Un stage de pauvreté obligatoire pour nos élus et hauts fonctionnaires ?
Publié le 15-03-2019 à 09h25 - Mis à jour le 15-03-2019 à 13h11
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C’est une proposition faite par des délégations françaises qui représentent les plus vulnérables. Aux États-Unis, cela fait déjà plusieurs années que les stages et camps de simulation de pauvreté rencontrent un certain succès. Véritable plus-value ou tourisme de la misère ?
Ces stages devraient-ils être obligatoires pour nos représentants ? Vous avez été plus de 230 à répondre à notre question sur La Libre.be. Pour une majorité écrasante d’entre vous (87,1 %), cette expérience ne leur ferait pas de tort. Pour les autres (12,9 %), la pauvreté n’est pas un jeu et la simuler ne serait pas représentatif de ce que les personnes en situation de pauvreté vivent au quotidien.
En France, une dizaine de délégations représentant les plus vulnérables comme les personnes en situation de fragilité, victimes d’un handicap ou précaires, a proposé lundi "un stage de pauvreté obligatoire pour les élus, les hauts fonctionnaires et les travailleurs sociaux". Cette mesure s’inscrit dans le cadre du Grand Débat voulu par le gouvernement français suite à la crise des "gilets jaunes". Cette proposition, ainsi qu’une vingtaine d’autres, sera versée au Grand Débat qui prendra fin ce samedi 16 mars.
Et en Belgique ?
Nos politiques et hauts responsables devraient-ils faire vœu de pauvreté, au moins pour un temps ? Le programme des Nations unies pour le développement définit la pauvreté comme étant la combinaison de la pauvreté en termes de revenus, de développement humain et d’exclusion sociale. En Belgique, son seuil est caractérisé par un revenu de 13 377 € net par an, soit 1 115 € net par mois pour une personne isolée, ou de 28 092 € net par an soit 2 341 € net par mois pour un ménage composé de deux adultes et deux enfants de moins de 14 ans.
Selon une récente étude menée par le professeur André Decoster (KUL), le taux de pauvreté en Belgique, bien que plutôt stable, s’élève toutefois à environ 16 % de la population.
Vivre avec 60 euros par semaine, elle l’a fait
L’année dernière, la députée bruxelloise SP.A Hannelore Goeman a été invitée par l’ASBL Welzijnszorg à vivre durant une semaine avec 60 euros en poche. Avec ce montant, elle a dû payer sa nourriture, son téléphone, mais aussi des frais imprévus et ses loisirs. "Ce fut une semaine très confrontante : compter, compter et encore compter et ne pas être sûre qu’à la fin de la semaine j’aurai encore suffisamment d’argent pour couvrir tous les frais. Rechercher la nourriture la meilleur marché dans le magasin, signifie acheter de la nourriture moins saine : les aliments en conserve sont moins chers que les fruits et légumes frais. Dès lors, j’ai mangé de la lasagne pendant toute la semaine", a expliqué la députée à la RTBF.
Néanmoins, la socialiste affirme être sortie grandie de cette expérience : "C’est une leçon de vie qui me conforte dans ma conviction politique et qui me servira dans mon travail parlementaire futur."
Un tourisme de la misère
Pour le philosophe, économiste et sociologue Philippe Van Parijs (UCL), ces expériences de pauvreté peuvent en effet être salutaires pour les mandataires politiques… à condition que ces démarches ne leur soient pas imposées. "Mon grand ami Eduardo Suplicy, ancien sénateur fédéral au Brésil et fondateur du parti des travailleurs avec Lula, est allé habiter quelques jours dans une favela. Cela l’a marqué, lui qui venait d’une famille aisée. Cette expérience a contribué à lui donner, durant toute sa carrière, une forme d’empathie à l’égard des personnes en situation de pauvreté. Par contre, je trouverais tout à fait absurde d’en faire une obligation. Des centaines de mandataires participeraient à une espèce de tourisme de la misère. Quand on est pauvre, on n’a pas forcément envie de jouer l’hôte pour des politiques qui viennent se renseigner."
La solution se trouverait ailleurs : "Une façon de développer l’empathie des mandataires et des membres de la société serait de proposer un service civil beaucoup plus large que celui qui existe aujourd’hui. Dans des hôpitaux, des services d’urgences, des homes pour personnes âgées : les jeunes seraient confrontés à des situations beaucoup plus défavorisées que les leurs."
Monétiser la pauvreté : l’Amérique pionnière
Les États-Unis ne passent pas par quatre chemins pour apprendre l’empathie à leurs jeunes. Cela fait déjà plusieurs années que le pays propose des camps de simulation de pauvreté. L’expert en la matière ? L’ancien pasteur Jeff Cook qui n’hésite pas à monétiser le concept en proposant quatre formules différentes comme par exemple une de simulation de camp de réfugiés ou une journée de jeûne, pour la somme de 120 dollars soit, une centaine d’euros. Un véritable filon financier.
L’association humanitaire Missouri Association for Community Action (MACA) l’a bien compris et s’est mise à vendre des kits de simulation de pauvreté pour la somme de 2 000 dollars à des avocats et même des banquiers qui souhaitaient s’immerger le temps d’un instant dans la vie d’une personne pauvre.
Ces stages de pauvreté vont-ils trop loin ou au contraire, seraient-ils bénéfiques pour nos mandataires politiques et hauts fonctionnaires ? Nous vous avons posé la question sur Lalibre.be et vous avez été plus de 230 à nous répondre. Pour une grande majorité, imposer ce stage ne leur ferait pas de tort.
Quelques-unes de vos réactions sur Lalibre.be
Anna, 20 ans Oui
Ceux qui nous dirigent doivent savoir comment, avec un budget très limité mais satisfaisant à leurs yeux, la population survit. Comment pourraient-ils prendre de bonnes décisions pour le peuple s’ils ne connaissent même pas les conséquences de leurs actes sur un citoyen avec un revenu moyen (voire à la limite du seuil de pauvreté) ? Ils devraient savoir ce que c’est que de compter les petites pièces pour pouvoir s’acheter un pain lors des fins de mois ou encore d’essayer d’économiser des mois pour pouvoir "s’offrir" des lunettes de vue.
Nicole, 68 ans Oui
Entre savoir qu’il y a des gens dans la précarité et se représenter exactement ce que cela veut dire, il y a un gouffre qui ne peut être comblé que par le vécu sur le terrain. C’est une bonne initiative pour que les politiques sortent de leur zone de confort et vivent les problèmes des pauvres : froid, insalubrité, manque de moyens de transport, coût des soins médicaux et pharmaceutiques, indigence diététique de l’alimentation, etc.
Julie, 33 ans Oui
La plupart de nos dirigeants sont issus de milieux favorisés et il leur est donc impossible de comprendre réellement ce que vivent les personnes fragilisées au quotidien, même s’ils font parfois preuve d’empathie. Et, puisqu’ils prennent des décisions essentielles pour les citoyens, il serait bien qu’ils puissent en mesurer pleinement les conséquences, voire certains manquements.
Anne, 52 ans Oui
Vivre une situation permet de la comprendre. Estimer ne pas avoir suffisamment d’argent pour satisfaire ses "besoins" ne dépend pas de ses revenus. Mais devoir choisir d’honorer ses factures pour des besoins de première nécessité, se soigner ou manger, est une tout autre expérience. Ce serait utile à condition de ne pas en faire une récupération de "propagande électorale".
Walter, 47 ans Oui
Visiblement, attendre de l’empathie de nos élus est totalement impossible, tant leur priorité n’est autre que leur carrière. Les confronter à une véritable situation de souffrance morale et matérielle en partageant le quotidien de ceux qui "y sont", est peut-être le seul électrochoc susceptible de réveiller un soupçon d’âme et de partage.
Olivier, 33 ans Oui
Même si leur salaire est mérité, il est en déconnexion totale avec celui des ménages de la classe moyenne, surtout lorsqu’on connaît leurs indemnités de départ. Nos représentants devraient profiter de la même protection sociale que les citoyens (cotisation pour la pension, contrat en CDD du temps de leur mandat) pour ne pas justifier des indemnités qui dépassent le prix d’une maison (que certains passent leur vie à rembourser).
Paul, 62 ans Non
Parce qu’un stage, par définition temporaire, n’est pas susceptible de faire vivre l’angoisse de la pauvreté, qui est une de ses composantes principales. Il serait à mon avis plus efficace de donner la parole, formellement et obligatoirement, à des "experts du vécu" de la pauvreté, qui pourront discerner concrètement en quoi les projets discutés ont, ou non, un impact, positif ou négatif, sur la pauvreté. Je vois un effet pervers dans cette mesure : celui de donner un brevet de compétence ou d’autorité à celui qui aurait fait ce stage, ce qui le dispenserait d’être à l’écoute des "vrais" pauvres.
Christian, 70 ans Non
Il est impossible pour une personne de vivre dans une situation de pauvreté artificielle. La personne sait que c’est un "jeu" et qu’elle retrouvera bientôt sa vie normale, ce que le vrai pauvre n’a pas comme perspective. La pauvreté, ce n’est pas Koh-Lanta.