L'héritage devrait-il disparaître?
Publié le 25-01-2019 à 09h44 - Mis à jour le 25-01-2019 à 10h57
Début janvier, le think tank de centre gauche "Terra Nova" proposait d’augmenter la fiscalité des successions en France pour plus de "justice économique". Certains spécialistes vont jusqu’à parler d’abolition de l’héritage. Une proposition de taxe confiscatoire particulièrement controversée.
Oui pour Félix Mailleux, politologue, diplômé de l’UCLouvain
Il me semble plus juste que l’État taxe moins le travail, véritable moteur de la société, et qu’il finance cette baisse en récupérant l’intégralité de la fortune des citoyens après leur mort. Il y aurait toutefois quelques exceptions. Par exemple, en cas de décès prématuré.

Pour quelles raisons souhaiteriez-vous que l’héritage et les droits de succession soient taxés à 100 % ?
Pour répondre aux revendications des "gilets jaunes", les gouvernements belge et français ainsi que les porte-paroles du mouvement ont avancé des pistes intéressantes à creuser mais il en existe selon moi une qui est restée jusqu’à présent absente du débat public : taxer l’héritage à 100 % et réduire dans le même temps drastiquement l’imposition sur le travail. À mon sens, cela amènerait plus de justice sociale, fiscale et d’efficacité dans notre société.
Quels avantages voyez-vous dans l’instauration d’une telle mesure ?
L’héritage n’a selon moi pas lieu d’être en ce sens qu’il ne récompense pas un individu pour la valeur ajoutée qu’il apporte à la société. C’est contre-productif car cela ne constitue pas un incitant pour ces personnes à travailler ou à être utiles pour la société. Hériter d’une grande fortune peut parfois amener un individu à stopper toute activité pour mener une vie luxueuse qu’il n’a rien fait pour mériter. Il me semble plus juste que l’État taxe moins le travail, véritable moteur de la société, et qu’il finance cette baisse en récupérant l’intégralité de la fortune des citoyens après leur mort.
L’héritage est en effet un des principaux vecteurs d’inégalités au sein d’une société, car il accentue et perpétue des différences de patrimoine entre les individus sans aucune autre justification que la chance d’être né ou non dans une famille riche. Le supprimer entièrement permettrait de réduire ce fossé entre riches et pauvres.
De plus, une taxation sur le travail trop élevée décourage l’entrepreneuriat et a dès lors un effet négatif pour la société dans son ensemble. Par ailleurs, du fait que le revenu sur le travail serait moins taxé, une personne devrait bénéficier d’un capital plus élevé dès son entrée sur le marché du travail au lieu d’un héritage qui arrive bien souvent à l’âge de 40, 50 ou 60 ans.
Je suis persuadé que cette politique pourrait trouver écho dans toutes les formations politiques puisqu’elle intègre des éléments des théories libérales (comme la méritocratie, la liberté d’entreprendre, l’abaissement des charges qui pèsent sur le revenu, etc.) et des théories socialistes ou marxistes (comme l’égalité des chances, maintien des services publics et de l’État providence).
Ne pensez-vous pas que cette proposition risque d’être mal perçue par la famille proche du défunt, qui pourrait trouver ça injuste ? Ne prévoyez-vous pas des exceptions particulières ?
Dans le cas d’un mariage de longue durée, il devrait être possible pour le défunt de transférer l’héritage à son conjoint pour lui assurer le même rythme de vie jusqu’à sa mort. Après cela, l’héritage serait intégralement taxé. La proposition vise donc principalement la transmission à la descendance. À cet égard, je pense qu’une taxation complète de l’héritage contribuerait à renforcer les incitants pour une personne à passer du temps avec sa famille et à lui transmettre ses connaissances, caractère et passions plutôt que passer du temps à gagner de l’argent qu’il ne dépensera pas de son vivant.
On pourrait également imaginer un mécanisme dans le cas d’un décès prématuré pour qu’un orphelin dispose tout de même d’un héritage ou en tout cas d’un accompagnement de l’État plus important. Par contre, si une personne décède à 80 ans et que ses enfants ont 50 ans, il y a déjà suffisamment de chances pour que ces personnes aient de quoi vivre.
Il est vrai que taxer à 100 % l’héritage priverait les descendants d’un défunt d’une compensation financière. On pourrait d’ailleurs penser à l’instauration d’un seuil pour la transmission d’objets revêtant une valeur symbolique ou sentimentale.
Mais les personnes plus âgées vont tenter de léguer l’entièreté de leur patrimoine avant leur décès, non ?
C’est parfois déjà le cas lorsque des personnes tentent d’éviter la taxe sur l’héritage. Les dons sont déjà réglementés : si un donateur décède moins de trois ans après une donation, le bénéficiaire doit payer des droits de succession. Il faudrait selon moi rendre cette loi plus stricte encore afin d’éviter l’éludement fiscal sur l’héritage.
Oxfam appelle à taxer les super-riches
Ce lundi , l’ONG Oxfam a, lors de la publication de son rapport annuel , appelé les États à taxer les plus riches . Selon l’ONG, 26 milliardaires ont désormais entre leurs mains autant d’argent que les 3,8 milliards les plus pauvres de la planète. D’une manière générale, la richesse des milliardaires dans le monde a augmenté de 900 milliards l’an dernier, soit au rythme de 2,5 milliards par jour. Sur un dollar d’impôt sur le revenu, seulement quatre centimes proviendraient de la taxation de la richesse.
Non pour François Parisis, directeur de l’Ingénierie patrimoniale et de la Fiscalité chez Banque Transatlantique Belgium
Il serait scandaleux de priver les gens de leur passé. Lorsqu’une société se prive de son histoire, elle meurt. Si l’héritage était taxé à 100 % ou disparaissait, on risquerait de fabriquer une génération de personnes à charge de la société.

L’héritage devrait-il disparaître ?
Non. Après un décès, les souvenirs des bons moments passés avec cette personne s’estompent au fil du temps. Les seules choses qui restent sont ce qu’elle vous a transmis : l’éducation, l’humour, les traits de caractère, mais aussi les éléments du patrimoine. Lorsqu’une société se prive de son histoire, elle meurt. Nous avons tous des racines et le patrimoine est un des éléments qui les constituent.
Que pensez-vous de l’idée de taxer l’héritage et les droits de succession à 100 % ?
C’est une proposition scandaleuse car elle prive les gens de tout leur passé. Les objets, sauf si on les consomme mal, peuvent se transmettre de génération en génération. Si l’État fait main basse sur votre patrimoine, il emportera vos vieux souvenirs de famille.
De plus, notre pays a fortement développé son tissu de PME. À partir du moment où vous taxez à 100 % le patrimoine des gens décédés, vous détruisez ce tissu géré par des familles créatrices d’emploi. Or les pouvoirs publics sont de très mauvais gestionnaires pour gérer des entreprises. On a déjà pu le constater. Ce serait une catastrophe pour notre économie et notre pays de voir des hommes politiques à la tête de nos entreprises.
Plutôt que de faire main basse sur les entreprises des personnes décédées pour réduire l’impôt sur le travail, les chefs d’entreprise, s’ils ont réussi, devraient participer à des actions de mécénat, de soutien à des fondations, à des organismes de recherche. Cela se fait déjà sur base volontaire et je trouve que c’est une manière beaucoup plus pertinente de faire contribuer les citoyens qui ont bien réussi.
Une autre lacune de cette proposition est qu’il faudrait qu’elle entre en application dans tous les pays de cette planète. C’est illusoire. Ce n’est pas demain la veille que tous les États se mettront d’accord pour taxer les successions à 100 %. Car si on ne l’applique pas partout, il y aura des départs. Qui partira ? Pas la classe moyenne mais les gens très fortunés qui s’empresseront de s’établir ailleurs.
Que se passerait-il si l’héritage était taxé à 100 % ?
Les gens vont évidemment, plus qu’aujourd’hui encore, se sentir obligés d’organiser leur succession avant tout risque de décès. Ils vont donner leurs biens et leur argent et craindre autant leur mort que celle des personnes à qui ils vont donner. Ils vont alors s’empresser d’insérer dans les donations des clauses de retour conventionnelles qui permettent de récupérer ce que l’on a donné dans le cas où le bénéficiaire meurt avant nous. Nous aurons donc les planifications successorales à la pelle. Au final, le jour où la personne décédera, elle n’aura donc plus rien à déclarer.
Et, si les citoyens n’ont pas les moyens de faire des donations, ils vendront leur patrimoine en viager. Ils trouveront des acquéreurs pour leur maison par exemple. Ces personnes vont alors vivre des rentes jusqu’à la fin de leurs jours. Encore une fois, lorsqu’ils mourront, il n’y aura plus rien.
D’un point de vue social, on risque de fabriquer une génération de personnes à charge de la société. Elles vont en effet s’empresser de s’appauvrir et si elles ont eu le malheur de s’appauvrir de manière excessive, elles iront frapper à la porte d’un CPAS. Cette mesure est donc illusoire et se retournerait finalement contre l’État.
Taxer l’héritage à 100 % ? Mauvaise idée...
Pour Roland Gillet, professeur de finance à la Sorbonne (Paris 1) et à l’ULB (Solvay), "on peut toujours envisager de diminuer l’impôt sur le travail, notamment en Belgique où il est fort taxé. Mais taxer l’héritage et les droits de succession à 100 % n’est pas la solution. Premièrement parce qu’en Belgique, nous sommes déjà à des taux très élevés de taxation sur l’héritage : de 30 % à 80 % pour les personnes qui sont à des niveaux de parenté beaucoup plus éloignés. C’est déjà presque confiscatoire. Ensuite, si demain vous dites aux travailleurs que tout va être prélevé, ils vont soit reverser leur argent à leurs enfants avant leur décès ou le consommer à des choses sans intérêt car ils n’ont pas envie de le donner à la collectivité. Il ne faut pas oublier que l’objectif premier d’un travailleur est de pouvoir assurer un train de vie à ses enfants et à ses petits-enfants. Vous supprimez donc des objectifs légitimes de vie de beaucoup de personnes. De plus, cette mesure ne fonctionnera pas à l’échelle d’un seul pays. Des personnes risquent de se délocaliser et c’est déjà le cas. "