Etiquetage, la solution pour le bien-être animal?
Publié le 11-01-2019 à 09h28 - Mis à jour le 11-01-2019 à 13h54
Une étiquette renseigne désormais les consommateurs français de viande de volaille sur le niveau de bien-être de l’oiseau au cours de sa vie. L’initiative de trois ONG (OABA, CIWF et LFDA) et du groupe de grande distribution Casino replace le bien-être animal au cœur du débat.
Oui pour le Dr Jean-Pierre Kieffer, vétérinaire et président de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA)
Les consommateurs doivent pouvoir faire un choix éclairé, et les animaux vivre dans des conditions proches de celles qu’ils ont au naturel. Un étiquetage clair est nécessaire pour avancer dans ce sens, en attendant une volonté politique efficace.

Vous êtes, avec l’OABA et deux ONG expertes en bien-être animal, à l’origine d’un nouvel étiquetage apparu dans les étalages d’un groupe de supermarchés. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche ?
Les consommateurs doivent pouvoir faire un choix éclairé. Nous sommes partis de ce qui existait avec les œufs - et la numérotation 0,1,2,3 informant sur les conditions d’élevage des poules pondeuses. Comme l’Europe n’impose pas un système obligatoire organisé, nous avons trouvé un distributeur, Casino en l’occurrence, qui avait déjà une démarche qualitative, pour s’impliquer avec nous. Mais le système est ouvert aux autres distributeurs, bien sûr. Ensemble, nous avons choisi de commencer par une gamme de viande de volaille et travaillé un an et demi pour mettre au point des critères.
Comment lire cette étiquette ?
On a choisi une graduation avec des lettres de A à D, à la façon des normes énergétiques pour les lieux d’habitation, de manière à ce que ce soit lisible et simple. C’est ce qui différencie l’étiquette d’un label avec un simple logo. "D" représente les normes standards européennes de l’élevage conventionnel ; "C" définit un bien-être animal "assez bien" ; "B", "bien". Pour être dans "A", il faut que tous les critères que l’on a définis soient mis en place ou en voie de mise en place par le producteur, c’est la notation "supérieure". Ils sont au nombre de 225 et concernent, par exemple, l’espace ou l’âge d’abattage. En effet, il ne faut pas une croissance trop rapide des animaux, car elle leur crée des problèmes osseux. Un critère important concerne les conditions d’abattage - étourdissement, caméras dans l’abattoir - et le temps de transport vers ces abattoirs. Beaucoup de volailles ont un temps de transport qui peut aller jusqu’à huit heures, puisque ce n’est pas interdit par la loi. Dans notre cas, ce temps ne dépassera pas 3 heures.
Peut-on y voir une démarche politique en filigrane ?
C’est sûr. Nous avons pu informer des responsables du ministère de l’Agriculture. Nous avons rencontré le ministre, M. Didier Guillaume, ce mercredi. Il a bien perçu notre initiative, car les critères de l’étiquetage ne sont pas bidons , je dirais même : plutôt mathématiques. Nous avons, par exemple, calculé qu’il fallait, pour obtenir la note "A", sept volailles par mètre carré. Pour vous donner un chiffre, les normes européennes en conseillent 18.
Qu’est-ce que vous entendez par "bien-être animal", au fond ?
La réflexion a été très longue sur cette question. Il existe une définition qui nous convient tout à fait. Elle traite des cinq libertés : ne pas souffrir de la soif, d’inconfort dans le logement, de blessures, ne pas éprouver de peur et de détresse et avoir ses comportements naturels satisfaits. C’est surtout cette dernière notion qui nous a orientés, à savoir le bien-être physique de l’animal, mais aussi mental. Nous voulons essayer de créer des conditions proches de celles qu’ont les volailles au naturel. Dans les hangars, serrées les unes contre les autres, elles se piquent et se blessent… La possibilité de pouvoir gratter la terre ou se percher participe à leur bien-être.
Comment pensez-vous que l’étiquetage aura une influence sur la consommation ?
Les produits se vendent déjà bien et les gens comprennent l’étiquetage. Bon, nous avons également eu des retours négatifs, de gens qui sont végans. Mais que voulez-vous leur répondre ? Les gens qui sont végans vont le rester, ils n’ont pas d’"efforts" à fournir. Mais les autres qui consomment de la viande de volaille doivent, outre la qualité rencontrée, avoir un produit issu d’un animal bien traité. Dans les limites de ce que la production industrielle permet, bien sûr…
Imaginez que certains aient diminué leur consommation, par conscience du mal-être animal dans l’élevage intensif, et qu’avec votre étiquette ils se remettent à consommer du poulet. Vous en penseriez quoi ?
Je pense qu’il ne faut pas consommer plus mais mieux. Nous ne prônons pas le végétarisme. Même si, à titre personnel, je ne mange pas de viande, puisque je suis président de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir. Les mammifères qui y passent, je ne peux pas.
Entretien : Anne Lebessi
Bien-être animal
Et en Wallonie…
Depuis juillet 2014 , la compétence du Bien-être animal a été régionalisée. Pourtant, l’Afsca continue d’aider la Région pour les contrôles vétérinaires, à cause du manque d’effectif (8 vétérinaires et 5 contrôleurs).
Le Code wallon du bien-être animal adopté en octobre 2018, reconnaît enfin la notion de "sensibilité" des animaux. Aussi : les abattoirs doivent tous disposer d’une installation de vidéosurveillance. Ce qui n’est toujours pas obligatoire Outre-Quiévrain.
Non pour Ann De Greef, directrice du Groupe d’action dans l’intérêt des animaux (Gaia)
Le nombre élevé d’étiquettes et de labels rend le consommateur confus. Nous devrions manger moins voire plus du tout de viande pour permettre des conditions de vie correctes aux animaux. En attendant, le prix de la viande doit augmenter.

Une nouvelle étiquette notant le niveau de bien-être animal est apparue dans les supermarchés Casino chez nos voisins français. Un exemple à suivre ?
Le problème, c’est que si chaque supermarché possède son propre label, le consommateur va se retrouver confus. En Belgique, il existe déjà le label hollandais "Beter leven" qui fait cela, avec une notation de une à trois étoiles. Lidl Belgique, depuis peu, ne vend plus que de la viande de porc fraîche labellisée "Beter Leven"… Les chaînes de supermarchés françaises ne sont donc pas forcément en avance sur nous.
L’étiquette française s’est inspirée de "Beter Leven", justement, avec un système de notation gradué.
C’est très bien. Mais contrairement à la France, ici, on ne veut pas réinventer l’eau chaude. Contentons-nous de ce qui existe, avec "Beter Leven" déjà présent dans certaines chaînes de supermarchés belges. En Flandre, d’ailleurs, il commence à être bien connu des consommateurs. Il y a également un autre problème : certains labels, comme "Belplume", n’ont aucune valeur pour nous. Ils autorisent l’élevage de poulets à croissance rapide, ce qui cause des problèmes aux pattes, des brûlures à cause des excréments jonchant le sol sur lequel ils sont affalés… Ces labels qui ne suivent que les normes minimales imposées posent un énorme problème. Ils ne font pas de différence avec le secteur conventionnel, et induisent donc encore une fois le consommateur en erreur.
La confiance dans ces étiquettes et labels risque à votre avis de s’éroder ?
Oui. Il faudrait que le gouvernement exige plus de conditions à remplir pour que ces associations qui créent des labels puissent recevoir le chèque de subsides dont ils ont besoin pour exister. Les lois ne protègent pas assez les animaux…
Est-ce que l’étiquetage du niveau de bien-être de l’animal n’est pas une façon, finalement, de se donner bonne conscience, lorsqu’on se dit qu’au final il sera abattu ?
Ce n’est pas parce qu’il sera abattu que c’est une raison pour le maltraiter. Maintenant enlever la vie à un animal est déjà un acte de cruauté en soi. Il n’est pas question ici d’euthanasie, il n’a pas demandé à mourir. Mais soyons réalistes, même après tout ce que les gens savent, voient à la télévision et sur Internet, on ne voit pas une majorité de la population dire non à la viande, alors que des alternatives existent. Les gens font ce qu’ils veulent. Et si ce qu’ils veulent c’est continuer à en manger, il faut que les animaux aient le traitement qu’ils méritent, même si leur vie est très courte. Pour les poulets de chair, par exemple, on parle de 42 jours de vie.
Dans le fond, vous préféreriez une solution plus "droit au but" ?
Les étiquettes améliorent et responsabilisent le consommateur car en général la viande concernée coûte plus cher. En amont, la grande distribution doit également payer un meilleur prix au fermier, récompensé des efforts effectués allant dans le sens du bien-être animal. Mais une de nos grandes frustrations c’est que lorsqu’on interroge le consommateur dans une enquête, il nous dit qu’il est prêt à payer plus pour un animal qui aura été bien traité ; alors que quand il se rend dans le magasin, il choisit finalement la viande la moins chère. Cette contradiction cause beaucoup de souffrance aux animaux. La viande doit être beaucoup plus chère car pour l’instant ce sont les animaux qui paient le prix.
Un prix plus élevé ne risque-t-il pas, au contraire, de rebuter le consommateur qui, comme vous l’avez dit, choisit en général la viande la plus bon marché ?
Ça, c’est parce qu’il est poussé par les chaînes de supermarchés à profiter de promotions. On voit souvent, pour la viande de poulet par exemple, trois cuisses plus une gratuite. Ce genre de promotion peut vous détourner de vos bonnes intentions. D’ailleurs, si elles ne fonctionnaient pas, la grande distribution n’en proposerait pas. Il y a là-dedans un manque d’éthique. Et malheureusement la concurrence n’aide pas une chaîne à être la première à arrêter de faire ce genre d’offre.
Entretien : Aleb
Éthique de l’étiquette
Information noyée
Le site labelinfo.be répertorie pas moins de 40 labels différents en ce qui concerne l’alimentation en Belgique. Des garanties "bio", "commerce équitable", "produit végétarien", "produit issu de la pêche durable", "environnement friendly " mais aussi certains distributeurs comme Delhaize et Colruyt ont créé une marque et un label pour leurs propres produits issus de l’agriculture biologique.