Un monde sans voitures est-il possible?
Publié le 22-01-2019 à 10h39 - Mis à jour le 22-01-2019 à 14h50
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À l’heure où même le Salon de l’auto consacre un de ses palais à la "comodalité" et aux moyens de mobilité alternatifs - véhicules partagés, covoiturage, trottinettes, etc -, peut-on imaginer de se passer un jour complètement de la voiture ?
Oui pour Céline Tellier, inter-Environnement Wallonie
À condition de changer totalement la vision actuelle de l’aménagement du territoire. Et de penser "accessibilité", plutôt que "mobilité". Malheureusement, sur cette question, le politique est bien souvent beaucoup plus conservateur que la population.

Un monde sans voiture est-il possible ?
Oui. C’est possible à condition que l’aménagement du territoire et l’urbanisme suivent et permettent au citoyen de se passer de sa voiture. Pour le moment, toutes les politiques d’aménagement du territoire, depuis les années 1950-1960, ont été pensées en faveur du "tout à la route". Si on continue de créer de nouvelles routes, appelées chaînons manquants comme s’il y avait un puzzle à perpétuellement reconstituer, alors qu’on a déjà le réseau routier le plus dense d’Europe, on continuera à alimenter ce modèle. Or on connaît les nécessités sur le plan climatique, sur celui de la qualité de l’air mais aussi le nombre de morts colossal sur les routes chaque année.
Qu’est-ce qui manque à la Wallonie ?
Il suffit de se balader pour le voir : des trottoirs sûrs, des infrastructures cyclables permettant de sécuriser la pratique du vélo… Et bien sûr également une politique relative à la vitesse. On reste encore dans des vitesses dangereuses pour les piétons ou les cyclistes, de 70 km/h par exemple sur les nationales qui bordent les villages. Par ailleurs, il est encore plus compliqué hors des zones urbaines de se déplacer autrement qu’en voiture. Quand on voit les centres commerciaux en périphérie, les zonings, ou également les lotissements qui sont implantés au milieu de nulle part, on crée un besoin de voiture chez des gens qui n’en auraient peut-être pas eu besoin auparavant.
C’est-à-dire ?
Nous soutenons un mode de vie qui permette l’accessibilité plus que la mobilité.
Vous prônez une sortie totale de la politique de mobilité automobile ?
En tout cas, nous voulons sortir de la dépendance à la voiture par une politique d’aménagement du territoire qui soit volontariste en la matière. Et par une série d’autres mesures comme des mesures fiscales ou la promotion d’autres types de modèles de voitures. Des autos plus modestes, plus petites, pas les modèles SUV qu’on essaie de nous vendre à tout-va. Pour faire en sorte que lorsqu’on a besoin d’une voiture, on puisse en utiliser une, si possible partagée et de taille raisonnable, mais qu’on puisse plus systématiquement s’en passer.
Hors les alternatives plus classiques, avez-vous connaissance d’autres moyens intéressants pour réduire le nombre de voitures ?
Oui, il y a un développement important de services, en particulier en ville mais aussi dans des localités plus petites. À Gembloux par exemple, on a des services de mobilité partagée en voiture ou en vélo qui se développent. Ça permet pour certains ménages de se passer de la deuxième voiture, voire de la voiture du ménage, carrément. Car cette voiture, on ne l’utilisait qu’à peu près 10 000 km par an. Ça économise tous les coûts.
Il y a un malentendu ou, en tout cas, une différence de vision sur la mobilité entre la population et le politique, selon vous ?
Le politique est malheureusement et bien souvent beaucoup plus conservateur que la population. Si vous consultez les sondages, la population pense de manière beaucoup plus progressiste que le politique sur la plupart des sujets. Alors, bien sûr, lorsqu’on réduit des places de parking, on a d’abord des commerçants, par exemple, qui s’inquiètent de comment ils vont affronter ce changement. Pourtant, on se rend compte par la suite que s’ils se sont plaints au début, ils ont finalement gagné une autre clientèle . Celle-ci vient plus ponctuellement, mais achète davantage car elle fait de son déplacement un lieu de promenade. Ce n’est plus un arrêt pour une petite course en voiture entre deux activités. L’expérience montre que la population est généralement prête à changer à condition qu’on lui donne la possibilité de le faire, de façon sécurisée et réaliste par rapport à ses modes de vie. Par exemple, si on installe des crèches dans les gares, cela permet aux navetteurs de reprendre facilement leurs enfants après le travail. La population réduit son temps de déplacement, retrouve de la qualité de vie, sans devoir nécessairement avoir une voiture.
Entretien : Anne Lebessi
Non pour Philippe Casse, historien de l’automobile
L’habitat dispersé fait que les Belges sont devenus totalement dépendants de leur voiture. Éloignés des centres, ils sont forcés de prendre le volant pour se rendre à la gare ou au magasin. Pour moi, les voitures partagées, électriques ou autonomes ne représentent pas une solution.

Un monde sans voitures est-il possible aujourd’hui ?
Non parce qu’en Belgique plus encore qu’ailleurs, nous avons construit des maisons au milieu de nulle part. Des politiciens dans les années 1950 et 1960 ont cru que l’automobile et la route allaient pouvoir s’acquitter de la totalité de la croissance de la demande de transports. Conséquence : on a conçu le long des routes, on ne peut pas les élargir.
À cause de cet habitat dispersé, les citoyens sont devenus totalement dépendants de l’automobile pour rejoindre une gare, un arrêt de bus, un magasin. La mauvaise organisation de l’urbanisme est selon moi la cause principale de ce recours massif à l’automobile.
La Flandre est pour cela exemplaire, dans le mauvais sens du terme. Elle est visitée par des urbanistes du monde entier qui viennent voir chez nous ce qu’il ne faut pas reproduire chez eux, c’est-à-dire : l’urbanisation en ruban où on fait grandir les villes et les villages en construisant le long des routes existantes. Ces villes et les villages grandissent en tentacules au lieu de grandir en pétales, en gardant la population plus proche du centre de la localité.
Aujourd’hui, l’automobile est le seul mode de transport qui doit s’acquitter des déplacements que les autres modes ne peuvent ou ne veulent pas faire, c’est en ça qu’elle est un moyen de transport universel.
Maintenant, il faut que chacun fasse l’effort de s’interroger chaque fois avant de se mettre en route. Est-ce que mon déplacement est bien utile ? Je milite pour qu’on fasse un usage raisonnable de l’automobile. On doit faire mieux notre boulot d’ Homo mobilis .
Réduire le nombre de voitures ne sert à rien selon vous. Pourquoi ?
Ce ne sont pas les voitures le problème, c’est leur usage. Par exemple, les véhicules partagés augmentent le trafic. La voiture autonome sera quant à elle une catastrophe en termes de volume de trafic. En effet, ce qui limite l’usage de la voiture c’est le parking et le temps passé à faire un trajet. Si vous montez à bord d’une voiture autonome, vous pouvez travailler et rentabiliser ce temps. Le nombre de véhicules sur les routes sera donc plus grand.
Enfin, on dit que les voitures électriques ne rejettent aucun CO2. Certes, mais on ne se penche jamais sur la manière dont les batteries sont rechargées. Si vous les branchez à la maison, il faut savoir qu’une grande partie de notre électricité nous vient d’Allemagne. Or, celle-ci produit deux fois plus de CO2 que la nôtre, il n’y a plus de centrales nucléaires dans ce pays. En Belgique, une voiture électrique, sa fabrication, son utilisation et son recyclage, produisent environ la même quantité de CO2 qu’une voiture diesel. Il faut aussi se rappeler que, même s’il a une influence sur le climat, le CO2 n’est pas un polluant dans le sens chimique du terme.
En ce qui concerne les avancées technologiques, en cinquante ans, les automobiles ont doublé de poids et malgré cela, elles ont divisé par deux leur consommation de carburant. Elles ont aussi divisé par trente leur consommation d’huile. Elles émettent 95 % de polluants en moins. En un demi-siècle, le nombre de morts par kilomètre parcouru en Belgique a été divisé par plus de 50. L’automobile a fait des progrès fabuleux, et elle en fait tous les jours, grâce à la concurrence.
Entretien : Louise Vanderkelen
Les Belges ne sont pas prêts à lâcher leur voiture
Selon une étude réalisée par Indiville à la demande de la Fédération belge de l’automobile et du cycle ( Febiac ) et relayée par nos confrères de La Dernière Heure , sept Belges sur dix ne trouvent pas d’alternative à la voiture. Ils l’utilisent principalement pour aller travailler, faute d’une offre de transports en commun attrayante, offrant une couverture suffisante.
Près d’une personne interrogée sur quatre (38 %) prend la voiture parce que le bus ou le train coûte trop cher ou par manque de connexions (34 %). Un tiers déclare aussi qu’en raison de leurs activités professionnelles, il leur est impossible de faire autrement (36 %). La moitié des navetteurs interrogés (50 %) utilise uniquement la voiture pour aller travailler.
Combiner différents moyens de transport est l’une des solutions avancées par l’étude pour diminuer les problèmes de mobilité. Pourtant, seulement une personne sur six (18 %) est convaincue que cette "combi-mobilité" permettrait de résorber les embouteillages.