Les soldes, un modèle à enterrer?
Publié le 31-01-2019 à 09h37 - Mis à jour le 31-01-2019 à 12h55
Ce jeudi sonne le dernier jour des soldes d’hiver. L’occasion pour certains consommateurs de faire leurs derniers achats dégriffés. Mais, à l’heure où les promotions s’enchaînent tout au long de l’année, les soldes ont-ils encore une raison d’être ? Ou, au contraire, sont-ils dépassés?
Oui pour Geoffrey Bruyère, cofondateur de BonneGueule, marque de vêtements, propose des conseils en mode masculine
Les soldes sont les soins palliatifs d’un marché qui a perdu la tête. Plus ils sont importants, plus les consommateurs vont attendre la fin de la période pour acheter. Le produit perd de sa valeur et les marques s’engouffrent dans un cercle vicieux. Résultats : elles font faillite ou licencient.

Le modèle des soldes est-il dépassé selon vous ?
Oui. Historiquement, les soldes étaient l’occasion pour les entreprises de liquider leurs fins de stocks afin de dégager de la trésorerie et produire des biens neufs. Les soldes avaient à l’époque un avantage social car certains ménages proches de leurs sous pouvaient avoir accès à des produits vendus à des prix plus modestes. Mais aujourd’hui, l’esprit initial des soldes a disparu avec l’essor de la société de consommation et avec l’accélération du phénomène de soldes, de ventes privées, de promotions constantes. Nous en sommes à un point où plus d’un vêtement sur deux est vendu à un prix soldé. Ce qui était une exception est devenu le business model dominant, un système d’animation commerciale. Ils ne se font plus en fonction des stocks et de la logistique mais sont commandés par le marketing et la communication qui poussent à la surconsommation. Les soldes n’ont plus de sens. Ils n’ont jamais été aussi longs. Avant, ils arrivaient en fin de saison, aujourd’hui, c’est en mi-saison. Cela démontre bien qu’ils ne sont plus faits pour écouler des fins de stocks.
Pourquoi les soldes ont-ils encore tant de succès ?
Les marques se sont adaptées. Elles savent que les consommateurs rechignent aujourd’hui à acheter autre chose qu’un prix barré car ils ont l’impression de se faire avoir lorsqu’ils achètent prix plein. Les marques augmentent alors virtuellement leurs prix pour les brader ensuite de manière à ce que les consommateurs achètent quand même. À force de déconnecter le prix plein de la réalité et de la qualité du produit, une brèche de confiance se crée entre ceux qui achètent et les marques.
La preuve est que si vous mettez des vêtements de seconde main en vente sur Internet, cela ne fonctionne pas. On ne sait plus vendre un vêtement H&M ou Zara car il n’a plus de valeur aux yeux des consommateurs, il est devenu jetable.
Que font les marques avec les invendus ?
Grâce au développement de la logistique et aux algorithmes, il n’y a jamais eu aussi peu de stock qu’aujourd’hui. C’est un paradoxe quand on sait qu’il n’y a jamais eu autant de périodes de soldes. Cela démontre bien, encore une fois, que ces paramètres ne sont plus liés.
S’il reste des invendus, les marques ont deux options : dégriffer le produit pour le vendre dans des canaux encore plus low cost ou le détruire, tout simplement. Beaucoup de marques se sont fait épingler à ce sujet car elles brûlent les vêtements qu’elles n’ont pas su vendre. Récemment, c’était le cas de Burberry et d’Uniqlo. Aujourd’hui, la plus grande partie du prix d’un vêtement, ce n’est pas son coût de production mais son coût de distribution. Il est donc moins cher de détruire des invendus que de les distribuer à petit prix.
Les soldes sont les soins palliatifs d’un marché qui a perdu la tête. Ils ne vont pas guérir les marques et leur permettre de s’en sortir. Plus les soldes sont importants, plus les consommateurs vont attendre la fin de la période pour acheter. La marque s’engouffre alors dans un cercle vicieux. Résultats : elles font faillite ou sont obligées de licencier.
L’objectif est de remettre de la valeur dans le produit. Les gens doivent acheter moins mais mieux, surtout quand on sait que la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Il existe des jeunes marques qui sont en train de prendre du recul par rapport aux soldes, voire de les refuser de façon radicale.
"Un modèle économique frénétique et mortifère"
En France, Éric Mertz, le président de la Fédération de l’habillement, qui représente les indépendants, plaide pour la fin des soldes. "Je formule le vœu que les prix, en matière de textile, soient fondés sur la valeur des articles et sur rien d’autre. Ces soldes, telles que pratiqués aujourd’hui, ne veulent plus rien dire, alors arrêtons-les. Pratiquons plutôt le prix juste toute l’année et cherchons partout, et tout le temps, à remettre de la valeur dans nos boutiques. Faisons confiance aux petits créateurs, travaillons encore et encore l’expérience clients. Je crois en la capacité de nos commerces à réagir, et à bien réagir", a rapporté le site "Commerce et consommation".
Le président s’est également exprimé au micro de RTL : "Nous nous trouvons dans un modèle économique frénétique et mortifère qui enchaîne toute l’année des réductions incessantes. Donc il n’y a plus aucun repère, le consommateur est désabusé. Et de fait, les soldes ne sont plus un événement."
Non pour Clarisse Ramakers, directrice des études à l’Union des classes moyennes (UCM)
Les soldes demeurent un événement important pour les commerces indépendants, confrontés à la puissance de l’e-commerce ou de la grande distribution. Cela leur permet aussi d’écouler leurs stocks saisonniers, qui se révèlent parfois plus importants qu’escompté.

En quoi les soldes sont-ils encore importants pour les PME ?
Quand on interroge les commerçants, ce qu’ils disent c’est que cela reste un événement pour le consommateur, et donc c’est important pour eux. De par leur offre, ils essaient de se différencier de sites comme Zalando, etc. Deuxième point : les collections proposées par les commerçants indépendants sont saisonnières, là où dans la grande distribution ou l’e-commerce, on va voir de nouvelles collections apparaître tous les 15 jours. Le besoin d’écouler les stocks pour pouvoir faire face au futur stock est réel chez les commerçants indépendants, ce qui est certainement moins le cas dans la grande distribution, tout comme pour le modèle de l’e-commerce.
Quel a été l’impact des derniers soldes pour les PME ?
Nous avons fait un sondage avant les soldes auprès de nos commerçants, qui révélait que les stocks étaient beaucoup plus importants que l’année passée. Ils s’attendaient à ce que le résultat soit en stagnation ou légèrement moins bon - on envisageait une baisse de 2 % du chiffre d’affaires global émanant des soldes. Et cela a l’air de se confirmer dans les échanges qu’on a avec eux.
L’importance des soldes pour ces petits commerces ne reflète-t-elle pas une forme d’impuissance face à l’e-commerce ou la grande distribution ?
Face à l’e-commerce, qui achète en masse, distribue à l’échelle européenne et peut effectuer des montages fiscaux, c’est très compliqué vu les charges en termes de loyer, de rémunérations du personnel des petits commerçants.
On entend des commerçants se plaindre du fait que des consommateurs viennent essayer un article dans un magasin - typiquement des chaussures - et si cela leur convient ils procèdent à l’achat en ligne au prix le plus avantageux. Cela oblige les commerçants indépendants à offrir un autre type d’expérience commerciale que les grandes chaînes ou l’e-commerce. Donc on voit de plus en plus de concept stores où on voit un peu de déco, un peu de chaussures et un peu d’habillement. Ceci afin de trouver d’autres articles que ceux qu’on trouve facilement sur ces sites d’e-commerce.
Les articles sont de nos jours plus rapidement et plus fortement soldés qu’auparavant, à -30, -4O % dès le départ ; n’est-ce pas un signe que l’événement s’essouffle ?
C’est vrai, quand nous avons fait notre sondage au début des soldes, les commerçants étaient une majorité à dire qu’ils allaient commencer par du 30 à 40 %, là où avant on commençait par du 20 à 30 %. De fait, pour attirer le consommateur, les réductions pratiquées sont plus importantes qu’auparavant.
Il est parfois reproché aux soldes de favoriser la consommation de masse, au détriment de considérations éthiques ou environnementales. Que faire pour y remédier ?
Ce qui pose problème - et normalement, on ne peut pas le faire - c’est lorsqu’on achète des stocks uniquement pour les soldes. Normalement le principe de soldes c’est de permettre l’annonce et la vente à perte de marchandises qui étaient déjà en stock dans le magasin. D’un autre côté, par rapport à la fabrication, ce n’est pas simple de savoir ce qu’est un article "éthique".
Entretien : Clément Boileau
Les soldes, pas seulement une opération commerciale
Prévision. Mais comment l’UCM a-t-elle pu prévoir, avant même qu’elles ne soient effectives, les "réductions colossales" qui seraient proposées par les commerçants indépendants lors des soldes d’hiver ? Réponse : l’état important des stocks, qui a poussé presque la moitié de ces commerçants à proposer des ristournes jusqu’à 50 %.
Dans la loi. Mais si la période des soldes est indéniablement favorable à l’écoulement des stocks, et donc à la constitution de liquidités, ce n’est pas uniquement pour son potentiel commercial. En effet, sauf liquidation, les mois de janvier et juillet sont les seuls autorisant la vente à perte, d’ordinaire interdite sauf en cas de liquidation.
Pas de miracle. En dépit de ces réductions, cet hiver les rues commerçantes ont pourtant vu leurs ventes stagner, quand les ventes en ligne croissaient de 6 %. Un surplace faisant suite à une seconde partie d’année morose, selon une majorité de commerçants indépendants qui ont constaté une baisse du chiffre d’affaires, selon un sondage réalisé par l’UCM.