Antisémitisme et antisionisme, c'est la même chose?
Publié le 22-02-2019 à 09h34 - Mis à jour le 22-02-2019 à 11h25
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En France, l’agression du philosophe Alain Finkielkraut, traité de "sale sioniste de merde", relance le débat sur les formes que prend l’antisémitisme… si tant est qu’il s’agisse bien de haine du Juif, et non d’une forme de désapprobation de la politique israélienne. La question se pose également en Belgique, où les actes et injures antisémites ont augmenté .
Oui pour Joël Rubinfeld, cofondateur de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA)
L’antisionisme est une forme moderne d’antisémitisme. Car les mots ont un sens : être antisioniste consiste à dénier au peuple juif le droit d’exister géographiquement. Ce qui n’empêche pas que l’on puisse par ailleurs critiquer la politique israélienne.

L’antisionisme cache-t-il selon vous nécessairement une forme d’antisémitisme ?
Ce n’est pas que selon moi l’antisionisme cache l’antisémitisme : pour moi l’antisionisme est de l’antisémitisme. La confusion vient vraiment de la définition du terme "antisionisme". Le sionisme, ce n’est pas la politique menée par quelque gouvernement que ce soit ; en vérité le sionisme est le droit à l’autodétermination du peuple juif. Et donc être antisioniste, c’est dénier au peuple juif le droit à une existence territoriale, géographique, et donc à avoir un État juif.
Avez-vous un exemple concret en tête qui démontre que l’antisionisme est une forme d’antisémitisme ?
On a vécu un incident ici en Belgique, à Saint-Nicolas près de Liège, en 2014. Un cafetier turc avait mis sur sa vitrine deux inscriptions : l’une en français et l’autre en turc. En français cela donnait : "Dans ce café les chiens sont les bienvenus, mais les sionistes sont interdits." En turc, ça disait la même chose, à une nuance près : le mot sioniste était remplacé par le mot "juif". C’est embarrassant de devoir expliquer de telles évidences : ces personnes, que ce soit un cafetier turc ou le type qui a insulté Alain Finkielkraut, savent bien qu’elles s’attaquent aux Juifs en général. Mais que ce soit en France avec la loi Gayssot ou ici en Belgique avec la loi de 81, on ne peut pas dire "juif" car on encourt des peines pénales. C’est une forme contemporaine d’antisémitisme qui substitue l’État juif à l’individu juif. On ne dit plus : "N’achetez pas chez le Juif" mais : "n’achetez pas chez l’État juif". C’est un glissement sémantique, mais chacun sait ce qu’il y a derrière. Le procès est peut-être différent, il amène à la même finalité, qui est la mort de Juifs.
Le président français Emmanuel Macron veut préciser la définition de l’antisémitisme grâce à une résolution non contraignante reconnaissant l’antisionisme comme une forme déguisée d’antisémitisme. Il faudrait faire la même chose en Belgique ?
Je ne pense pas que ce soit la solution idéale car la mesure proposée par Macron ne prend pas le problème à bras-le-corps.. Il ne va pas jusqu’au bout du raisonnement. Dire : "l’antisémitisme est puni par la loi mais en fait ce n’est pas contraignant", je ne comprends pas très bien cette stratégie. Tant qu’on n’est pas dans le répressif, on n’évoluera pas. Même si, bien entendu, le préventif est important au moins autant que le répressif. Mais parfois le pédagogique ne suffit plus et, pour certains, il faut condamner.
Condamner pénalement l’antisionisme, n’est-ce pas du même coup condamner la critique de la politique d’Israël ?
Pénaliser l’antisionisme n’est en aucun cas une pénalisation de la critique de la politique iraëlienne. Mais les mots ont un sens et il faut le respecter : et s’il y a des dérives sémantiques il faut faire un rappel à l’ordre, ou en tout cas de la terminologie et du sens des mots. C’est pour cela que si on n’explique pas ce que veut dire être antisioniste, on ne peut pas avancer.
Manuel Valls, François Hollande et tout récemment Emmanuel Macron ont, en France, pris la parole pour dénoncer l’antisionisme. C’est ce qui manque à la Belgique ?
Je ne me fais guère d’illusions, en Belgique on attend toujours qu’un homme politique, et jusqu’au plus haut niveau de l’État, valide cette approche-là. Ils ne comprennent pas cette problématique.
Entretien : Clément Boileau
Le sionisme a-t-il une couleur politique ?
Définition. "Un sioniste est un individu qui désire ou soutient la création d’un État juif en terre d’Israël qui serait, dans le futur, l’État du peuple juif ", déclarait en 2013 l’écrivain israélien Avraham B. Yehoshua dans une tribune publiée dans le quotidien Libération . Une définition "claire" pour un terme apparu au XIXe siècle avec le mouvement du même nom fondé par Theodor Herzl, journaliste et écrivain juif austro-hongrois parmi les premiers intellectuels à avoir œuvré pour la création d’un État juif.
Récupération . C’est avec la création de l’État d’Israël en 1948, note Avraham B. Yehoshua, que "la définition du sioniste s’est métamorphosée : un sioniste accepte le principe que l’État d’Israël n’appartient pas à ses citoyens mais au peuple juif tout entier". Une évolution qui a conduit les partis politiques israëliens à détourner le sens du mot ces trente dernières années : "La droite l’ajoute comme une sorte de crème chantilly pour améliorer le goût de mets douteux, tandis que la gauche l’envisage avec crainte comme une sorte de mine susceptible d’exploser entre ses mains."
Non pour Henri Goldman, membre de l’UPJB et rédacteur en chef de la revue "Politique"
On a le droit de s’opposer à la politique de l’État d’Israël. Cela ne fait pas de nous des antisémites. Entretenir cette confusion est intellectuellement malhonnête. Les antisémites qui se déguisent en antisionistes doivent être punis mais pas besoin pour cela de créer de nouvelles lois.

Faudrait-il selon vous sanctionner l’antisionisme politique au même titre que l’antisémitisme ?
Non. L’antisionisme, c’est l’opposition à une doctrine. On a le droit, dans le cadre de la liberté d’expression, de s’y opposer. Les gens qui font l’amalgame entre les deux estiment que c’est la même chose. Mais je vous signale qu’il y a des antisémites qui sont antisionistes mais aussi des antisémites qui sont sionistes. Bolsonaro, le nouveau dirigeant brésilien ; Viktor Orban ; la droite évangéliste américaine : ce sont des personnes et des organisations qui détestent les juifs mais qui adorent ce que fait Israël pour des tas de raisons. D’abord, parce qu’ils veulent se débarrasser de leurs juifs et se disent qu’ils peuvent les envoyer en Israël et deuxièmement, parce qu’ils aiment encore moins les musulmans et trouvent qu’Israël "fait le travail". Ce genre de confusion entre antisionisme et antisémitisme, c’est intellectuellement malhonnête. D’autant plus que, pour les antisionistes qui sont véritablement antisémites, il existe suffisamment de possibilités dans la loi pour les poursuivre. Les antisémites qui se déguisent en antisionistes et dont on peut démontrer qu’ils sont motivés par la haine des juifs, doivent être poursuivis. On n’a pas besoin pour cela de lois ou de sanctions législatives supplémentaires.
Il y a une confusion entre antisionisme et antisémitisme. Dès lors, comment peut-on critiquer l’État d’Israël sans être qualifié d’antisémite ?
Aujourd’hui, toute personne qui critique la politique de l’État d’Israël est traitée d’antisémite. Il s’agit d’un procédé rhétorique pour disqualifier la critique. Cette confusion est pour moi une contre-offensive qui est menée à partir de la politique israélienne pour essayer de faire oublier tous les crimes qui se déroulent dans le cadre de l’occupation et l’action de l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie. C’est une manière de noyer le poisson.
Les personnes qui se qualifient d’antisionistes ne sont pas forcément antisémites. Il y a beaucoup d’antisionistes qui sont des militants antiracistes absolument irréprochables. Ils font beaucoup plus pour lutter contre l’antisémitisme que certains sionistes. Je pense à la très grande organisation américaine "Jewish Voice for Peace", qui se déclare antisioniste. Il s’agit d’un antisionisme tout à fait respectable : on ne peut absolument pas la soupçonner d’antisémitisme. Cependant, je ne trouve pas cela malin de se déclarer antisioniste. Ce n’est pas utile, justement parce que cela aboutit à toutes ces confusions.
Vous évoquiez, dans une interview accordée à la RTBF, la remontée d’un "vieil antisémitisme européen".
On pensait qu’avec ce qui s’était passé durant la Seconde Guerre mondiale, l’antisémitisme était complètement refoulé. Toutes les sociétés ont besoin de boucs émissaires et on en avait trouvé d’autres : les Arabes, les musulmans. Ce dont on se rend compte maintenant, c’est que l’antisémitisme européen remonte à la surface par l’est de l’Europe et arrive chez nous. En France, il y a eu la profanation d’un cimetière juif en Alsace. On ne sait pas qui l’a fait mais je le mets sur le compte de cette remontée du vieil antisémitisme européen. On constate en tout cas que la France a un problème avec ses juifs et ses musulmans. D’une certaine façon, les juifs sont surprotégés et les musulmans sous-protégés. Et cela provient d’un phénomène vraiment français : c’est l’héritage de la guerre d’Algérie où il y a eu un vrai contentieux entre juifs et musulmans en Algérie. En Belgique, on n’a pas ce problème. Les juifs de Belgique viennent en général d’Europe de l’Est et les musulmans de Belgique sont plutôt d’origine marocaine.
Entretien : Louise Vanderkelen
Peut-on être juif et antisioniste ?
Dans un texte paru fin janvier sur son site, l’association Jewish Voice For Peace (lire ci-dessus), créée en 1996 aux États-Unis, s’oppose effectivement "sans équivoque" au sionisme. Si l’association reconnaît que "le sionisme est une idéologie politique du XIXe siècle qui a émergé à un moment où les Juifs étaient définis comme irrévocablement en dehors d’une Europe chrétienne" , elle argue que le sionisme est depuis devenu "un mouvement de colonisation, instaurant un État d’apartheid où les Juifs ont plus de droits que les autres habitants".
En Israël aussi , des mouvements antisionistes existent, bien qu’ils soient extrêmement minoritaires. Par exemple la communauté ultra-orthodoxe Neturei Karta , une secte qui a vu le jour en 1912 et qui considère Israël illégitime car créé avant l’apparition du Messie. Principalement présents à Jérusalem, le nombre d’adeptes est difficilement quantifiable, ces derniers ne déclarant pas la naissance de leurs enfants dans les registres et refusant systématiquement la citoyenneté israélienne.