Seriez-vous d’accord d’arrêter de prendre l’avion ?
Publié le 01-03-2019 à 09h20 - Mis à jour le 01-03-2019 à 10h29
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Dans un contexte où réchauffement climatique et dioxyde de carbone vont de pair, l’avion est de plus en plus montré du doigt comme pollueur de l’atmosphère. À l’heure où les leaders d’opinion écologistes décident de se passer de voyages en avion, êtes-vous prêts à sauter le pas aussi ?
A votre avis
Arrêter de prendre l’avion, vous êtes 57,2 % sur 734 répondants à vouloir sauter le pas. Et pour les autres ? Pour 42,8 %, c’est inutile, ou impossible. Mais finalement, qu’est-ce qui fait l’efficacité ou non des mouvements ou des discours sur le changement climatique ? Qu’est-ce qui fait que l’on décide d’agir et de décider en fin de compte de ne plus monter à bord d’un avion ? Pour George Monbiot, chroniqueur au Guardian , les jeunes grévistes pour le climat manquent peut-être encore d’un "récit du rétablissement". Parler de ce qu’il est possible de faire pour le rétablissement écologique de manière positive - et non plus seulement culpabilisante : raconter qu’on peut "restaurer des forêts, des tourbières, des marais salants, les fonds marins, tout ce qui peut, en absorbant le CO2 de l’atmosphère, contribuer massivement à prévenir la détérioration du climat". Pour Amélie Anciaux, sociologue, les changements de pratiques dépendent aussi d’autres facteurs…
Seriez-vous d’accord d’arrêter de prendre l’avion ?
En début de semaine, le soleil et les températures printanières exceptionnelles aidant, peut-être vous êtes-vous surpris à penser à votre prochaine destination de vacances. Paradoxalement, peut-être avez-vous également songé à ce glacier de l’Antarctique - mais si : le glacier Thwaites (voir LLB 20/02), celui dans lequel une immense cavité, inexistante il y a trois ans, a été découverte par des scientifiques de la Nasa. Il se peut que le dérèglement climatique vous préoccupe un peu, beaucoup, pas du tout. Ou bien que vous vous sentiez un petit peu responsable, mais pas trop : car, au final, il n’est pas de votre ressort, à votre petit niveau, d’empêcher les gaz à effet de serre de se concentrer. Surtout si, du côté des grands responsables d’émissions de ces gaz, le président des États-Unis en arrive à souhaiter ardemment, fin janvier dans un de ses posts Twitter, le "retour du réchauffement climatique, please" pour contrer le vortex polaire… Faut-il à ce point culpabiliser, s’il y a toujours pire que soi ?
Si l’aviation était un pays
Quelle que soit votre position et le débat moral qui l’accompagne peut-être, La Libre a voulu connaître vos intentions concernant les déplacements en avion. Pourquoi l’avion en particulier ? Car "si l’aviation était un pays, elle polluerait déjà autant que la France", expliquait dans une enquête pour Reporterre la journaliste Lorène Lavocat en janvier 2018. Un an plus tard, une journaliste du Monde enfonce le clou dans une autre enquête, intitulée "L’avion, plaisir coupable de l’écolo voyageur" : le secteur aéronautique émet deux fois plus de CO 2 que la France. Actuellement et chaque jour un peu plus, l’avion est pointé du doigt. Un vol aller-retour pour une distance Bruxelles-Athènes émet 0,6 tonne de CO 2, et le chiffre monte à plus d’une tonne pour un Bruxelles-New York, soit autant qu’une année de chauffage, assène la même journaliste.
Pourtant, les voyages en avion ne feraient qu’augmenter. Et même, d’ici à 2037, selon les estimations de l’Iata, le nombre de passagers va grimper à 8,2 milliards (soit le double des voyageurs en 2018).
Sociologie des routines
Pourquoi, alors que la conscience écologique semble de plus en plus présente, à l’heure des marches et grèves pour le climat, ne voit-on pas cette fréquentation baisser ? Pour Amélie Anciaux, sociologue des pratiques écologiques et de leur adoption dans les habitudes et routines quotidiennes (au Cridis, UCLouvain), les jeunes adultes ont encore des difficultés à se passer de l’avion. En effet, les 25-35 ans de la classe moyenne supérieure ont été habitués à partir annuellement avec leurs parents. Et même si les presque 2000 individus questionnés par la sociologue combinent certaines pratiques écologiques, comme se déplacer à vélo, acheter ses vêtements en seconde main ou s’alimenter local et bio, aucun n’est un activiste pur et dur. Certes, l’étude se base sur de jeunes "Monsieur et Madame Tout-le-monde", précise Amélie Anciaux, "pas de gens qui vivent dans des yourtes et font l’école à domicile". Ce qui intéresse la sociologue, ce sont les pratiques écologiques ponctuelles au travers de gestes de consommation : comprendre comment ces pratiques se déclenchent.
La culpabilité ne suffit pas
Souvent, le sentiment de responsabilité environnemental ne suffit pas. En effet, un changement de pratique peut avoir lieu lorsque quatre dimensions sont présentes, nous explique Mme Anciaux. La culpabilité (émotion qui part à la base d’un sentiment de responsabilité, liée aux valeurs de l’individu) fait partie de ces dimensions. Mais il faut également des structures matérielles alternatives accessibles à tout le monde ( "entre un billet d’avion à 90 euros et un trajet de train à 270 euros pour un trajet Bruxelles-Genève", par exemple). Les savoir-faire et les routines entrent, eux aussi, en compte. Lorsque l’on n’a pas l’habitude de prendre le temps, que cela ne fait pas partie des mœurs, par exemple. " Pour certains, se dire ‘je vais voyager six heures, alors que le trajet se déroule ici, en Europe’, c’est vraiment une perte de temps." Le dernier point, sont ce qu’on appelle les structures institutionnalisées. Ce sont des procédures qui n’émanent pas de l’individu, mais des gouvernements ou des entreprises dans lesquelles les individus travaillent et qui vont changer leurs pratiques. "Par exemple, si mon employeur rembourse mon billet de train, cela me facilitera la vie et la décision." Installer des pistes cyclables sur les routes, incite également au changement et à utiliser ces pistes. "Lorsque le gouvernement avait subventionné le photovoltaïque, c’est la procédure institutionnalisée qui a encouragé la nouvelle pratique." Ces quatre composantes sont nécessaires, répète la chercheuse, pour que le changement de pratique se produise.
Dossier réalisé par Anne Lebessi
Quelques-unes de vos réactions sur Lalibre.be
Aurélien, 28 ans Oui
Après avoir voyagé en Europe et ailleurs dans le monde, je réalise que rester en Europe offre les mêmes perspectives d’émerveillement et de dépaysement que dans d’autres pays (même si ces derniers n’en demeurent pas moins inoubliables). L’écotourisme est une absolue nécessité pour le XXIe siècle. Le tourisme de masse a déjà fait trop de dégâts.
Juliette, 59 ans Oui
Je suis horrifiée de voir que de plus en plus de gens prennent l’avion pour un prix dérisoire ! Ils n’ont aucune idée de leur empreinte écologique ni des conditions déplorables de travail de ces compagnies qui veulent toujours plus de profit.
Sébastien, 34 ans Oui
On doit changer, revoir notre façon de dépenser l’énergie. À l’image de la nourriture, on doit retrouver un tourisme local, en circuit court. Par ailleurs, on peut compenser notre empreinte carbone par la plantation d’arbres ou appliquer le "zéro déchet", se déplacer le plus possible à pied, réduire la température à la maison, faire des travaux dans la maison avec un maximum de matériaux écologiques, et communiquer sur les solutions pour aider l’environnement.
Murielle, 75 ans Oui
Je mène une vie plus intense, humainement riche, profonde en me déplaçant en train. En dehors des voyages, pour arrêter le changement climatique, je pratique la sobriété heureuse. Je prends les transports en commun, je mange bio autant que possible, j’ai un chauffage à l’électricité qui charge la nuit (plus un petit poêle à mazout - nobody is perfect).
Nicolas, 36 ans Oui
Nous essayons de faire attention à ne pas trop peser écologiquement, à la fois pour le reste de l’humanité et pour la planète, et un seul voyage en avion bousillerait le résultat de tous nos efforts sur l’année. Nous avons oublié que se déplacer partout sur la planète au prix de la santé des autres et de l’environnement n’est pas un droit, mais une pratique réservée à une minorité depuis quelques dizaines d’années.
Plovine, 43 ans Non
Je prends l’avion 1 à 2 fois par an, en faisant attention à ce qu’il y ait le moins d’escales possibles lors de l’achat des billets, j’évite les vols low cost. Prochain challenge : éviter les city trips en avion (actuellement 1 tous les 3-4 ans). Je ne peux imaginer de ne plus voyager vers des destinations lointaines vu le temps qu’une grande distance occasionne sans avion.
Julien, 40 ans Non
Pour moi, l’évasion est nécessaire. Mais je suis prêt à payer une taxe forfaitaire entre 5 et 10 euros par trajet en avion (variable en fonction de la distance parcourue mais le double du montant pour ceux qui voyage en classe business). Cette taxe financerait exclusivement la transition écologique ou viendrait subsidier les énergies renouvelables non fossiles ou les biomatériaux.
Sarah, 28 ans Non
Je pense qu’il y a d’abord d’autres mesures plus importantes à prendre, comme taxer les grosses compagnies polluantes, arrêter de financer l’énergie fossile, etc. Évidemment, cela, les politiciens n’y pensent pas. C’est encore le citoyen qui fait déjà pas mal de son côté qui doit être privé d’autres choses. L’État paie plus de deux milliards par an pour les énergies fossiles. Pourquoi ne pas allouer ce budget à la recherche pour des énergies vertes ?