pour eux de savoir que des adultes ont passé du temps à choisir un cadeau spécialement pour eux. C’est ça pour moi, la vraie magie de Noël.
Le Père Noël n’est donc pas un "bon mensonge" ?
Il n’y a pas de "bon" mensonge. C’est d’ailleurs le seul mensonge que toute la société relève et auquel aucun adulte ne croit. Quand on dit à un adulte : "Tu crois encore au Père Noël", cela veut dire "tu te fais des illusions". Les enfants, même tout petits, ont un désir de découvrir la réalité. Pour nous adultes, une fleur qui s’ouvre n’est pas considérée comme un événement merveilleux ; mais pour un enfant, si. Les découvertes qu’ils font sont énormes par rapport à la fraîcheur de leur sensibilité. Il y a mille aspects de la réalité qui sont fascinants à découvrir, sur la nature, le fonctionnement des humains, et quand ils le découvrent, ils ne sont pas déçus ! Pourquoi leur mettre un Père Noël en travers de leur route ? C’est gaspiller un ressenti.
Mais puisque d’une manière ou d’une autre, les enfants finissent toujours par découvrir la vérité, où est le problème ?
Pour moi le Père Noël n’est pas compatible avec mes valeurs, parce qu’il apporte des cadeaux au monde occidental pendant que le reste de la planète est en train de crever de faim. Je crois que c’est un Père Noël qui n’est pas juste, puisqu’il apporte des cadeaux aux nantis, et pas dans les familles pauvres. Bref, le Père Noël déforme le point de vue des enfants sur la réalité. Ils se rendent d’ailleurs très vite compte qu’il n’existe pas, puisqu’on en voit partout… De plus, les enfants qui savent que le Père Noël n’existe pas ont parfois un sentiment de supériorité sur ceux qui y croient encore. Et il faut voir les parents, qui sont très embarrassés avec ça et évitent à tout prix de le dire à leur enfant parce qu’ils savent bien que cela va amener un drame, et ce, d’autant que ce sont eux qui ont amené cette croyance. Ce qui fait qu’on se retrouve parfois avec des pré-ados qui croient encore au Père Noël et qui sont la risée des classes. Les enfants n’ont pas besoin de fausse magie pour que la fête soit ritualisée, charmante, lumineuse et pleine d’attention.
Apprendre que le Père Noël n’existe pas après y avoir cru, n’est-ce pas un rite de passage nécessaire pour que l’adulte futur ne croit pas nécessairement tout ce qu’on lui raconte - y compris ses parents ?
Mais je ne veux pas mettre dans la tête de mes enfants qu’ils vivent dans un monde obscur ! Au contraire, je veux leur donner l’idée qu’ils peuvent compter sur moi. Je pense que ce serait vraiment une mauvaise idée de vouloir habituer ses enfants à perdre confiance en toute personne qui les entoure. Il ne s’agit pas de leur éviter toute souffrance, mais de leur permettre de se connecter à eux-mêmes dans la réalité de ce qu’ils ressentent, et ensuite de se connecter aux autres pour prendre en compte leurs besoins et leur ressenti - ce qui est le but de l’éducation. On peut apprendre aux enfants à gérer les souffrances que la vie amène sans pour autant créer des souffrances de toutes pièces. C’est inutile : elles aussi arrivent de toute façon dans l’existence des enfants.
Entretien : Clément Boileau
Un conte de Noël sans le Père Noël
Pour la petite histoire , le livre devait s’appeler La Magie de Noël " , explique Catherine Dumonteil Kremer à propos de son livre, Agathe ne croit pas au Père Noël . Lequel narre la période de Noël... sans Père Noël. "Mais mon éditeur m’a dit que nous risquions de piéger des gens qui penseraient qu’il est question du Père Noël. Alors que le livre raconte que ce qui est magique durant cette période, c’est plutôt le fait de se retrouver en famille, d’avoir des attentions les uns pour les autres, etc."
Le Père Noël, sapeur de confiance ?
Étude. "Si les parents sont capables de mentir à propos d’une chose aussi spéciale et magique, peut-on continuer à leur faire confiance en tant que gardiens de la sagesse et de la vérité ?" Telle est la question que se sont posée les psychologues Christopher Boyle et Cathy McKay, dans le journal The Lancet Psychiatry . "Tous les enfants finissent par constater qu’en fait, on leur a menti pendant des années, ce qui peut les pousser à se demander sur quoi d’autre leurs parents pourraient leur avoir menti" , s’interrogent ainsi les chercheurs.
Retour en enfance. Dans ce cas, pourquoi les adultes persistent à perpétuer un aussi gros mensonge ? "Le succès de fictions telles qu’Harry Potter, Docteur Who ou Star Wars montre que les adultes sont très enclins à retourner momentanément en enfance" , tentent les deux psychologues, qui estiment que perpétuer le mythe du Père Noël est aussi une façon égoïste pour les parents de replonger (momentanément) en enfance. "La plus grande violation morale du mensonge de Noël est peut-être le fait qu’un jour, la vérité est révélée" , concluent les chercheurs.
Non pour Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre
Le Père Noël ou saint Nicolas nourrissent l’imaginaire des enfants et leur permettent de se "protéger" du réel… auquel ils ont affaire un jour ou l’autre. Pour les parents, il s’agit plus d’adhérer à une culture populaire que de perpétuer un mensonge élaboré pour tromper l’enfant.

Faut-il dire le plus tôt possible à son enfant que le Père Noël ou saint Nicolas n’existent pas ?
Je ne participe pas du tout à ce courant qui veut imposer la réalité externe en allant casser des croyances qui font plaisir, pendant un temps, aux enfants. Croyances avec lesquelles les enfants peuvent rêver, jouer dans leur tête, et qu’ils prolongent un peu parfois. Certains vous disent par exemple qu’ils croient encore au Père Noël et à saint Nicolas, alors qu’ils n’y croient plus tant que ça, mais le fait de faire comme si leur croyance était toujours totale leur permet de gagner un peu de temps, et peut-être aussi d’obtenir les cadeaux qu’ils imaginent qu’ils ne recevraient plus si tout à coup ils devenaient des "grands".
L’enfant a-t-il vraiment besoin de ces personnages pour développer son imaginaire ?
Ces personnages nourrissent l’imaginaire : l’enfant va se raconter des histoires et c’est très bien ! Il ne le fait pas seulement pour s’amuser, mais aussi parfois pour se consoler, pour être fort, pour se donner l’impression que le monde est beau… Ces fruits de l’imagination ont une valeur positive.
Même si à l’origine de cet imaginaire, il y a un mensonge ?
Formellement, c’est une falsification volontaire de ce qu’est la réalité externe… Mais pour moi, quand on ment réellement on a un but, qui est de tromper l’autre pour obtenir une obéissance, ou pour se mettre en évidence, ou pour éviter des ennuis… Dans le mensonge il y a une tension liée à la tromperie ; c’est une prise de pouvoir sur l’autre. Ici, il s’agit plus d’un jeu. Le parent qui dit que le Père Noël existe, à la limite il joue dans sa tête à y croire encore un peu. Il s’agit en fait d’adhérer à un mythe, à une donnée culturelle. Au fond, les parents entretiennent une forme de culture populaire, tout en se disant que l’enfant, tout seul, avec peut-être l’aide de ses amis à l’école, finira par sortir tout seul de sa croyance. J’avoue que pour mes propres enfants, je ne me suis jamais précipité pour leur avouer la vérité.
N’est-ce pas entraver la prise de conscience de la réalité que de perpétuer une croyance ?
Les enfants conquièrent des vérités objectives sans nécessairement avoir besoin de passer par les parents. Maintenant, le parent qui veut à tout prix casser le mythe, c’est un parent qui veut avoir du pouvoir, qui veut être celui qui sait.
Pour certains parents, le Père Noël ou saint Nicolas empêchent les enfants d’exprimer leur gratitude.
Et alors ? C’est le propre de l’enfant de remercier le ciel, les personnages imaginaires… Les gens qui parlent de gratitude ont en fait besoin de recevoir la gratitude directe de l’enfant. Mais mille fois dans la journée, un enfant a l’occasion d’exprimer sa gratitude. Il ne faut pas que ce soit absolument pour tout, quand même ?
De façon plus générale, c’est important d’aller au rythme de l’enfant, ou en tout cas de ne pas insister trop pour le faire sortir de croyances dont il a besoin pour le moment. C’est parfois important de pouvoir dire à l’enfant : "C’est ce que tu penses pour le moment. C’est ta croyance du moment et si elle est importante pour toi, garde-la bien." À un certain moment il y a une évolution vers le réel, qui se fait un peu toute seule, un peu avec l’aide des camarades de classe, un peu avec l’aide des parents. Mais on ne doit pas faire violence et imposer le réel objectif à l’enfant : ça peut le traumatiser.
Ct.B.
Mentir, pourquoi faire ?
Et si… On arrêtait de mentir ? C’est l’ expérience farfelue à laquelle s’est attelé le blogueur britannique Cathal Morrow il y a une dizaine d’années, sans toutefois parvenir à la mener jusqu’au bout. Ainsi, s’il estime en avoir tiré quelques enseignements sur le monde du travail ou le couple, Morrow admet qu’entre autres vérités inavouables il eut bien du mal... à dire à ses enfants que le Père Noël n’existe pas.