Payer pour des réseaux sociaux plus éthiques ?
Publié le 06-02-2019 à 09h35 - Mis à jour le 06-02-2019 à 12h32
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Facebook pourrait-il un jour ne plus exploiter commercialement les données personnelles de ses utilisateurs ? À cette fin, un financement des réseaux sociaux par leurs abonnés est-il envisageable ? La campagne préélectorale s’ouvre et apporte son lot de questions.
Vous avez été 64 % des participants à répondre que, “oui”, vous seriez enclins à mettre mensuellement la main au portefeuille pour avoir accès à un réseau social plus éthique (sans pub, sans utilisation de vos données, et neutre dans l’apparition des contenus). Qu’il s’agisse d’un réseau alternatif au géant Facebook ou d’une modification du modèle économique de ce dernier, les avis et conditions varient. De l’autre côté du camembert, 36 % ont trouvé qu’une telle dépense serait inutile : si on ne veut pas dépenser plus, on met en lumière d’autres solutions…
Valider d’un pouce bleu et blanc un groupe de musique ou une série télévisée sur un réseau social tel que Facebook, c’est permettre (aux chercheurs de l’université d’Anvers, en l’occurrence) de savoir si vous allez voter pour les verts ou les libéraux. Notre confrère Jacques Besnard s’en étonne dans un article intitulé “Sur Facebook, vos likes sont (beaucoup) plus politiques que vous ne le soupçonnez” paru ce mardi sur Slate. Se prêtant au jeu, il a laissé la chercheuse belge Stiene Praet lui prédire ses préférences politiques en se basant uniquement sur l’analyse de ses likes Facebook. “Elle m’a classé plutôt à gauche car j’ai appuyé sur le pouce bleu des pages de Tom Waits, Leonard Cohen ou du groupe Eels et pense que je serais susceptible de voter pour Groen, le parti écolo flamand, grâce au New York Times , au quotidien The Guardian ou encore au groupe Balthazar.” Les conclusions de cette recherche soufflent ce que le scandale de Cambridge Analytica avait déjà démontré outre-Atlantique : nos données, même les plus anodines en apparence, sont susceptibles d’être réutilisées pour du microciblage ( micro-targetting ) politique .
Crise de confiance Barack Obama, Donald Trump, Xi Jinping, tous ont usé de données personnelles de leurs concitoyens. Certaines campagnes de micromarketing font plus de bruit que d’autres, comme lorsqu’en mars 2018 les citoyens américains et britanniques découvrent qu’ils sont beaucoup plus influençables qu’ils ne l’imaginaient lorsqu’ils pensaient surfer en toute légèreté sur leur réseau social de prédilection. Beaucoup ont été en réalité, à leur insu, activement préparés aux urnes par des publications minutieusement calibrées. “Sans Cambridge Analytica, il n’y aurait pas eu de Brexit”, avait alors scandé le lanceur d’alerte Christopher Wylie dans les médias.
En Belgique, à ce sujet, l’Autorité de protection des données (APD) se rallie à l’avis du Contrôleur européen (CEPD) datant de mars 2018 sur la manipulation en ligne dans le contexte d’élections. “Le suivi, profilage et microciblage numérique de l’électeur peuvent mener à la désinformation et à l’influence secrète de la liberté de vote individuelle et menace ainsi plusieurs droits fondamentaux, comme le droit à la vie privée et à la protection des données, le droit à l’autonomie personnelle, le droit à des élections ouvertes et libres, le droit au pluralisme des médias…” L’avis rappelle également le Règlement général sur la protection des données (RGPD) duquel les principes de transparence et de responsabilisation des entreprises jouent un rôle crucial pour éviter les dérives en période de campagne préélectorale. Les entreprises sur le territoire européen doivent prendre leurs responsabilités pour ne pas enfreindre les lois, et les autorités rendent leurs avis. Un utilisateur qui le veut peut demander à un réseau social à avoir accès aux données récoltées sur lui, et à demander à quoi elles servent, mais c’est à lui de le faire et de porter plainte, s’il pense que des règles de droit ont été enfreintes et l’ont lésé, nous explique-t-on à l’APD. Même si les lois en Europe sont beaucoup plus strictes en matière de protection des données, le “risque zéro” n’existe pas.
Anomalie démocratique Une autre anomalie démocratique est rendue possible sur Facebook et autres réseaux “parce que le mode de rémunération de ces plateformes est basé sur la publicité, cela incite [ces dernières] à capter durablement l’intérêt des utilisateurs (dans ce cas on parle d’augmenter le niveau d’‘engagement’). Or ces plateformes ont noté qu’en proposant des contenus de plus en plus ‘radicaux’, on capte plus durablement l’intérêt des utilisateurs et l’on augmente ainsi le nombre de messages publicitaires reçus.” Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique, à qui l’on pose alors la question de savoir si la solution serait de faire payer les utilisateurs pour leur accès aux réseaux sociaux, répond en plusieurs temps. Les gens qui vivent de la collecte de données ne peuvent s’autoréguler (selon lui, ils expérimentent une “addiction aux données”). La décision de se faire payer par les utilisateurs en échange de l’abandon de la collecte de data ne les intéresserait pas. Un boycott de Facebook lui semble également improbable pour le moment, et une alternative “éthique” à Facebook nécessiterait un effort de marketing colossal (déplacer 2 milliards d’utilisateurs implique une très grande force d’inertie (“bonne chance à ceux qui voudraient faire un anti-Facebook”). La réponse se trouverait plutôt du côté des investisseurs. En effet, “ce qui fait que cette société est puissante, c’est surtout sa valorisation boursière. Si les investisseurs pensent qu’il y a un risque de surrégulation du secteur qui pourrait être dangereux pour Facebook, eux-mêmes retireront leurs billes. Cette crise de confiance progressive est une forme de vulnérabilité bien plus grave que de perdre des abonnés.” M. Benhamou rappelle enfin que “l’utilisateur est aussi un citoyen qui peut voter pour que des lois plus strictes soient mises en œuvre.” Selon lui, les lignes devront bouger sur ces deux derniers plans...
Vos réactions sur lalibre.be
Benoît, 60 ans Oui
Il est normal et logique de payer pour un service utile ; sans même parler du rôle néfaste de la pub en général dans le consumérisme destructeur et suicidaire où nous vivons, il est absurde de prostituer ses données. Je suis idéologiquement opposé au modèle économique (devenu hélas la norme sur Internet) du "faux gratuit" qui se rétribue via nos données personnelles. Je paierais 10 à 30 euros par mois, comme pour les autres services télécoms (TV, FAI, GSM…).
Jean-Luc, 64 ans Oui
Partager, mettre en réseau des personnes, des idées, des actions, etc. doit se faire dans un cadre non mercantile. Alors, payer pour un réseau social éthique si la gouvernance de ce réseau est holistique, démocratique et transparente, oui. Les fonds récoltés ne doivent servir qu’au maintien du réseau et non à enrichir une minorité. Je paierais 9,9 euros/mois, le prix de Spotify. Mais je peux aussi imaginer que cela devienne un bien commun, soutenu comme tel par les pouvoirs publics.
Vincent, 50 ans Oui
Parce que l’enregistrement (et la revente) de mes interactions sur le Web me dérange profondément. C’est déjà un énorme problème dans une société démocratique, que dire de l’utilisation qui peut/pourrait être faite de ces données dans des dictatures, ou si nos sociétés quittent le modèle démocratique. Je paierais 5 à 10 euros par mois si on ne revend pas mes données, voire plus pour un réseau social qui ne les enregistre pas (cryptage bout en bout, décentralisé en peer to peer).
Nicolas, 28 ans Oui
La pub devient bien trop envahissante que ce soit sur Facebook ou Youtube. Et bien que l’adaptation du contenu au profil puisse permettre de mieux cibler les recherches sur Internet, c’est également une façon détournée de vous garder accroché au réseau social. Il n’est plus possible de juste répondre à un message, événement, invitation ou autre sans avoir une myriade de propositions d’articles, d’anecdotes, etc.
Christophe, 27 ans Oui
La question n’est pas tant de savoir si l’on est prêt à payer ou non, mais plutôt de savoir si une telle initiative pourra facilement décoller. Je suis prêt à payer, mais uniquement si mes pairs se retrouvent effectivement sur le réseau social créé. Et c’est là que demeure toute la difficulté. Les effets de réseau demeurent très puissants.
Anne, 58 ans Non
Parce que je ne suis pas prête à payer pour la protection de ma vie privée qui est un droit dans mon pays. J’ai choisi de ne pas utiliser les réseaux sociaux et cela me complique parfois la vie.
Maxime, 33 ans Non
Je partage très peu de contenu sur les réseaux sociaux et le contenu publié par mes "amis" n’est d’aucune utilité et d’aucune valeur pour moi. Je ne vais donc pas payer pour recevoir ou échanger ce pauvre contenu.
Xavier, 32 ans Non
Parce que pour l’utilisateur lambda, un réseau social n’a que peu de valeur ajoutée. C’est principalement un endroit où flatter son ego, organiser certains événements et parfois discuter un peu. Les alternatives gratuites qui permettent d’arriver aux mêmes fins sont trop nombreuses pour payer cette facilité en monnaie sonnante et trébuchante. La fondation Mozilla est un bon exemple qu’on peut être libre, éthique et gratuit. N.B. : le terme "éthique" est mal défini et sent le greenwashing à plein nez…