Un même droit de vote pour les étrangers aux régionales ?
Publié le 09-01-2019 à 09h57 - Mis à jour le 10-01-2019 à 09h33
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Le Parlement bruxellois a ouvert lundi un débat sur cinq propositions de résolution plaidant pour un élargissement du droit de vote des étrangers aux élections régionales. Mais les partis impliqués devront surmonter quelques divergences...
Oui pour Bertrand Wert. Français, cofondateur du mouvement citoyen #1bru1vote et conseiller communal Écolo à Ixelles

Nous exclure de la vie politique alors que nous participons à la vie économique et sociale bruxelloise n’a pas de sens. Le droit de vote aux communales a été accordé à tous les étrangers en 2006. Pourquoi ne pas reprendre le même schéma pour les régionales ?
Pourquoi vouloir accorder le droit de vote à tous les étrangers lors des élections régionales à Bruxelles ?
Tout simplement parce que nous vivons ici, nous faisons partie de cette région de Bruxelles-Capitale. J’ai grandi à Lyon mais je vis à Bruxelles depuis près de vingt ans. Nous, les étrangers, les non-Belges, représentons plus d’un tiers de la population bruxelloise. Les Européens représentent aujourd’hui plus de 80 % de ce groupe.
Nous exclure de la vie politique alors que nous faisons partie de la vie économique, culturelle et sociale de la région n’a pas de sens. Il est compliqué pour les institutions publiques, pour la région, pour ses structures, de gérer une ville où plus d’un habitant sur trois ne peut pas avoir le droit d’exprimer son avis, de s’impliquer politiquement. Pourtant, nous respirons le même air que les Belges, nous nous déplaçons de la même façon dans la ville. Nos enfants vont dans les mêmes écoles, les mêmes centres sportifs, les mêmes universités. Pour nous, comme pour les Belges, c’est une perte sèche. Cela ne nous permet pas de nous investir autant que nous le souhaiterions. Cela permet aussi de sortir d’une démarche négative. Les personnes qui se plaignent de la qualité de l’air, de la mobilité, de la collecte des déchets par exemple, auront leur mot à dire. Je suis cofondateur du mouvement citoyen #1bru1vote qui défend le droit de vote pour tous les étrangers aux régionales bruxelloises. Nous ne nous considérons pas comme des "étrangers" mais plutôt comme des non-Belges, Bruxelloises et Bruxellois.
Établiriez-vous tout de même certaines conditions afin que les étrangers puissent voter aux régionales à Bruxelles ?
C’est au législateur de trouver la meilleure des réponses à cette question. Ceci étant dit, notre plateforme a quelques idées. Un système a été mis en place pour permettre aux étrangers de voter aux communales. En 2000, les citoyens européens ont obtenu le droit de vote. Ils doivent seulement s’inscrire sur les listes d’électeurs. Les non-Européens ont ce droit depuis 2006. La seule restriction qui existe est qu’ils doivent résider depuis plus de cinq ans en Belgique. Ne pourrait-on pas reprendre ce principe au niveau régional ? Nous n’y verrons pas d’inconvénient. Ce serait déjà une belle avancée démocratique. Cependant, distinguer les Européens et non-Européens ne nous plaît pas trop car il s’agirait de reproduire la même discrimination que celle que nous vivons actuellement.
Pour élargir le droit de vote au niveau régional, il faudrait faire appel au fédéral pour modifier la loi spéciale. Une majorité serait difficile à décrocher : il faudrait atteindre 2/3 des deux chambres et la majorité dans chaque groupe linguistique. Pensez-vous que cela soit possible ?
Nous nous sommes adressés à tous les partis démocratiques. C’est-à-dire tous, sauf le Vlaams Belang et le Parti populaire. Du côté des partis francophones, tous étaient favorables au droit de vote aux régionales au moins pour les Européens. Du côté néerlandophone, la N-VA s’est positionnée à l’encontre du droit de vote pour les Européens et les non-Européens. Ce parti représente également une difficulté car il prend une place importante au fédéral.
Pour le parti, pour pouvoir voter, il faut d’abord acquérir la nationalité belge. Nous ne désespérons pas que la N-VA, compte tenu de l’évolution sociologique bruxelloise, se rende compte qu’il y a de plus en plus d’Européens à Bruxelles. Au moins ouvrir les discussions et aller à la recherche d’un compromis. On ne désespère pas que les lignes bougent encore.
Entretien : Louise Vanderkelen
Pétition au Parlement bruxellois
#1bru1vote a lancé une pétition pour soutenir le droit de vote des étrangers aux élections régionales bruxelloises. L’initiative a déjà séduit plus de 5 000 signataires. "La semaine prochaine, 1bru-1vote sera invitée à venir se présenter à la commission des Affaires générales du Parlement bruxellois. Cette même commission a décidé ce lundi de lancer un groupe de travail qui va nous consulter, ainsi que la plateforme VoteBrussels et des constitutionnalistes" , précise Bertrand Wert.
Un consensus régional peut-il avoir un impact fédéral ?
Résolutions. Si les cinq résolutions proposées par les différents partis (PS, Écolo, Défi et le MR côté francophone, l’Open VLD et le CD&V côté néerlandophone), venaient à générer un consensus, il reste que c’est bien à l’échelon fédéral que tout se jouera sur le plan juridique. Pour autant, l’impact politique d’une décision régionale peut-il influencer le fédéral ? "À partir du moment où il y a un niveau de pouvoir qui lance le débat, et qui souhaite que ce dernier soit porté davantage, cela a un certain poids , note le politologue Pierre Vercauteren. Cela étant, la Région bruxelloise n’est pas la région qui pèse le plus lourd. La question sera de savoir dans quelle mesure les parlementaires bruxellois disposeront d’un relais suffisamment fort au sein de leur parti pour que cela soit porté de façon suffisamment importante au niveau fédéral. Deuxième élément : il faut voir dans quelle mesure cette résolution est soutenue par les deux groupes linguistiques. S’il y a un déséquilibre à ce niveau-là, il y a gros à parier que le projet n’ira pas beaucoup plus loin…"
Non pour Olivier de Clippele (MR), député au parlement bruxellois, coauteur d’une résolution.

Parce qu’ils sont plus nombreux et que Bruxelles est la capitale européenne, la priorité doit être donnée aux Européens pour le droit de vote régional. Ce qui ne ferme pas pour autant la porte aux étrangers hors Union européenne, qui pourraient voter sous certaines conditions.
En 2010, vous proposiez d’ouvrir le vote régional aux seuls ressortissants de l’Union européenne. Votre point de vue a-t-il évolué ?
Effectivement, il s’agissait d’étendre ce droit de vote aux Européens, Bruxelles étant la capitale de l’Europe. Mais si pour permettre l’adoption de cette résolution, il faut l’étendre aux personnes non européennes, nous serions d’accord mais sous certaines conditions.
Lesquelles ?
Les mêmes conditions que pour le droit de vote des communales (ouvert aux étrangers, NdlR). Ce qui veut dire cinq ans de résidence. Ce qui ne serait pas le cas pour les Européens, qui auraient le droit de vote immédiat.
Le fait de favoriser les Européens par rapport aux non-Européens, n’est-ce pas une pierre d’achoppement avec les visions du PS, de Défi et d’Écolo qui plaident pour une ouverture plus large ?
L’ouverture est très large. Nous aurons un groupe de travail, on verra bien si on aboutit à un consensus. Nous avons posé les bases. Regardez les chiffres d’évolution du nombre d’Européens à Bruxelles ; c’est de ce côté que la hausse est la plus forte : + 90 % en dix-huit ans pour les Européens, tandis que pour les résidents hors Europe, la hausse n’est que de 11,7 %). C’est cela qui doit nous amener, tout de même, à bien comprendre que le débat est d’abord un débat européen.
Hormis la question du nombre plus important d’Européens à Bruxelles, qu’est-ce qui justifie de leur ouvrir ce droit en priorité ?
Cette résolution, je l’ai déjà proposée il y a huit ans. Il serait temps que l’on ouvre ce droit aux Européens. Beaucoup sont même nés en Belgique, et ils ne changent pas de nationalité parce qu’ils ne voient pas l’utilité de se lancer dans un processus administratif pour devenir Belges. Tandis que tous les non-Européens, et surtout ceux qui viennent d’Afrique, essayent d’avoir la nationalité belge le plus rapidement possible, de peur d’être expulsés. Donc il y a un rattrapage à faire au niveau des Européens, qui plus est alors que Bruxelles est la capitale de l’Europe. Une ville où il y a des décisions importantes qui sont prises au niveau régional, par exemple en matière de droits de succession. Si ceux-ci sont anormalement élevés à Bruxelles, c’est parce qu’il n’y a pas assez de Français, ou de Néerlandais, ou d’Allemands, qui votent aux régionales. Cela explique la fiscalité assez forte sur le patrimoine. Si on ouvre le vote aux Européens, on peut espérer que la fiscalité sur le patrimoine va être un peu réajustée…
À vous entendre, les bénéfices d’une telle ouverture du vote régional seraient surtout fiscaux…
Ce droit est important aussi parce que cela donne accès à ces personnes à des droits sociaux. Dans le vote, on voit bien qu’il y a toujours une majorité de gauche qui se dégage au niveau de la Région. Or au Parlement bruxellois, on constate tout de suite qu’il manque un groupe très large de Bruxellois - qui sont les Européens.
Entretien : Clément Boileau
Le vote étranger en Belgique
En chiffres. Si le vote des étrangers aux régionales est loin d’être acquis, depuis 2006 les élections communales, elles, permettent à ces derniers - sous certaines conditions - de faire entendre leurs voix. L’occasion de constater que le vote étranger, même s’il est en augmentation, est loin d’être une évidence. Ainsi, lors de la dernière échéance, les inscriptions des résidents hors UE étaient certes en légère hausse à l’échelle nationale, passant de 14,02 % en 2012 à 15,19 % en 2018, mais les inscriptions des résidents étrangers issus de l’Union européenne étaient, elles, en baisse, de 18,48 % à 17,45 %. De même, si c’est à Bruxelles que le taux de participation d’électeurs étrangers a le plus augmenté (3 %), il est à noter que ce taux y demeure sous la barre des 20 %.