Les partis nuisent-ils à la démocratie?
Publié le 23-01-2019 à 09h24 - Mis à jour le 23-01-2019 à 14h43
Le mouvement "Citoyen !" a officiellement été constitué dimanche. Il réunit une centaine de listes citoyennes locales et compte se présenter aux prochaines élections régionales, fédérales et européennes. Dans leur collimateur : les partis traditionnels qui seraient "nuisibles à la démocratie".
Oui pour Olivier Carlens, membre du comité de pilotage du mouvement "Citoyen !"
De par leur opacité et leur rigidité, les partis traditionnels ne sont plus garants de la représentativité politique des citoyens. Une évolution en ce sens est possible, mais elle ne se fera pas avec des personnes au pouvoir depuis quarante ans.

Votre mouvement citoyen prône l’éthique, la bonne gouvernance et la transparence. C’est ce qui manque aujourd’hui aux partis traditionnels selon vous ?
Oui. Cela, on l’a vu sur les dernières années avec tous les scandales qui ont éclaté dans tous les partis : il n’y en a pas un qui est épargné, au moins pour ce qui concerne la bonne gouvernance et l’éthique. Lors des élections communales, toutes les listes citoyennes (il y en a 120 à peu près en Wallonie), ont mené le même combat, en voulant remettre le citoyen au cœur de la politique locale. Pourquoi ? Parce que dans ces communes, toutes ces personnes ne se sont pas senties écoutées ou bien gouvernées.
Concrètement, quels dysfonctionnements avez-vous pu observer au niveau local ?
Au niveau local, je vais prendre l’exemple de Remicourt, où un conseiller communal et un échevin, lors de la mandature précédente, ont sondé plus de six cents personnes et ont obtenu presque 640 signatures en faveur d’un projet (un centre sportif, NdlR) ; ils ont présenté ces résultats au bourgmestre, qui les a balayés d’un revers de main. Ce qui revenait à dire : "L’avis des gens ne m’intéresse pas !" Quand vous avez un bourgmestre qui refuse de prendre en considération l’avis de plus de 600 personnes dans une localité qui compte 1 500 à 2 000 citoyens, c’est juste inadmissible.
Vous plaidez pour une organisation moins pyramidale que dans les partis traditionnels ; cela ne risque-t-il pas de poser d’énormes problèmes d’organisation ?
Vous savez, c’est comme dans une entreprise privée : plus la hiérarchie sera mystifiée, plus ce sera compliqué de déloger quelqu’un. On le voit avec les holdings, les sociétés offshore, les multinationales, etc. C’est très opaque, et cela ressemble à la manière dont les partis sont gérés actuellement. En quoi sommes-nous différents des partis traditionnels ? Par la méthode, qui consisterait entre autres en une meilleure représentativité des citoyens dans les instances décisionnaires, tant à Bruxelles qu’en Wallonie. De même, si la volonté d’un parti n’est pas foncièrement mauvaise, une évolution est impossible avec des personnes qui sont en place depuis 40 ans. Ce n’est pas logique : quand vous êtes employé et que vous démissionnez, vous n’avez pas droit au chômage. Eh bien, quand vous avez un mandat, ce n’est pas un CDI, c’est un CDD. Vous savez quand vous commencez et quand vous terminez. Il n’y a pas d’interprétation possible.
Vous sentez-vous proche du mouvement des "gilets jaunes" en France, et dans une moindre mesure en Belgique ?
D’abord, cette idée de fédération de listes citoyennes a commencé bien avant les "gilets jaunes". C’est d’abord une volonté de défiance par rapport aux partis traditionnels. Mais il est vrai que c’est pour nous une question épineuse, car nous ne voulons pas verser dans de la récupération politique, qui est souvent le fait de partis extrémistes. Donc on ne va certainement pas leur dire : "Gilets jaunes, ce que vous revendiquez on l’a mis dans notre charte, venez avec nous." Laissons les revendications des "gilets jaunes" aux "gilets jaunes". Maintenant, s’il y en a dans ce mouvement qui, pour une raison X ou Y, adhèrent à notre charte et souhaitent nous rejoindre, ils sont les bienvenus sans aucun problème.
Entretien : Clément Boileau
Ne dites plus "parti"…
Lexique. À en croire la tendance actuelle, on dirait bien que le mot "parti" n’a plus la cote. Mais alors, que dire ? Dans son communiqué de presse, la Fédération des listes citoyennes à Bruxelles et en Wallonie entend promouvoir ce qui n’est ni "un nouveau parti", ni "un mouvement revendicateur", mais bien un "rassemblement d’initiatives politiques menées par des citoyens autour de valeurs communes".
Quelques lignes plus loin, voilà pourtant le mot "mouvement" qui revient au galop : "L’objectif est de créer un nouveau mouvement de masse", précise le communiqué, "plus puissant et cohérent que la juxtaposition de formations politiques locales".
Restait à trouver un nom au mouvement, qui ne serait donc ni un parti, ni un mouvement… ce sera donc "Citoyen !" : un mot qui ne devrait froisser aucune "liste citoyenne" composant la fédération…
Non pour Pierre-Yves Dermagne, chef de groupe PS au Parlement wallon
Les partis traditionnels sont des structures qui rassemblent des militants autour de valeurs et de projets communs, ce que les mouvements citoyens n’arrivent pas à faire. Ils disposent également d’une expertise que n’ont pas ces nouveaux mouvements pour faire face à la complexification des enjeux.

Les mouvements citoyens remettent en cause l’efficacité et la pertinence des partis traditionnels. En quoi sont-ils, selon vous, nécessaires ?
Tout d’abord, les partis rassemblent des gens autour d’un corpus de valeurs, d’idées, de projets. Ils ne se rassemblent pas en fonction d’un événement ou en opposition à une situation ou une décision. Les militants se rassemblent autour d’une structure qui garantit une homogénéité de valeurs, d’idées, de pensées. C’est important.
On a déjà pu constater les difficultés rencontrées par des mouvements citoyens qui veulent à un moment donné se structurer. Par exemple, le mouvement français "En Marche" a rassemblé des gens d’horizons différents qui se sont par la suite assez vite divisés sur des questions plus spécifiques, plus essentielles. On se rend compte que ces personnes n’avaient finalement pas grand-chose en commun. Cela démontre les limites de ces mouvements.
Un autre exemple est la difficulté rencontrée au quotidien par des mouvements comme les "gilets jaunes". La gronde spontanée, si on veut qu’elle ait une résonance en dehors de la démonstration du nombre ou de la force, doit se structurer et les protestataires doivent se mettre autour de la table et débattre, déterminer des priorités dans le cadre de leur action collective. Je pense qu’il s’agit d’une force des partis politiques traditionnels. L’action collective est plus efficace quand elle est organisée.
Ensuite, les partis traditionnels ont une expertise en interne. Quand on voit aujourd’hui la complexification des enjeux, que ce soit en matière budgétaire ou en matière technique, je pense notamment à la question de l’énergie, il est important d’avoir au sein d’un groupe politique des experts, des gens qui connaissent les matières, les tenants et aboutissants et qui ne se laissent pas faire face à d’autres techniciens qui représentent les lobbys, par exemple. Je pense qu’il y a encore une place et une légitimité pour les partis traditionnels. À eux aussi, bien entendu, de se réinventer, de réfléchir aux interactions qu’ils peuvent entretenir avec ces mouvements citoyens et avec la population de manière générale.
Les citoyens qui rejoignent ces mouvements se plaignent justement de ne pas être entendus par les partis traditionnels. Que leur répondez-vous ?
On doit pouvoir entendre qu’il y a des gens qui se sentent délaissés, pas assez entendus ou pas assez représentés par les représentants politiques. On doit en tenir compte. Maintenant, j’estime que le PS est un lieu de débats où on reçoit régulièrement des représentants de la société civile. Nous rencontrons tous les jours les citoyens, que ce soit physiquement, par téléphone ou par Internet.
Ces mouvements citoyens réclament transparence et éthique en politique.
Ils ne sont pas les seuls à le revendiquer. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que tout un travail qui a été fait en interne dans les partis politiques et dans la sphère publique pour instaurer plus de transparence, d’éthique, de mécanismes de contrôles et de sanctions. Je pense que le monde politique n’a jamais été aussi transparent, contrôlé. Les mandataires ont désormais l’obligation de rendre des comptes à la population et ce, tout au long de leur mandat.
Entretien : Louise Vanderkelen
"Un mouvement citoyen n’est pas la somme d’individualités"
Le bourgmestre d’Ixelles et député Écolo, Christos Doulkeridis, rejoint Pierre-Yves Dermagne sur plusieurs points. Pour l’écologiste, " on peut comprendre qu’il y ait des critiques sur la pertinence des partis politiques traditionnels mais ceux-ci sont capables de gérer la complexité des négociations éventuelles. Ces décisions ne sont pas simples et nécessitent une certaine organisation au sein du mouvement. Ses membres doivent partager un minimum de points de vue pour pouvoir négocier avec les mouvements qui leur sont opposés et les convaincre. Un mouvement n’est pas la somme d’individualités. Un exemple parlant est ce qui se passe en France. Les revendications des ‘gilets jaunes’ sont difficiles à structurer, tout comme les réponses du mouvement de Macron ".
Le député ne ferme toutefois pas la porte à ces nouveaux mouvements citoyens. " Il ne faut pas s’y opposer. Ces combats politiques ne sont pas inutiles, je les respecte. Il y a de la place pour eux. "