L'agriculture urbaine pour nourrir les villes, une utopie ?
Publié le 07-02-2019 à 10h08 - Mis à jour le 07-02-2019 à 15h47
Le mouvement "Février sans supermarché", lancé par le groupe d’action "En Vert et contre tout", connaît un certain succès. Il vise à mettre en avant d’autres modes de consommation. L’agriculture urbaine en fait partie. Mais les potagers des villes parviendront-ils un jour à nourrir les cités, ou est-ce une utopie ?
Oui pour Roland Vidal, ingénieur de recherche à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles (ENSPV)

L’agriculture urbaine, en plus de nier l’importance de l’agriculture rurale, ne saurait à elle seule suffire pour nourrir les villes. Sous nos climats, l’agriculture céréalière est primordiale. Or celle-ci requiert un espace que les villes n’offrent pas.
L’agriculture urbaine pourrait-elle permettre de subvenir aux besoins des villes ?
Le problème c’est que pour nourrir un être humain il faut apporter des calories, des vitamines, des éléments minéraux, etc. Or les calories, c’est principalement le blé, le maïs, le riz, qui couvrent depuis 10 000 ans l’essentiel de la consommation humaine en termes de kilos/calories. Si vous traduisez le contenu de trois assiettes quotidiennes, on s’aperçoit que pour nourrir quelqu’un il faut 3 000 m2. Où est-ce qu’on les trouve ? À Paris, par exemple, même en cultivant tous les espaces disponibles, en ajoutant les quelques toits qu’on peut récupérer, on va peut-être avoir 20 % de la surface nécessaire pour nourrir toute la ville. On en est loin…
J’avais fait un calcul assez simple : si on veut trouver les terres agricoles pour nourrir la population d’une ville comme Paris, il faut un territoire qui va jusqu’à la Normandie, l’Alsace, la région centre et la Picardie. Si on trace le cercle, ça fait 200 km de rayon… Ça, ça détermine la surface agricole nécessaire à la population qui est dedans. Je ne vois pas comment on peut trouver ça dans le tissu urbain…
Pourtant, l’agriculture urbaine, même si elle demeure strictement légumière, a pu fonctionner notamment en temps de guerre, non ?
Cela a marché pour pouvoir manger des fruits et légumes seulement - la diversité alimentaire est coûteuse - comme pendant la Seconde Guerre mondiale où tous les jardins familiaux se sont remis à fonctionner. Donc économiquement ça marche, mais est-ce que cela représente une part significative de surface agricole ? Non. À la rigueur, une autosuffisance en légumes. Mais ce n’est pas là qu’on va cultiver le blé, le riz, la pomme de terre. Pour cela il faudra toujours une agriculture rurale…
La culture céréalière est donc incontournable ?
L’agriculture céréalière est une nécessité ; je ne vois pas comment une population pourrait se nourrir autrement, sauf à changer 10 000 ans d’histoire. Toute l’agriculture s’est inventée autour de ça sous nos climats. On ne peut pas changer cette manière de fonctionner comme ça. C’est comme cela qu’on s’est nourri depuis toujours. On a toujours un peu oublié les céréales parce que c’est le monde des paysans, des agriculteurs. Le monde des maraîchers est un monde proche de la ville, presque citadin, qui livre au marché. L’agriculteur, lui, livre son blé au meunier, qui livre ensuite au boulanger, etc. Nous, on achète le pain chez le boulanger, pas chez le paysan… c’est un monde qu’on ne connaît pas, qu’on ignore, qu’on a toujours ignoré dans les villes. Quand on parle de villes autosuffisantes, c’est une manière de ne pas voir ce qui se passe vraiment dans les champs avant d’arriver dans nos assiettes.
En fait, l’agriculture urbaine a une vision hors-sol de l’agriculture, détachée de la réalité ?
C’est vrai. C’est d’ailleurs selon moi l’autre problème sous-tendu par cette mode de l’agriculture urbaine : cela n’a plus rien à voir avec le terroir. Là on s’inspire de travaux qui ont été faits pour le voyage sur Mars… c’est de la culture hors-sol parce que c’est la seule qui soit productive. C’est à l’opposé de la notion même de produit de terroir. Et je ne suis pas sûr que cette mode tienne, précisément à cause de ça. Ce qui me gêne c’est que cela contribue à aggraver le fait que les gens pensent que l’agriculture rurale ne sert plus à rien. Et donc, on la méprise encore plus qu’on ne le fait aujourd’hui… On n’ira pas vers de l’agro-écologie en niant l’agriculture rurale.
Entretien : Clément Boileau
Cultiver de céréales en ville, rare mais pas impossible
L’exception. Le Mittelfeld, littéralement "champ du milieu" est un champ céréalier de 90 hectares situé au cœur de la ville de Wittenheim, dans le sud de l’Alsace, et autour duquel s’articulent les différents quartiers de la ville.
Le projet. La commune de Wittenheim veut pérenniser, à long terme, l’agriculture issue du Mittelfeld en diversifiant les cultures - notamment pour une production plus nourricière. Mais si la ville possède plusieurs parcelles, elle doit encore s’accorder avec les propriétaires et exploitants du Mittelfeld pour réfléchir aux possibilités de mutation du secteur.
Le lieu. S’il ne fait aucun doute que Wittenheim est bien une zone urbanisée, sa taille n’a rien à voir avec une mégapole telle que Paris : située dans la banlieue de Mulhouse, la ville totalise environ 15 000 habitants pour une superficie de 19 km2.
Non pour Céline Fremault (CDH), ministre de l’Environnement, de la Qualité de vie et de l’Agriculture de la Région Bruxelles-Capitale

L’agriculture professionnelle en zone urbaine devra produire 30 % des fruits et légumes non transformés consommés par les Bruxellois d’ici 2035. Plus de 205 hectares de terres sont déjà utilisés à cet escient à Bruxelles. Cette superficie pourrait être doublée.
L’agriculture urbaine pour nourrir la ville, est-ce une utopie ?
Non. Les diverses formes d’agriculture urbaine telles qu’elles se développent aujourd’hui à Bruxelles ne sont certainement plus des utopies réservées à un public d’élites "bobos" comme on pouvait le considérer il y a quelques années. J’ai souhaité, depuis le début de la législature, mettre en place un travail de fond sur le sujet avec l’adoption de la stratégie "Good Food". Cette stratégie prévoit que l’agriculture professionnelle en zone urbaine devra produire 30 % des fruits et légumes non transformés consommés par les Bruxellois d’ici 2035. Un premier objectif de 5 % est visé pour 2020.
Qu’en est-il des céréales ?
Dans la stratégie "Good Food", on se concentre sur les fruits et légumes. Mais il y a diverses formes d’agriculture urbaine : les fermes, les potagers, des herbes aromatiques, les grillons, des champignons, etc.
Quelle est la superficie utilisée par l’agriculture urbaine à Bruxelles ?
Plus de 205 hectares de terres sont utilisés à cet escient à Bruxelles. De plus, on a un potentiel de 161 hectares supplémentaires, c’est-à-dire qu’on pourrait doubler la superficie affectée à l’agriculture urbaine dans la capitale. Nous avons également constaté une forte augmentation du nombre de projets dédiés à l’agriculture professionnelle durable. Nous sommes passés de 16 en 2015 à plus de 300 en 2018. Et pour inciter à la création de ces nouvelles initiatives, nous avons soutenu financièrement des lancements via des appels à projets dès 2016.
Le nombre de potagers collectifs a quant à lui augmenté de 33 % depuis le début de la législature. Grâce à un partenariat avec des écoles, il y a eu 100 nouveaux potagers depuis 2015-2016. Aujourd’hui il existe donc près de 400 sites qui couvrent une superficie de près de 80 hectares.
Enfin, nous avons lancé des ateliers "Cultiver en ville" pour initier gratuitement les Bruxellois à l’agriculture urbaine. Pas moins de 1 000 Bruxellois ont été formés en 2017 et nous espérons doubler ce nombre d’ici la fin de la législature.
L’agriculture urbaine représente-t-elle l’avenir de l’alimentation ?
Aujourd’hui, en 2019, l’agriculture urbaine n’est pas la seule solution pour l’alimentation des Bruxellois. Mais elle doit être développée pour répondre à nos objectifs de 2035 et entrer dans le cadre de la réduction de notre impact environnemental et climatique. On sait en effet, suite à différentes études, que l’alimentation représente un quart des impacts environnementaux d’un ménage bruxellois.
Quels seraient les autres avantages à développer cette forme d’agriculture ?
Elle permettrait d’améliorer le cadre de vie des Bruxellois en créant de nouveaux espaces verts durables, accessibles à tous. Ces terrains consacrés à la production d’aliments doivent faire l’objet d’une attention particulière. Aujourd’hui, on prévoit d’ailleurs un droit de préemption au bénéfice de la Région dès qu’un terrain est mis en vente. Ensuite, développer ces nouvelles formes d’agriculture permettrait de booster la création d’emplois locaux. Les points de vente éclosent déjà de façon vertigineuse dans la capitale depuis maintenant quelques années. Enfin, cela permettrait, via la création de coopératives, des potagers de quartiers, de potagers scolaires, de stimuler la création du lien social entre les citoyens dans une ville où la solitude est assez présente.
Entretien : Louise Vanderkelen
Les villes de demain
Vincent Callebaut est un architecte belge de 41 ans qui dessine des villes verticales couvertes d’arbres, de potagers, de panneaux solaires et d’éoliennes.
Ce diplômé de l’ULB a été contacté par la mairie de Paris pour imaginer la capitale française en 2050. "Dans notre projet Paris 2050, nous proposons de construire des villages verticaux et de rehausser des bâtiments existants pour créer de nouveaux logements. Ces ensembles seront couverts d’arbres, de potagers, de vergers et de terrasses végétalisées porteuses de panneaux solaires et d’éoliennes […] Nous avons montré comment une ville ancienne, sans perdre sa beauté historique, produira l’énergie et l’alimentation nécessaires à ses habitants" , a-t-il livré lors d’une interview à L’Express .
L’architecte n’en est pas à son premier projet futuriste. Il a déjà inventé le "Dragon Fly" , en plein Manhattan : un ensemble d’immeubles autosuffisants en énergie et en alimentation qui accueillent des habitations privées et des bureaux.