Faut-il imposer un quota de seniors aux entreprises?
Publié le 12-02-2019 à 10h09 - Mis à jour le 12-02-2019 à 14h45
En France , trente propositions de lois citoyennes issues d’une grande consultation démocratique seront proposées à l’Élysée. Parmi celles-ci ressort celle d’imposer un quota de seniors (45 ans et plus) aux entreprises. Et chez nous ? Qu’en pensent les spécialistes ? Les avis divergent.
Oui pour Patrick Charlier, directeur d’Unia, le centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme
Unia est favorable à un mécanisme de quota en faveur des seniors (45 +). On pourrait réserver, en ultime recours, un certain pourcentage de postes à ceux qui remplissent les caractéristiques d’âge voulues. L’âge représente en effet le plus grand risque discriminatoire lors d’une embauche.

En France, la radio RMC proposera à l’Élysée trente propositions de lois citoyennes issues d’une grande consultation démocratique. Parmi celles-ci ressort déjà celle d’imposer un quota de seniors (45 ans et plus) aux entreprises. Seriez-vous favorable à l’instauration d’une telle mesure en Belgique ?
Oui. Unia est favorable à un mécanisme de quota pour les groupes cibles qui sont dans des situations d’inégalité, de discrimination manifestes. Cependant, nous estimons que le système de quota serait la dernière mesure à prendre si toutes les mesures précédentes n’ont pas abouti à des résultats satisfaisants. La question des quotas est d’actualité en Belgique puisque le ministre de l’Emploi Kris Peeters (CD&V) a fait adopter en deuxième lecture un projet d’arrêté royal permettant la mise en place d’actions positives dans le monde de l’emploi, au bénéfice des travailleurs. Les employeurs qui le souhaitent pourront donc bientôt mener ce type d’action.
Quelle est la situation actuelle en Belgique ? Les seniors sont-ils bien représentés dans les entreprises ?
Les discriminations sur base de l’âge sont malheureusement une réalité sur le marché de l’emploi en Belgique. Le baromètre de la diversité en matière d’emploi publié par Unia révèle que l’âge critique à partir duquel on devient "vieux" sur le marché de l’emploi, c’est 47 ans. À partir de 47 ans, donc, la recherche d’emploi devient plus compliquée. Le baromètre a également testé les risques de discrimination lors de l’envoi d’un CV sur base de l’origine, du risque de grossesse, du handicap et de l’âge. Il s’avère que parmi ces quatre critères, celui qui représente le plus grand risque discriminatoire est l’âge. En Belgique, il existe toute une série de mesures qui visent à protéger les travailleurs âgés : plus de congés, des barèmes ou des salaires plus élevés, etc. Mais ce qui est singulier, c’est que ces mêmes mesures sont celles qui constituent un frein pour les personnes plus âgées qui recherchent un emploi.
Les quotas sont pour vous l’ultime recours, mais comment pourrait-on imaginer la mesure ?
On pourrait appliquer le quota en tant que tel, c’est-à-dire réserver un poste ou un certain pourcentage de postes à des personnes qui ont la caractéristique d’âge donnée et ne pas permettre aux personnes qui ne remplissent pas ces conditions de s’engager. Quand on évoque les quotas, les réactions sont souvent très négatives. Les gens disent : "on ne va pas embaucher des personnes compétentes, seulement celles qui correspondent aux critères". Pourtant, en Belgique, on fonctionne comme cela depuis de très nombreuses années avec les quotas linguistiques. On retrouve aussi de plus en plus des quotas sur le genre, notamment dans les conseils d’administration. En Flandre, il existait un programme qui a malheureusement disparu : Jobkanaal. Les employeurs, de manière volontaire, pouvaient réserver une offre d’emploi à certains groupes cibles vulnérables, notamment les personnes plus âgées, en situation de handicap ou d’origine étrangère et ce, pour une période de trois premières semaines. Si l’employeur trouvait quelqu’un qui faisait partie d’un de ces groupes cibles et correspondait aux exigences professionnelles, il était engagé. Si au bout de trois semaines l’employeur ne trouvait personne, alors il ouvrait son offre à l’ensemble des chercheurs d’emploi. On pourrait reprendre ce modèle. Une idée serait de prendre le modèle du Selor qui fonctionne avec deux listes. Les candidats en situation de handicap sont sur une liste à part. Lorsqu’un poste se libère, le Selor va d’abord regarder dans cette liste : ces candidats sont prioritaires. On pourrait imaginer faire de même sur base de l’âge. Entretien : Louise Vanderkelen
En Belgique et ailleurs
En Belgique , fin 2018, le taux d’emploi des plus de 55 ans dépassait pour la première fois les 50 %. Pourtant, selon les chiffres du Forem, le "chômeur type" est un homme âgé de plus de 50 ans diplômé, au minimum, de l’enseignement secondaire du deuxième degré.
En France, le taux d’emploi des seniors a lui aussi légèrement augmenté ces 15 dernières années, mais les seniors restent les plus touchés par le chômage de longue durée. Trois Français sur quatre seraient d’ailleurs favorables à l’instauration d’un quota de seniors dans les entreprises de plus de 50 employés, révélait en 2013 un sondage Harris Interactive pour les éditions Nouveaux Débats publics.
Aux États-Unis , il existe une liste des entreprises age-friendly qui s’engagent à conserver les seniors pour former les juniors. Au Royaume-Uni, depuis l’annonce du Brexit, certaines entreprises se sont donné l’objectif d’augmenter de 12 % leur part de seniors au sein des salariés d’ici 2022.
Non pour Monica De Jonghe, direction générale de la Fédération des entreprises de Belgique (Feb)
La Feb ne cautionne pas le système des quotas. Ce sont les compétences des demandeurs d’emploi qui priment. Surtout dans le cas des métiers en pénurie. Si le RCC ne favorise pas l’engagement des seniors, c’est au gouvernement de proposer des solutions.

Imposer un quota de travailleurs seniors aux entreprises, vous pensez que c’est une bonne idée ?
Nous n’y sommes pas du tout favorables, à la Feb. D’ailleurs, pour les 50 ans et plus en Belgique, on observe d’énormes progrès. Lorsqu’on compare les chiffres de 2000 avec ceux de 2016, on peut voir que le nombre de personnes de plus de 50 ans qui sont engagées a doublé.
Vous parlez bien de nouveaux engagements sur cette période ?
Tout à fait. D’un côté nous avons regardé le nombre d’embauches et de l’autre l’évolution du taux d’emploi. Alors c’est vrai qu’avec nos systèmes de régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC, anciennes "prépensions", NdlR) nous n’étions pas bien lotis à ce niveau. Mais puisque le gouvernement à progressivement rendu le système plus compliqué, on voit une évolution positive au niveau du taux d’emploi. De plus en plus de personnes de 55 ans et plus restent au travail. Par ailleurs, nous sommes très favorables à la diversité au sein des entreprises. Pas seulement à l’âge, mais au genre, aux personnes possédant un handicap, aux personnes d’origine étrangère, etc. Pour une entreprise, avoir une population diversifiée constitue un plus.
Mais également une difficulté ?
C’est vrai. C’est la raison pour laquelle la diversité ne peut pas être basée sur des quotas. Lorsqu’on engage, il faut plutôt regarder au talent et aux compétences. Aujourd’hui les entreprises sont confrontées à une pénurie de main-d’œuvre. Lorsqu’elles auront les bonnes compétences, il va de soi que les personnes postulant seront engagées, peu importe leur âge. Lorsqu’on regarde les pronostics, on voit bien que cette pénurie ne va pas diminuer, bien au contraire.
À compétences égales, pensez-vous qu’un employeur aujourd’hui favorisera un employé âgé ?
D’autres éléments seront pris en compte, à compétences égales. Mais, avec les barèmes liés à l’ancienneté, ce travailleur-là ne sera pas favorisé. De plus, le système RCC peut porter une entrave à l’engagement des personnes plus âgées, car ces personnes, aux yeux de l’employeur, risquent de réclamer de pouvoir bénéficier de ce départ anticipé (aux frais de l’entreprise, notamment, NdlR). C’est au gouvernement de continuer à trouver des solutions pour éviter que des personnes plus âgées soient moins intéressantes à engager. Il y a encore du chemin à faire, à ce niveau-là.
Dans le mémorandum électoral de la Feb intitulé "Less is more", un des douze points mis en avant est de donner une meilleure chance aux jeunes.
Effectivement, nous nous sommes focalisés sur les jeunes, au travers d’un chapitre entier, car ils peuvent manquer d’expérience, et elle est nécessaire. Mais le plus important, au-delà de l’âge, c’est la formation des travailleurs. Il faut utiliser tous les talents disponibles sur le marché.
Qu’est-ce que la Feb fait pour encourager l’emploi et le retour au travail des chômeurs de longue durée de plus de 45 ans ?
Cela fait partie du champ de la politique des ressources humaines. Chaque entreprise met en place sa politique en la matière et la suit. Il y a tellement de postes vacants à remplir qu’on va engager des personnes malgré leur âge. Les métiers techniques, surtout. En Wallonie et en Flandre, il y a besoin d’infirmières, de soudeurs, d’électriciens, etc. La liste est très longue.
Entretien : Anne Lebessi
Le travailleur, "âgé" dès 45 ans
Maintenus plutôt qu’engagés. Le Conseil national du travail (CNT) a rendu en 2016 un avis sur la Convention collective de travail n° 104 qu’il avait adoptée en 2013, qui concerne la mise en œuvre d’un plan pour l’emploi des travailleurs âgés dans l’entreprise et par l’entreprise. "D’après les retours obtenus, les mesures les plus fréquemment retenues visent principalement à maintenir le nombre de travailleurs de 45 ans et plus dans l’entreprise. Elles ont prioritairement été concrétisées en domaines d’action portant sur le développement des compétences et des qualifications, sur les possibilités d’adapter le temps de travail et sur le développement et l’accompagnement de carrière […]."
C’est jeune, 45 ans ! Monica De Jonghe sourit. À l’heure des mesures sociales, on a décidé que 45 était un âge clef. Or, c’était bien avant l’augmentation de l’âge de la pension. Aujourd’hui, l’esprit des gens se fait un peu plus à l’idée de travailler plus longtemps. Et 45 ans paraît alors très jeune. L’époque change… et les esprits aussi."