Faut-il mettre fin aux retours gratuits d'achats faits en ligne?
Publié le 13-03-2019 à 09h50 - Mis à jour le 13-03-2019 à 10h20
Unizo, l'organisation flamande des entrepreneurs indépendants, demande l'interdiction européenne des retours gratuits d'achats faits en ligne et souhaiterait faire payer les internautes en cas de retour de marchandise. Des raisons environnementales sont évoquées.
Oui pour Piet Vanden Abeele, conseiller "Environnement" chez Unizo, l’organisation flamande des entrepreneurs indépendants
On estime que 30 % des achats faits en ligne sont renvoyés gratuitement à l’expéditeur. Cette pratique a des conséquences sur l’environnement. Unizo demande de faire payer ces retours aux clients en mentionnant sur leur facture une ligne supplémentaire.

Unizo demande l’arrêt des retours gratuits des produits commandés sur Internet et ce, au niveau européen. Pourquoi ?
Aujourd’hui, les multinationales gigantesques comme Alibaba permettent à leurs clients de renvoyer un produit qui ne leur plaît pas gratuitement. Mais "gratuit", cela n’existe pas. Unizo demande dès lors de faire payer ces retours aux clients en mentionnant sur leur facture une ligne supplémentaire en cas de retour éventuel du produit acheté sur Internet.
Quel serait ce prix ?
Les modalités n’ont pas encore été élaborées donc nous n’avons pas encore fixé de prix. Mais une fois qu’il sera déterminé, nous espérons que les internautes prendront conscience que ces retours ont un impact sur l’environnement.
Avez-vous une idée du taux de colis renvoyés ?
On estime que 30 % des colis sont renvoyés. C’est une moyenne, mais chez certaines entreprises, ce taux est plus élevé. Je pense à Zalando par exemple pour les vêtements et les chaussures. Là, on approche des 50 %.
Votre mesure permettrait-elle selon vous de réduire l’utilisation des moyens de transport ?
Oui car cette proposition est née dans le cadre de ce qui se fait aujourd’hui pour le climat. Évidemment, les transports qui servent au retour ont également un impact sur l’environnement par leurs émanations de CO2. C’est pour nous une façon de prévenir l’impact sur l’environnement.
Cette proposition aurait-elle également pour objectif de contrer une concurrence déloyale entre les géants d’Internet et les petites entreprises ?
Ce n’était certainement pas l’objectif premier de la proposition d’Unizo. Encore une fois, l’idée est de prévenir le changement climatique. Il s’agit de l’une des quinze propositions faites par Unizo pour une économie climatiquement neutre.
Victimes de la mode
D’après une enquête réalisée par le magazine Moustique et publiée en décembre dernier, 60 % des sondés achètent des vêtements en ligne. L’e-commerce augmente chaque année en Belgique de 4 à 5 %. Le magazine fait référence à une étude anglaise qui révèle qu’en moyenne, 47 % des vêtements achetés en ligne seraient renvoyés au fournisseur. De plus en plus de détaillants optent en effet pour des politiques de retours gratuits qui encouragent certains acheteurs compulsifs à passer à l’acte.
Et le problème de la taille semblerait être la première raison des renvois d’articles. Un acheteur sur dix commanderait plusieurs tailles d’un même article avant de renvoyer celles qui ne lui vont pas. Cette tendance est confirmée par 27 % des détaillants interrogés lors de l’enquête.
Plus absurde encore, parmi les 35-44 ans, une personne sur cinq admet avoir acheté des habits uniquement pour les porter lors d’une séance photo publiée sur les réseaux sociaux avant de renvoyer les produits.
Ce que fait Amazon des produits invendus
Un reportage de l’émission Capital de M6 diffusé le 13 janvier dénonçait la destruction par le géant de la vente en ligne Amazon de nombreux produits neufs appartenant à des vendeurs tiers. Cette méthode serait préférée car elle coûterait moins que le stockage des produits sur la durée. À Chalon-sur-Saône, l’un des plus petits sites d’Amazon en France, 293 000 produits neufs auraient ainsi été incinérés ou amoncelés dans des décharges d’enfouissement en l’espace de neuf mois.
Après la diffusion du reportage, Amazon a tenu à se défendre sur Twitter en affirmant que seule "une petite fraction des produits invendus est détruite, la grande majorité est recyclée, revendue, retournée ou donnée. Par exemple, nous faisons régulièrement des donations pour des associations telles que Dons solidaires ou Les Banques alimentaires […] Nous nous efforçons de réduire le nombre de produits pour lesquels nous n’avons d’autre choix que la destruction, notamment en portant le sujet auprès des autorités compétentes."
Il faut pousser les entrepreneurs à passer au commerce en ligne et non les freiner. La mesure d’Unizo serait très compliquée à mettre en place et aurait peu de résultats. Pourquoi ne pas obliger Google à référencer un tiers de PME sur sa première page de recherche ?
Non pour Clarisse Ramakers, directrice du service d’études de l’UCM, l’Union des classes moyennes
Il faut pousser les entrepreneurs à passer au commerce en ligne er non les freiner. La mesure d'Unizo serait très compliquée à mettre en place et aurait peu de résultats. Pourquoi ne pas obliger Google à référencer un tiers des PME sur sa première page de recherche?

Que pensez-vous de la proposition d’Unizo d’interdire le renvoi gratuit d’achats effectués en ligne ?
Nous ne sommes pas favorables à cette proposition pour plusieurs raisons. Tout d’abord, on se rend compte que les consommateurs achètent de plus en plus en ligne et que ce n’est pas cette mesure qui va permettre d’aller à contresens de la tendance de consommation. On pense qu’il faut, au contraire, mieux soutenir les entrepreneurs à passer au commerce en ligne plutôt que de les freiner dans ces démarches. Ensuite, il est assez compliqué, lorsqu’on édicte des règles au niveau national, de les faire respecter par des multinationales qui ont leur siège dans d’autres pays que la Belgique. Est-ce que c’est vraiment avec ce genre de mesure que l’on va inciter les consommateurs à ne pas renvoyer ? Je ne pense pas. Beaucoup d’énergie serait dépensée en matière de contrôle pour pas grand-chose en matière de résultats.
Que proposez-vous ?
Par rapport à la problématique de la concurrence des multinationales dans le cadre du commerce en ligne, nous proposons d’obliger Google à référencer un tiers de PME sur la première page de son moteur de recherche. Les PME n’ayant pas les mêmes moyens de publicité que ces multinationales, elles sont moins bien référencées. Il serait plus intéressant de mettre en place cette initiative positive plutôt qu’une mesure négative d’interdiction.
Un colis sur deux est renvoyé à l’expéditeur, ce qui a un impact sur l’environnement.
Unizo estime que les retours gratuits de colis ont un impact trop important sur le climat. Il faudrait plutôt travailler sur le comportement des consommateurs plutôt que sur la réglementation en tant que telle. Si on commande un seul produit qui ne nous convient pas et que nous le renvoyons, ce n’est pas la même chose que si nous commandions dix objets pour au final n’en garder qu’un.
Un argument de poids
Pour Carine Moitier , fondatrice de Cross-Border Commerce Europe, une plateforme pour les acteurs européens en e-commerce, les retours gratuits des produits achetés sur le Net doivent être laissés au libre choix des acteurs de l’e-commerce européen. " Une proposition d’interdiction de retours gratuits, ce n’est pas du tout notre philosophie. Souhaiter facturer les retours pour des raisons environnementales n’est pas la seule stratégie climatique envisageable. Les entreprises pourraient, par exemple, proposer la livraison à vélo ou par véhicules électriques dans certaines villes ", explique la spécialiste.
Les retours gratuits d’achats effectués en ligne auraient selon elle permis à certains gros acteurs de se lancer dans la vente sur Internet. " Je pense notamment à Zalando. Ils ont pu faire comprendre aux consommateurs qu’acheter sur le Web était facile et les a convaincus de sauter le pas. Cette stratégie de retours, mise en place il y a quelques années maintenant, est un argument de poids. Les clients peuvent essayer ce qu’ils ont commandé tranquillement chez eux et renvoyer les produits qui ne leur conviennent pas. Ils le savent : il y aura toujours moyen d’échanger le produit ou de le renvoyer ."
Acheter en magasin ou en ligne : quelle pratique pollue le plus ?
En 2013 , des chercheurs suisses de l’École polytechnique fédérale de Lausanne et de la Haute École spécialisée de Suisse occidentale ont coopéré afin de déterminer, lors d’une étude, qui de l’internaute ou du consommateur classique polluait le plus lors de ses achats. Leur conclusion ? Celui qui cherche, compare, commande et retourne le bien sur Internet, polluerait moins que la personne qui se rend dans un magasin. "Le transport peut être davantage organisé et optimisé dans l’e-commerce que si chaque personne se rend individuellement dans son commerce" , précise un des auteurs de l’étude, Naoufel Cheikhrouhou, professeur de logistique à l’EPFL et à la HEG Genève au quotidien Le Temps .
Une analyse d’Ecoconso va également dans ce sens : "Pour un seul objet comparé et sans retour du produit, la vente en ligne est souvent plus intéressante que de prendre expressément sa voiture pour aller l’acheter dans un magasin."