Médécins et hôpitaux abusent-ils des suppléments d'honoraires?
Publié le 20-03-2019 à 09h37 - Mis à jour le 20-03-2019 à 14h22
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Selon l’agence intermutualiste , les suppléments d’honoraires sont pour partie responsables du coût élevé des assurances hospitalisation. Cela créerait une forme de médecine à deux vitesses, selon la Mutualité chrétienne, qui plaide pour leur suppression pure et simple. Mais les médecins, eux, s’y opposent fermement.
Oui pour Jean Hermesse, secrétaire général de la Mutualité chrétienne
La croissance des suppléments d’honoraires entraîne le système de soins vers une médecine à deux vitesses. Les supprimer rétablirait une certaine équité, que ce soit pour les patients, les médecins et les hôpitaux.

Pourquoi faut-il selon vous supprimer les suppléments d’honoraires facturés par certains médecins ou hôpitaux ?
Parce que la croissance des suppléments d’honoraires n’est pas maîtrisée et risque de conduire à une médecine duale, c’est-à-dire à deux vitesses. Par exemple, on assiste à des pressions de certains médecins sur les patients pour qu’ils prennent une chambre privée. C’est une forme de privatisation des soins qui coûte très cher et est inefficace car non transparente. Nous connaissons aujourd’hui exactement la marge totale de suppléments d’honoraires perçue par les médecins dans les hôpitaux : de l’ordre de 560 millions d’euros. C’est une donnée exhaustive, complète, car provenant de toutes les factures que les mutualités enregistrent.
Concrètement, quels seraient les avantages pour les patients ?
L’avantage tiendrait à ce que tous les Belges aient accès à la chambre privée - même s’il y aura encore un supplément chambre à payer - car, selon nous, la chambre privée va devenir le standard comme dans beaucoup de pays qui nous entourent. Ensuite, cela coûtera moins cher en frais d’administration puisque cela passera par les mutualités et sera directement présenté sur la facture de l’assurance obligatoire. Enfin, cela permettra de mettre sous contrôle les dépenses de l’assurance-maladie, contrairement aux suppléments d’honoraires. De même, cela coûtera moins cher aux employeurs, qui paient 750 millions d’euros de prime actuellement. C’est une solution simple et efficace. Mais il faut une décision politique pour faire ce choix de société.
Le problème, c’est qu’en supprimant les suppléments d’honoraires vous touchez à un système qui permet aux médecins d’éventuellement augmenter leurs revenus…
Nous proposons que cette marge de 600 millions d’euros soit tout simplement réinjectée dans l’assurance obligatoire, à répartir de manière transparente pour financer les hôpitaux et certaines spécialités moins bien rémunérées. Je rappelle que les revenus d’un médecin varient aujourd’hui entre 150 000 et 800 000 euros par an. Avant de réinjecter tous ces moyens, il serait donc opportun d’avoir une vue sur la réalité des honoraires.
Justement, quelles sont les spécialités qui facturent le plus de suppléments d’honoraires ?
Actuellement, ce sont les anesthésistes, les chirurgiens, les gynécologues et les orthopédistes, car il y a un contact avec le patient. Mais on voit arriver des suppléments d’honoraires qui sont facturés sur des actes techniques, biologie clinique, radiologie, etc., où le patient ne rencontre jamais le médecin.
Actuellement, une partie du financement des hôpitaux dépend de ces suppléments d’honoraires. En quoi seraient-ils eux aussi gagnants à ne plus avoir ce levier de financement ?
Aujourd’hui, il y a une stratification sociale des hôpitaux en train de se mettre en place, à savoir qu’un hôpital situé dans une région socio-économique riche va accueillir des patients pouvant se permettre de se payer des assurances hospitalières chères ; il pourra donc se permettre de demander des suppléments importants et bénéficier de nouvelles rentrées importantes. Un autre hôpital avec le même nombre de lits dans une zone économique moins favorable ne pourra pas demander de suppléments d’honoraires au risque de ne pas être payé. Ainsi, vous avez des hôpitaux de première zone et des hôpitaux de seconde zone.
Entretien : Clément Boileau
La question des suppléments d’honoraires, future priorité politique ?
Jean Hermesse ne s’en cache pas, il tient à ce que la suppression des suppléments d’honoraires soit un point important de la campagne électorale pour les fédérales. Et si son autre casquette n'est autre que la présidence du Cepess, le centre d’études économiques et politiques du CDH, c'est bien en tant que secrétaire général de la Mutualité chrétienne qu'il s'exprime.
Priorité. "Comme à chaque échéance électorale, nous faisons un exercice de mémorandum" , indique ainsi le secrétaire général de la Mutualité chrétienne. "Cette fois-ci, celui-ci comporte cinquante pages et douze propositions prioritaires. De ces douze priorités, la première, et de loin, concerne cette suppression des suppléments d’honoraires. J’ai rencontré tous les présidents de parti pour leur expliquer notre mémorandum et en particulier cette revendication. Car je crois qu’aujourd’hui on peut affirmer que cela vit dans l’opinion publique et que cette question devrait être prise en compte par le prochain gouvernement."
Non pour Dr Gilbert Bejjani, représentant syndical pour l’Absym (l’Association belge des syndicats médicaux), médecin directeur de la clinique de la Basilique
Les suppléments d’honoraires permettent de refléter la juste valorisation d’une prestation ou d’un acte médical. Les supprimer mettrait les hôpitaux, déjà en difficulté budgétaire, et les revenus des médecins en péril.

Pourquoi êtes-vous opposé à la suppression des suppléments d’honoraires dans les hôpitaux ?
Parce qu’aujourd’hui, dans le cadre des budgets fermés, le remboursement de certaines anesthésies ou chirurgies est en dessous de 100 euros et les consultations sont autour d’une vingtaine d’euros. Historiquement, les budgets de la santé permettaient de financer correctement les hôpitaux et de rémunérer les médecins. Le budget étant devenu limité, la valeur de la journée hospitalière et de la prestation médicale a été rabotée. Cela pousse tout le monde à faire toujours plus pour atteindre le même niveau de revenus, alors que le temps qu’ils consacrent à leurs patients et à la qualité de leur travail n’est pas valorisé. Aujourd’hui, les suppléments d’honoraires permettent justement de refléter le coût réel et une juste valorisation d’une prestation ou d’un acte médical. Il s’agit d’un mécanisme sain qui pousse les médecins à être valorisés correctement pour la qualité de leur travail.
De plus, le médecin qui suit une formation pendant des années, on ne peut pas lui imposer une tarification unique. Sans incentive, il n’y a plus besoin de se surpasser et de performer. De plus, au tarif fixe, il n’y a pas de valorisation en fonction de leur ancienneté, ni de leurs années d’études et encore moins de leurs formations complémentaires. Or, la valorisation de leur travail est fondamentale.
Ces suppléments sont-ils vraiment nécessaires ?
Les supprimer mettrait le budget des hôpitaux et des médecins en péril. Il faut savoir que ces derniers sont soumis à une grande pression, ils sont les otages d’une situation : leurs honoraires sont prélevés par des hôpitaux pour subvenir aux besoins de ceux-ci, notamment pour réaliser des investissements et payer certains salaires.
Il faudrait amener les hôpitaux à se réorganiser pour qu’ils puissent continuer à fonctionner correctement, mais autrement. Il faudrait, par exemple, se diriger vers de la médecine transmurale, c’est-à-dire sortir de l’hôpital. En effet, beaucoup de soins peuvent se donner en hôpital de jour et aussi être délivrés à domicile, mais cela nécessiterait un investissement dans les soins à domicile, ce qui n’est pas prévu correctement aujourd’hui. Certaines interventions devraient être suivies de courts séjours dans des maisons de convalescence. Nous en disposons, mais elles ne sont pas correctement financées. Nous pourrions également nous rapprocher du modèle danois en proposant plus de personnel pour moins de lits. Mais pour réaliser ces projets qui permettraient d’atteindre ce que l’on appelle "la médecine intégrée", c’est-à-dire que médecins et hôpitaux travaillent ensemble en vue d’une meilleure qualité des soins, il faut des financements. Ces suppléments doivent donc exister pour des raisons économiques et en attendant que les futures réformes puissent assurer le cadre budgétaire adéquat.
Un reproche souvent adressé aux médecins, et aux suppléments d’honoraires qu’ils appliquent, est qu’ils favoriseraient une médecine à deux vitesses.
Les suppléments d’honoraires participent à la solidarité. En effet, le matériel utilisé dans les hôpitaux n’est pas forcément dernier cri. Les médecins peuvent, en partenariat avec les gestionnaires, réaliser des investissements d’un commun accord pour acquérir de nouvelles machines plus performantes. Une fois que ces investissements un peu coûteux sont faits, ils bénéficient à tous les patients.
De plus, ces suppléments permettent une personnalisation des soins. Le médecin peut assurer un suivi complet du patient, de A à Z, jusqu’à l’opération. Si ces suppléments étaient supprimés, la relation entre le patient et le médecin serait en partie détériorée.
Entretien : Louise Vanderkelen
"Ce n’est pas une bonne idée", estime Maggie De Block
En décembre dernier, la Mutualité chrétienne dénonçait, dans son baromètre hospitalier, une augmentation des suppléments d’honoraires pour les patients en chambres individuelles. La ministre de la Santé Maggie De Block (Open VLD) s’était alors empressée de nuancer les faits dans un communiqué. "Interdire subitement tous les suppléments d’honoraires, y compris pour les chambres individuelles, n’est pas une bonne idée. Ces suppléments représentent une source de revenus pour les hôpitaux. Une suppression totale mettrait leur situation financière encore plus sous pression […] C’est peut-être tentant de communiquer sur des interventions purement cosmétiques mais ces mesures ne résoudront pas le problème à long terme. Il nous faut pourtant bel et bien une solution durable" , avait-elle répondu a vant d’ajouter : "Une suppression des suppléments d’honoraires dans les chambres individuelles sans solution structurelle impliquerait une augmentation des impôts ou des cotisations sociales. Or, ce n’est bien évidemment pas le but."