Faut-il impliquer les enfants dans la décision politique ?
Publié le 19-03-2019 à 09h33 - Mis à jour le 19-03-2019 à 15h18
Mercredi, une centaine de jeunes Français âgés entre 7 et 14 ans participera à un "Grand Débat des Enfants" à Paris. À l’instar de cette initiative, et suite aux marches des jeunes pour le Climat, faut-il assurer une place aux enfants dans nos assemblées ? Leur parole est-elle assez écoutée ? Sont-ils capables d’apporter un avis enrichissant le débat public ?
Oui pour Anthony Terroir, 20 ans, secrétaire général du Comité des élèves francophones (CEF)

L’avis des enfants doit être pris en compte. Aujourd’hui encore, trop d’adultes ne leur accordent pas de crédit et préfèrent décider à leur place. Il faudrait apprendre très tôt aux enfants à exprimer leurs opinions sans pour cela avoir besoin d’un adulte.
Les enfants ont-ils selon vous leur mot à dire quant aux sujets politiques et de société ?
Oui, bien sûr. Il faudrait les impliquer dans le débat public car ils ont énormément d’avis pertinents à rendre. Il serait intéressant d’inclure les enfants au plus tôt dans ces discussions. Ils se sentiraient davantage inclus dans la société. Cela leur donnerait envie d’agir et de faire bouger les choses, ce qui serait avantageux tant pour eux que pour la société.
Existe-t-il un âge minimal en deçà duquel l’avis d’un enfant ne doit pas être pris en compte ?
Je ne pense pas. La forme utilisée pour demander l’avis du jeune a toutefois toute son importance. On ne va pas demander à un enfant de six ans de réagir comme un enfant de 16 ans, mais on peut très bien inclure dans un même débat les avis d’enfants de n’importe quel âge.
Mais peuvent-ils selon vous débattre de tous les sujets ?
Cela dépendra encore une fois de la manière dont on pose les questions. Celles relatives à la vie sexuelle et affective, par exemple, seront adressées à des ados de 16 ans, cela va de soi. Quant aux autres thématiques, les enfants peuvent très bien comprendre les sujets qui font l’actualité politique et sociétale aujourd’hui.
La voix des élèves a-t-elle autant de crédibilité que celle des adultes ?
Le problème est qu’aujourd’hui encore, énormément d’adultes considèrent les enfants comme des personnes incapables, qui dépendent d’eux et qui ne peuvent, de ce fait, pas exprimer leurs opinions. Il faut travailler là-dessus. Par exemple, beaucoup d’enfants ont un avis sur le réchauffement climatique car il s’agit de leur avenir qui est en jeu. Il suffit de lire les critiques et commentaires en ligne qui visent Greta Thunberg pour se rendre compte de l’ampleur du problème. Il faut que les adultes comprennent une bonne fois pour toutes que les enfants ont aussi un avis. Ces adultes qui critiquent aujourd’hui étaient autrefois des enfants à qui on n’a pas donné la parole. Je ne comprends pas pourquoi ils reproduisent ce schéma.
Comment améliorer les choses ?
Il faut apprendre aux enfants, dès leur plus jeune âge, à donner leur avis, à porter leur voix. Ils pourraient être tout à fait capables, à 10 ans, de fournir un avis construit sur une question politique ou de société sans avoir besoin de l’aide d’un adulte pour construire leur pensée.
Entretien : Louise Vanderkelen
Le grand débat des enfants
Une petite centaine d’enfants français participera mercredi vers 17 h à un Grand Débat qui leur est destiné et qui se déroulera à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris. L’initiative du secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance, Adrien Taquet (LREM), vise à recueillir leurs avis sur quatre thématiques qui les touchent directement : la citoyenneté, l’environnement, les violences scolaires ou en ligne, et la santé.
Ces enfants, âgés entre 7 et 14 ans, ont été sélectionnés par trois associations actives dans la protection de l’enfance : SOS Villages d’enfants, l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes et le Scoutisme français. Ils sont issus de tout le pays et sont représentatifs des différentes classes économiques et sociales.
Le secrétaire d’État Adrien Taquet se dit " plus que convaincu " que l’implication des enfants dans le débat public est nécessaire. " Les adultes ne peuvent plus réfléchir à l’avenir sans prendre en compte leur parole ", a-t-il indiqué dans un entretien au Journal du dimanche . L’homme politique envisage d’ailleurs la création d’une "Chambre de l’Avenir" au sein du Conseil économique, social et environnemental. " Les enfants seraient saisis ou s’autosaisiraient des questions politiques les plus structurantes qui affectent leur avenir et remettraient un avis au gouvernement ", a-t-il expliqué.
Non pour Isabelle Roskam, professeure de psychologie à l’UCLouvain

Oui, il faut écouter les enfants, mais pas n’importe comment. Leur parole et leur vision du monde sont de natures différentes que les nôtres. Si on ne prend pas en compte la spécificité de leur pensée, alors on passera à côté de ce à quoi ils peuvent nous éveiller.
Faut-il donner la parole aux enfants dans le cadre du débat public ? Et si oui, davantage qu’actuellement ?
Oui, il faut les écouter. Non seulement parce que notre société leur accorde une place privilégiée depuis plusieurs dizaines d’années, mais aussi parce que l’on contribue à leur développement en les confrontant à des problématiques sociétales ou politiques qui dépassent leur quotidien. Le vrai débat n’est donc pas de savoir s’il faut les écouter, mais comment on les accompagne dans leur prise de parole, et comment on recueille leur avis.
À quoi devons-nous faire attention lorsque l’on sollicite l’avis d’un enfant ?
D’abord, au fait que les enfants ne sont pas des adultes en miniature qui réfléchiraient comme nous mais simplement un peu moins vite et un peu moins fort. Les enfants ont une vision qualitative de la vie qui est différente de la nôtre. Ils interprètent les événements et traitent les informations à la mesure de ce que leur cerveau leur permet. On ne peut donc pas comparer ce qui se passe dans un cerveau adulte avec ce qui se passe dans le cerveau d’un enfant de 8 ou 10 ans. Leur parole n’est pas une petite parole adulte, mais une parole qui est de nature différente.
Qu’est-ce qui caractérise la parole d’un enfant âgé entre 7 et 14 ans ?
Les enfants ont une pensée concrète ; ils ont besoin de réfléchir sur du concret. Dans l’enseignement primaire par exemple, on prendra une balance pour leur apprendre les mathématiques. C’est une différence avec la pensée des adolescents qui, progressivement, à partir de 12 ans, sont capables de réfléchir sur du possible. Voilà pourquoi ils ont envie de révolutionner la société à partir d’un monde idéal, qui n’existe pas, mais dont ils rêvent. Au contraire, si on demande aux enfants ce que serait un monde idéal, ils auront du mal à répondre. Un autre point caractéristique de leur pensée est la notion de compréhension du temps. Alors que les adolescents sont capables de se projeter dans le futur, de s’imaginer eux-mêmes vingt ans plus tard, les enfants ont du mal à réaliser une telle projection. Les interroger sur les conséquences futures de telle ou telle politique sera compliqué pour eux. De plus, les enfants connaissent des difficultés pour considérer des problèmes complexes qui comprennent de multiples variables. Si on leur demande de réfléchir à la question du climat, ils pourront la penser en prenant les problèmes dans leur individualité, mais plus difficilement en considérant la question dans sa globalité. Leurs solutions pourront donc apparaître comme simplistes ou naïves. Enfin, au-delà de leurs capacités intellectuelles, les enfants présentent un raisonnement moral particulier. Lorsqu’ils font face à un problème, ils veilleront non pas à le penser en fonction de règles éthiques universelles, mais en fonction de ce que leurs proches en pensent. Ils apporteront des réponses qui préservent leurs relations interpersonnelles.
En fonction de ces caractéristiques, doit-on s’inquiéter de l’initiative d’Adrien Taquet de créer une "Chambre de l’Avenir" - qui intégrera les enfants - au sein du Conseil économique, social et environnemental français ? Il semble inscrire les enfants dans un cadre politique classique, ce qui ne ferait pas droit, à vous entendre, aux spécificités de leur parole.
Si le débat est organisé par des adultes qui ont conscience du niveau auquel les enfants raisonnent et qui peuvent mettre en perspective ce qu’ils apportent, l’initiative sera alors bénéfique et les enfants pourront nous éveiller à des sujets nouveaux. Si ce n’est pas le cas, alors une telle initiative ne mènera à rien, car on ne pourra bâtir une politique sur les avis des enfants qui ont par exemple du mal à prendre en considération toutes les variables d’un problème.
Chez nous, faudrait-il créer de nouvelles structures dédiées à l’avis des enfants ?
On ne doit pas inventer des structures nouvelles, mais profiter des belles initiatives déjà lancées par des enseignants. Pourquoi ne pas favoriser un échange de bonnes pratiques en la matière, et de penser à un outil qui permettrait de diffuser auprès du grand public ce qui en sortirait ?
Entretien : Bosco d’Otreppe
La politique, un jeu d'enfants ?
Vous l’aurez sûrement remarqué, certains enfants n’hésitent pas s’exprimer dans les médias sur des sujets qui les touchent particulièrement. Petit tour du monde de ces porte-voix qui représentent leur génération.
L’incontournable Greta Thunberg, jeune Suédoise de 16 ans, qui fait la Une de l’actualité ces dernières semaines en tant que représentante des jeunes dans leur combat pour le climat. Elle est proposée pour le prix Nobel de la paix cette année.
La courageuse Malala Yousafzai, Pakistanaise de 21 ans, qui milite depuis plusieurs années pour les droits des femmes et leur accès à la scolarisation. Victime d’une tentative d’assassinat en 2012, elle a obtenu le prix Nobel de la paix deux ans plus tard, à l’âge de 17 ans.
La jeune Syrienne Bana Alabed, qui avait 7 ans en 2017, a raconté sur son compte Twitter, géré par sa mère, son quotidien dans la ville d’Alep, alors assiégée. Aujourd’hui réfugiée en Turquie, elle continue d’appeler à la paix dans son pays.