Faut-il sanctionner les parents d'enfants violents?
Publié le 18-01-2019 à 09h55 - Mis à jour le 18-01-2019 à 15h16
Jeudi dernier, le ministre français de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a affirmé qu’il songeait à sanctionner financièrement les parents "complices d’une évolution violente" de leur enfant. L’objectif? Combattre la violence dans les écoles. Cette mesure serait-elle efficace ? Les avis divergent.
Oui pour Françoise Bertieaux, députée, chef du groupe MR au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Nous devons réfléchir plus loin et adapter notre arsenal juridique pour combattre les nouvelles formes de violences, comme le cyber-harcèlement, qui sont trop souvent impunies. Il faut repenser la responsabilité financière des parents dans ces cas-là.

Le ministre français de l’Éducation nationale propose de sanctionner financièrement les parents d’enfants violents. Qu’en pensez-vous ?
Pour ce qui est des enfants qui commettent des actes de violence à l’école ou dans la sphère privée, notre système juridique consacre déjà une forme de sanction financière pour les parents via la responsabilité civile qui les amène à dédommager la victime. Par contre, je pense que nous devons aujourd’hui réfléchir plus loin et adapter notre arsenal juridique pour combattre les nouvelles formes de violences, comme le cyber-harcèlement, qui sont trop souvent impunies. C’est terrible pour la victime. Nous avons vu les drames que cela a déjà pu produire chez des enfants et adolescents. Il faut repenser la responsabilisation de celui qui commet les actes de violences mais aussi, repenser la responsabilité financière des parents dans ces cas-là. Très souvent, ce phénomène terrible du harcèlement des enfants ne se confine pas qu’à l’école. Cela continue, le soir voire même durant les vacances, sur les réseaux sociaux. Par contre, je ne pense pas que sanctionner la violence à l’école en supprimant les allocations familiales, comme l’avait proposé au départ le ministre français, est une idée juste puisque ces revenus sont donnés aux familles pour les besoins premiers de l’enfant : le nourrir, le loger, l’habiller. Ce sont des devoirs de parents. Chaque enfant y a droit.
Les parents sont-ils selon vous "complices de l’évolution violente de leurs enfants", comme l’a dit le ministre français ?
Cette déclaration est excessive. Mais il est vrai qu’un certain nombre de parents se rendent complices parce qu’ils baissent les bras, parce qu’ils font semblant de ne pas voir ou parce qu’ils n’ont pas le courage d’affronter leur enfant.
Je reste convaincue que la sanction financière est une responsabilité à avoir par rapport aux dommages causés. C’est d’ailleurs ce que prévoit le Code civil depuis 200 ans. La personne qui dédommage une victime passe par un état de prise de conscience, j’en suis convaincue. Si on fait face à un mineur violent, il faut accompagner la sanction financière des parents par un accompagnement de conscientisation de l’enfant. C’est ce que l’on appelle des sanctions réparatrices.
Comment dès lors sanctionner les parents ?
C’est une réflexion qui doit se mener avec des juristes qui pratiquent le droit au quotidien. En cas de harcèlement moral, le plus difficile est de rassembler les preuves. On ne peut pas condamner un jeune ou ses parents sans en avoir. Il est terriblement difficile pour un système juridique de définir et de sanctionner l’impalpable. Si un élève en harcèle un autre dans la cour de récréation, il n’y a peut-être pas de témoin.
Le ministre français souhaiterait que ce soient les écoles qui déterminent si elles ont affaire à un enfant violent.
Le lien que fait le ministre entre ce qui se passe à l’école et la responsabilité financière parentale est un lien logique. La première responsabilité éducative à l’égard d’un enfant, c’est la famille. Souvent la violence de l’enfant est mise à jour dans le cadre scolaire mais ne s’y confine pas. Qu’il faille responsabiliser les parents, oui. Qu’il faille donner exclusivement à l’école le rôle d’arbitre sur le sujet, c’est à nouveau charger la barque des établissements qui n’ont pas ce rôle.
Quand je vois tout ce qu’on demande à l’école je me demande si un jour on ne demandera pas aux professeurs de brosser les dents de leurs élèves…
Que dit la loi à propos de la responsabilité parentale ?
La responsabilité des parents vis-à-vis de leurs enfants mineurs est régie par l’article 1384 du Code civil qui stipule que "le père et la mère sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs".
Les parents, y compris les parents adoptifs , "ont donc un devoir de surveillance et d’éducation à l’égard de leurs enfants et par conséquent sont tenus responsables des actes commis par ceux-ci, et ce, jusqu’à leurs 18 ans". Cette responsabilité est d’application, même si un parent ne cohabite pas avec son enfant.
La responsabilité des parents est fondée sur une présomption de faute du père et de la mère. Elle a lieu à moins que les intéressés ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.
Non pour Bruno Humbeeck, psychopédagogue, chercheur en pédagogie familiale et scolaire
Cette mesure créerait énormément de tensions. Les parents ne sont pas les seuls responsables de la violence de leur enfant. Il ne faut pas les culpabiliser. L’école doit gérer le climat scolaire et doit donc s’interroger sur ce qu’elle produit elle-même comme violences.

Sanctionner financièrement les parents d’enfants violents, est-ce la solution pour éradiquer le harcèlement ?
Cela ne me paraît pas être une bonne initiative dans la mesure où donner à l’école le rôle de "police des familles" en lui permettant de déterminer quelles sont les bonnes et les mauvaises pratiques familiales, va créer énormément de tensions. L’école ne doit pas s’inscrire dans une logique de soutien à la parentalité qui identifie les faiblesses des familles et leur propose des moyens d’y remédier. Si elle le fait, elle s’expose à l’agressivité des parents. C’est une manière de désigner la famille comme seule responsable de toutes les violences scolaires. Cela peut être un raccourci terriblement dangereux.
En effet, dès que vous faites un schéma simplifié qui dénonce un seul responsable, vous êtes inévitablement dans l’erreur : vous rendez simple un mécanisme très compliqué qui, effectivement, finit par une explosion de violence.
Il ne faut pas culpabiliser les familles en leur infligeant des sanctions financières, l’idée serait plutôt de les responsabiliser.
La punition est une réponse simplifiée à un comportement simplifié. Or, le harcèlement n’est pas un comportement simplifié. Si la sanction se produit sur les familles, c’est un très mauvais signal qui, de plus, n’est pas celui attendu par les écoles.
Si je peux me permettre, je dirais que si la proposition du ministre français entre en application, elle sera très difficile à activer sur le terrain. De plus, un plan d’action sur le harcèlement, s’il commence par la culpabilité des parents, est aussi très mal parti.
Si on ne sanctionne pas, quels dispositifs mettre en place pour lutter contre la violence ?
L’école a dans ses fonctions de gérer le climat scolaire. Elle doit donc s’interroger sur ce qu’elle produit elle-même comme violences et, surtout, sur les mécanismes qui vont les fonder. Il faut aider les établissements à réfléchir à ce qui provoque cette violence qui n’est pas seulement d’origine familiale même si elle peut l’être aussi.
On va donc outiller les écoles primaires et secondaires de Belgique en mettant en place des dispositifs de prévention du harcèlement. On y retrouvera des espaces de parole régulée, ou encore des conseils d’éducation disciplinaire.
Que prévoit la loi en Belgique si un enfant est responsable de harcèlement moral ? Est-il sanctionné ?
L’élève qui pratique le harcèlement ne risque rien face à la justice. Le cyber-harcèlement peut éventuellement être poursuivi et encore, pas nécessairement si l’auteur est mineur. De plus, la définition juridique du harcèlement ne correspond pas à sa définition pédagogique, ce qui entraîne un certain flou.
Même quand les écoles cherchent à mimer le système juridique en sanctionnant un élève auteur de harcèlement après une enquête, on arrive toujours à cette conclusion : "ce n’était pas vraiment du harcèlement". En effet, c’est la succession d’un tas de petits éléments qui fait qu’un enfant a la sensation d’être harcelé. La sanction est donc minimisée, voire ignorée car ces comportements isolés ne sont pas significatifs. Cela exaspère les parents qui veulent que la souffrance de leur enfant s’arrête immédiatement.
Lancer une enquête pour harcèlement, que ce soit à l’école ou même en déposant plainte à la police, est très contre-productif sur le plan de la gestion du harcèlement.
L’école est-elle responsable des violences ?
Dans le décret "Missions" de 1997, mis à jour le 9 octobre 2018, il est indiqué que "la Communauté française, pour l’enseignement qu’elle organise, et tout pouvoir organisateur, pour l’enseignement subventionné, veillent à ce que chaque établissement éduque au respect de la personnalité et des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique, à la vie relationnelle, affective et sexuelle et mette en place des pratiques démocratiques de citoyenneté responsable au sein de l’école".
De plus, toutes les écoles se verront bientôt dans l’obligation de se doter d’un plan de pilotage qui comprend notamment "un dispositif de prévention et de prise en charge des discriminations et des violences au sein de l’établissement scolaire, y compris des dispositifs spécifiques concernant le harcèlement, le cyber-harcèlement et les événements d’exception ainsi que des partenariats avec les services de l’Aide à la jeunesse et de la médiation scolaire".