Un roi à la tête de l'Etat français?
Publié le 24-01-2019 à 09h19 - Mis à jour le 24-01-2019 à 10h11
Prétendant au trône de France, le comte de Paris, Henri d’Orléans, est décédé ce lundi. Son héritier est connu : il s’agit de son fils Jean d’Orléans, descendant du dernier roi des Français Louis-Philippe Ier. Régnera-t-il pour autant ?
Oui pour Christophe Barret, historien, membre du comité directeur de la Nouvelle Action royaliste
Le retour d’un roi en France garantirait l’incarnation de l’État et l’unité de la nation, tout en jouant un rôle d’arbitre qui serait utile en temps de crise. De plus, cela permettrait de penser les questions de société sur le long terme.

Selon vous, pourquoi faut-il revenir à une monarchie en France ?
Parce que la question de l’institutionnalisation de l’État qui se pose depuis la Révolution française n’a pas été réglée. On a théorisé au début avec la première monarchie constitutionnelle en 1791, qui a fait des petits comme par exemple en Belgique, mais qui n’a pas perduré chez nous… À la Nouvelle Action royaliste, nous avons une conception politique ouverte à la République et au bien commun. Et donc, pour ce bien commun, l’incarnation de l’État, de son unité, de sa continuité, de sa fonction arbitrale - modératrice, comme on dit en Espagne -, l’institution monarchique nous semble essentielle.
En quoi ?
On constate que dans les pays où la monarchie a subsisté, il y a un problème d’unité. Mais en France, pour le plus grand mal de la monarchie, c’est cette dernière qui en est responsable ! D’autre part, un retour de la monarchie chez nous pourrait permettre d’éviter la confusion des pouvoirs. Ce principe de neutralité effective du chef de l’État n’est pas assuré en France. Le seul moyen de l’assurer serait donc une monarchie constitutionnelle, qui fait ses preuves ailleurs, comme chez vous en Belgique.
Que faut-il pour ouvrir la possibilité d’une monarchie parlementaire en France ?
Si on doit y venir un jour en France, ce ne sera que par référendum. En attendant, le rôle d’un mouvement royaliste comme le mien, c’est d’aider le prince à montrer qu’il est utile. Par des déclarations, comme il l’a fait il y a quelques semaines à l’occasion des 60 ans de la Constitution de la Ve République française, en prenant position dans le débat public, que ce soit sur la question institutionnelle ou écologique. C’est le rôle d’un monarque et d’une dynastie en place : elle est là pour penser sur le long terme. Une chose qu’ont comprise Albert de Monaco, par exemple, ou le prince Charles : il y a des sujets de société, sur la question institutionnelle, européenne, les affaires étrangères, qui concernent le long terme.
Est-ce que l’image de l’Ancien Régime, qui estimait que le pouvoir est divin, joue contre les monarchistes modernes ?
Tout à fait. C’est d’ailleurs un argument utilisé pour critiquer Emmanuel Macron en le comparant à un monarque absolu. Nous, à la Nouvelle Action royaliste, prenons plutôt pour exemple les monarchies européennes (Espagne, Belgique, Royaume-Uni) en disant que justement, un roi, c’est l’incarnation d’un principe arbitral, qui est utile dans les moments de crise. Aujourd’hui, avec les "gilets jaunes", un roi pourrait jouer un rôle de conseil qui ne serait pas inopportun.
Un mot sur Jean d’Orléans, nouveau prétendant au trône de France : n’est-il pas hors de son rôle en rejoignant la Manif pour tous ou en déclarant son admiration pour Nicolas Sarkozy ?
Oui, il a eu des cas de conscience à régler. Un prince n’en a pas moins à se plier aux règles constitutionnelles. Après, dans la mesure où il n’est pas régnant, il a un peu plus de marge de manœuvre qu’un autre. Mais effectivement, il doit être conscient qu’il est une incarnation d’un principe valable pour tous.
Entretien : Clément Boileau
Un trône, plusieurs prétendants
Les orléanistes sont les partisans de la maison d’Orléans, laquelle désigne les descendants du dernier roi de France comme héritiers du trône. Leur prétendant n’est autre que Jean d’Orléans, fils du comte de Paris Henri d’Orléans.
Les légitimistes sont partisans de la branche aînée des Bourbon d’Espagne, elle-même issue de la dynastie capétienne. Le prétendant au trône serait selon eux Louis de Bourbon, aîné des capétiens et descendant du deuxième petit-fils de Louis XIV.
Bonapartisme . Comme son nom l’indique, le bonapartisme entend s’inspirer des Napoléon (I et III). Le mouvement est représenté par divers mouvements et organisations et n’a pas de chef de file désigné.
Non pour Florian Savonitto, maître de conférences spécialiste en droit constitutionnel - Université de Bordeaux - CERCCLE
La Constitution interdit la révision de la forme républicaine du gouvernement. Un retour à la monarchie est donc inconstitutionnel. Pour qu’il y ait un roi en France, ou pour qu’il le devienne lui-même, Emmanuel Macron devrait faire tomber beaucoup de garde-fous.

Pensez-vous qu’un retour de la monarchie en France soit possible ?
Constitutionnellement, c’est impossible. Car l’article 89 - spécifiquement l’alinéa 4 - interdit de réviser la forme républicaine du gouvernement. C’est d’ailleurs le seul interdit posé par la Constitution qui porte sur le contenu des révisions constitutionnelles.
Cet interdit ne pourrait-il pas être contourné ?
Non, puisqu’il est intangible. Il n’est pas possible de le réviser, sauf à commettre une violation de la Constitution. Ou de passer à une autre Constitution.
Où réside alors l’impossibilité, si on peut changer de Constitution ?
La Constitution pose d’autres limites à sa révision. Et s’il y a une initiative dans le sens du rétablissement de la monarchie, la question est de savoir comment on fait pour qu’elle n’aille pas jusqu’à son terme. Normalement, la procédure constituante de l’article 89 a mis suffisamment de garde-fous pour qu’on ne puisse pas réviser la Constitution de manière intempestive. D’abord, pour la réviser, il faut que l’initiative de révision rencontre l’assentiment du Premier ministre qui la propose, lui, au chef de l’État. Ou bien qu’elle émane des parlementaires : une initiative qui émane de l’exécutif ou du législatif, en somme. Il faut également que cette proposition de révision soit votée et acceptée par les deux assemblées. Or, souvent, les révisions de la Constitution se heurtent au refus de l’une ou de l’autre. Le quinquennat de François Hollande s’est heurté à de nombreuses reprises au refus du Sénat, par exemple, de projets de révision de la Constitution votés par l’Assemblée nationale. L’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution et la déchéance de nationalité pour les nationaux se sont heurtées à ce refus. Ensuite, ce n’est pas fini : le président de la République doit soumettre le texte de révision au référendum populaire. Le Président, qui est gardien de la Constitution, peut par ailleurs très bien ne pas soumettre une révision de cette dernière au référendum… C’est déjà arrivé. C’est un pouvoir qu’il a pour s’opposer à une proposition de parlementaires qui aurait obtenu un vote favorable des deux assemblées… Donc, dans tous les cas, le président de la République pourra s’opposer à un retour à la monarchie.
Un retour hypothétique à la monarchie impliquerait l’intronisation d’un des héritiers dits légitimes ? Ou pas forcément ?
Dans l’histoire, avec Louis-Napoléon Bonaparte, on a vu un président devenir empereur. Comme il n’est pas parvenu à réviser la Constitution pour pouvoir rester plus longtemps au pouvoir, il a fait un coup d’État puis s’est fait déclarer empereur, pour pouvoir ainsi occuper la position de chef de l’État à vie.
Peut-on imaginer qu’Emmanuel Macron, un jour, devienne roi ?
Non, je ne pense pas. Il a d’une part montré son attachement à la République, et puis il faudrait que les parlementaires et le peuple aient adhéré. Encore ensuite, le Conseil constitutionnel pourrait se reconnaître compétent pour contrôler une loi constitutionnelle. Encore une fois, il y a beaucoup de garde-fous qui devraient tomber.
Donc, c’est un "non, mais..." ?
La procédure constituante fait qu’il y a très peu de chances que cela se passe.
Entretien : Anne Lebessi
Ailleurs en Europe, c’est la république qu’on réclame…
Le cas catalan
"Balayer la monarchie" , scandait le parti d’extrême gauche CUP pendant le référendum d’indépendance de la Catalogne. La question posée à la population était d’ailleurs claire : "Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une République ?" Ce furent 2 millions de "oui".
Historiquement, le roi d’Espagne est une figure contestée en Catalogne. La Diada , fête nationale catalane, a lieu le 11 septembre, date anniversaire de la prise de Barcelone en 1714 par le roi Felipe V, qui mit ainsi fin à la Principauté de Catalogne et assit la monarchie absolue. Un symbole… "Cette date fait partie des éléments de l’histoire que les indépendantistes utilisent pour établir un récit national catalan" , explique Barbara Loyer, spécialiste de l’Espagne, citée dans le Journal du Dimanche . Le 26 octobre 2018, le Parlement catalan a clairement pris position pour l’abolition de la monarchie en votant une résolution, que le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, jusque-là prompt à apaiser les tensions, a jugée "inacceptable" .