Les syndicats nuisent-ils à l'enseignement?
Publié le 09-01-2019 à 17h12 - Mis à jour le 11-01-2019 à 12h21
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Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles , les syndicats et les pouvoirs organisateurs ont débuté ce mercredi les négociations sectorielles de l’enseignement pour la période 2019-2020 (lire également en page 11). Début de semaine, les syndicats avaient fourni une longue liste de revendications.
Oui pour Jean-Luc Lefèvre, ancien professeur, directeur d’écoles normale et secondaire, ex-coordinateur de PO et ex-administrateur des neuf centres PMS du Luxembourg
Les syndicats ont vicié le système éducatif à tous les niveaux. Ils soutiennent le fractionnement de la charge de travail des enseignants, valorisent uniquement la prime à l’ancienneté et ont trop d’influence sur le choix des programmes éducatifs.

Les syndicats nuisent-ils selon vous à la qualité de l’enseignement ?
Oui. Tout d’abord parce qu’ils soutiennent la conception égalitariste de l’enseignement selon laquelle la charge de travail des enseignants doit être fractionnée. Aujourd’hui, ils sont donc obligés de compléter leurs horaires en enseignant dans d’autres établissements : ils doivent prester trois heures par-ci, quatre heures par-là. Comment peuvent-ils encore s’imprégner du projet éducatif d’une école ? Ce n’est plus possible. À la fin du XXe siècle, il n’y avait que quatre ou cinq professeurs différents dans l’enseignement secondaire. Un prof pour les branches littéraires, un autre pour les branches scientifiques, un professeur de langues, un professeur d’éducation physique et c’était pratiquement tout. Ils connaissaient bien leurs élèves. Ce n’est plus le cas avec le morcellement des charges. Aujourd’hui, on empêche les enseignants d’avoir un regard prospectif sur leurs élèves.
Une autre conséquence est que tous les parents se plaignent qu’il y ait une accumulation de tests avant les bulletins. Pourquoi ? Parce qu’il y a désormais un professeur pour chaque branche. Cela modifie le rythme scolaire des enfants et crée un stress pédagogique. Le morcellement des charges instaure également une hiérarchie au sein du corps professoral. Qui les parents demandent-ils à voir lors des réunions ? Pas le professeur qui n’a qu’une heure par semaine mais bien celui qui en a quatre ou cinq. Ensuite, les syndicats nuisent à l’enseignement parce qu’ils valorisent la prime à l’ancienneté. Est-ce que cela n’explique pas la démotivation des jeunes professeurs ? Comment ne pas s’étonner de leur exode ?
Les syndicats cadenassent-ils la liberté des enseignants à organiser leur programme ?
Les syndicats, depuis le décret mission de 1997, ont acquis une place très importante dans la structure décisionnelle des écoles. Ils sont associés à la réflexion sur les programmes au même titre que les pouvoirs organisateurs et les associations de parents. Si une école décide de créer une nouvelle option, les syndicats ont encore leur mot à dire ! Or, les premiers concernés, me semble-t-il, quand il s’agit de créer une option scolaire, ce sont les entreprises situées à proximité et les parents, qui sont les premiers clients de l’école. Pourquoi a-t-on voulu associer les syndicats à l’ouverture d’options dans lesquelles ils ne sont que très indirectement intéressés ?
Comment expliquez-vous cette prise de pouvoir ?
Les syndicats ont une place en or à tous les niveaux car ils ont établi un partenariat win-win. Les pouvoirs organisateurs sont assurés, grâce à une présence syndicale forte, de maintenir la paix sociale dans leurs écoles et d’avoir moins de recours au tribunal du travail. Les directions font appel à des collaborateurs informels qui connaissent très bien la législation des mises en disponibilité, des réaffectations et les calculs d’ancienneté. Ces collaborateurs ont des compétences techniques que les directeurs d’école n’ont pas. C’est pour cela que, dans beaucoup de cas, les pouvoirs organisateurs vont chercher parmi les délégués syndicaux le futur directeur de l’école. Les syndicats ont pris une place tellement forte dans le système que toutes les réformes sont viciées de l’intérieur.
Quelles corrections souhaiteriez-vous voir dans l’action des syndicats afin d’améliorer la qualité de l’enseignement ?
J’estime qu’en matière de programmation d’options, leur importance doit être réduite. Par rapport à l’ancienneté, j’ai toujours plaidé pour qu’on tienne également compte de la prime au mérite. Mais cela voudrait dire que l’école est amenée à avoir un regard d’évaluation par rapport à son personnel et ça, les syndicats n’en veulent pas. Enfin, il faudrait accepter que les enseignants construisent des horaires complets, avec moins d’élèves, ce qui leur permettrait d’exercer plus de cours différents en début de carrière. Et ils connaîtraient d’autant mieux leurs élèves.
Entretien : Louise Vanderkelen
Non pour Joseph Thonon, président de la CGSP-enseignement
Les syndicats sont du côté de tous les enseignants. Mais il manque des moyens pour pallier les pénuries, et rendre le métier plus attractif. Enfin, il ne faut pas négliger le rôle des pouvoirs organisateurs, qui doivent faciliter le regroupement des charges de travail.

Il est reproché aux syndicats de favoriser l’ancienneté au détriment des jeunes enseignants, ce qui engendre des situations de pénurie. À raison ?
On ne peut pas dire que nous ne sommes pas du côté des jeunes enseignants, par exemple quand nous réclamons que l’augmentation à laquelle les nouveaux enseignants ont droit tous les deux ans intervienne dès la première année. Et nous avons la même demande pour la quatrième et la cinquième année d’exercice. Cela, justement pour que le barême des jeunes enseignants augmente plus vite et rende le métier plus attractif. Maintenant, si le débat vient sur la rémunération au mérite, nous y sommes opposés comme, je pense, tous les autres syndicats. Nous sommes toujours pour une rémunération qui avance avec l’ancienneté.
Considérez-vous que la charge de travail des enseignants doit être la même pour tout le monde, quitte à "fractionner" cette charge en plusieurs écoles ?
Non, nous sommes évidemment pour le regroupement de la charge dans un même établissement - quand c’est possible. Maintenant, retournons le problème : il peut y avoir dans le réseau catholique, par exemple, deux pouvoirs organisateurs, avec des enseignants qui ont un mi-temps dans une école et un autre mi-temps dans une autre école. Ce serait quand même mieux que l’enseignant ait tout dans la même école, non ? Mais si un emploi à temps-plein se libère dans une école, le PO doit donner son autorisation, et parfois, il ne la donne pas.
Donc, ce fractionnement des charges pour l’enseignant est surtout le fait des pouvoirs organisateurs selon vous ?
Dans un cas comme je viens de vous le décrire, oui. Deux PO différents préfèreront toujours laisser deux demi-charges, au lieu de regrouper la charge sur un seul PO. Il y a une contradiction à ce niveau-là. Ces jours-ci, vous voyez que dans l’enseignement catholique, les directeurs mettent des banderoles contre le décret sur les titres et fonctions, qui n’a absolument rien à voir. Le morcellement de la charge vient de la difficulté à trouver un emploi en début d’année. Et ma foi, en début de carrière, ça a toujours existé, même si je suis d’accord pour dire que c’est une difficulté de la carrière d’enseignant. Mais les pouvoirs organisateurs et les directeurs ne font visiblement pas tout pour regrouper la charge de travail des enseignants - en tout cas lorsqu’il y a deux PO.
Plus de 80 % du budget consacré à l’enseignement en Communauté française est aspiré dans les salaires ; cela laisse peu de marge de manœuvre pour soutenir financièrement les enseignants arrivant sur le marché du travail…
Malheureusement, la Communauté française fonctionne en enveloppe fermée. Or, une grande partie de sa fonction consiste à payer les enseignants. Ce qui oblige à aller chercher des moyens complémentaires. Comment ? Je n’ai pas la solution miracle.
Faut-il dans ce cas faire appel à des entreprises pour aller chercher ces moyens ?
Quand vous interpellez les patrons - ce que j’ai fait quand j’ai été reçu par l’Union wallonne des entreprises et le Comité économique wallon - les entreprises disent qu’elle ne peuvent pas absorber plus de stagiaires que ce qu’elles ont maintenant. Il est tout simplement impossible pour elles d’intervenir plus que ce qu’elles ne le font déjà dans l’enseignement technique et professionel. Et ça, ce sont les entreprises qui le disent.
Quels retours avez-vous de la part des enseignants et directeurs d’écoles ?
Pour le moment, on a des enseignants qui sont en difficulté dans les écoles, ce que montre bien la pénurie des profs. C’est un métier très compliqué, où on leur demande de plus en plus de choses. Donc, les retours qu’on a, c’est qu’on est trop gentils, et qu’on devrait rentrer dans des actions plus dures. Nous, on voudrait que le système soit moins inégalitaire, et le peu de grèves sectorielles dans l’enseignement prouve que nous ne sommes pas opposés aux réformes. Mais nous sommes attentifs aux conditions de travail du personnel.
Entretien : Clément Boileau
C’en est trop pour les directeurs d’écoles
Énième sonnette d’alarme pour la ministre de l’Enseignement, Marie-Martine Schyns (CDH). Les directions du réseau libre de Bruxelles et du Brabant wallon alertent sur le "décret catastrophe". Dans une lettre adressée aux parents d’élèves, les chefs d’établissements évoquent une "situation d’urgence" (lire aussi LLB du 9/1, p. 4). En septembre 2018, "le nombre d’heures de cours pour lesquelles un enseignant n’a pas pu être engagé est trois fois plus important que l’an passé" . Conséquences ? "Vos enfants, nos élèves, n’ont plus la chance d’avoir une scolarité complète. Nous sommes trop souvent amenés à les renvoyer chez eux, à la rue, ou dans le meilleur des cas en salle d’étude." Les directions citent dans leur lettre d’autres exemples criants : des parties de programmes non vues, les enseignants qui doivent se rendre d’écoles en écoles pour compléter leurs horaires, le remplacement complexe des professeurs absents, etc. Pour leur venir en aide, les chefs d’établissement appellent les parents à faire part de leurs inquiétudes en adressant un e-mail à la ministre.