Peut-on supprimer le copilote d'un avion?
Publié le 21-03-2019 à 09h27 - Mis à jour le 21-03-2019 à 15h32
Lors du congrès mondial du trafic aérien qui s’est tenu la semaine dernière à Madrid, l’idée de la suppression du copilote à bord de certains avions a été évoquée. Il serait remplacé par un "copilote à distance", surveillant le bon déroulement du vol depuis le sol. Un projet sans risque ?
Oui pour André Borschberg, pilote et cofondateur de Solar Impulse
De quatre pilotes auparavant, on est passé à trois, puis à deux. La technologie aidant, et les usages évoluant rapidement, on se dirige vers une aviation sans pilotes. D’autant que deux mondes, celui des drones et celui des avions, sont en train de se superposer.

"L’intelligence artificielle sera bientôt plus sûre que le pilote", avez-vous déclaré dans une interview l’an passé. Une éventuelle suppression du copilote ne serait qu’une étape vers l’automatisation complète des avions ?
Sans aucun doute, les pilotes seront les dinosaures du monde de demain. La question n’est pas de savoir si cela va arriver, mais quand. Effectivement, cela se passera certainement par étape, mais j’en suis convaincu parce que, d’une certaine manière, l’humain devient le maillon faible par rapport à la technologie. Si vous prenez Solar Impulse, l’avion est capable de voler pratiquement de manière indéfinie et illimitée. Sa seule limitation, c’est l’humain.
Mais un pilote ou un copilote, c’est utile pour gérer des situations imprévues ou imprévisibles, non ?
On voit que toute la partie complexe du pilotage peut être automatisée. Par exemple, si vous prenez un avion de ligne qui doit se poser dans le brouillard, il ne peut le faire que grâce au pilote automatique. Donc, pour ces raisons-là, on avance tranquillement vers une aviation sans pilote, même si on maintiendra un humain dans le cockpit sufisamment longtemps pour rassurer les passagers. Peut-être que cet humain effectuera certaines tâches décisionnelles, comme l’interruption d’un vol parce qu’il juge une situation trop risquée, mais l’exécution du vol sera automatisée, c’est inéluctable.
Ce futur monde aéronautique privé de pilote va être difficile à accepter pour les passagers…
Vous avez raison, ce n’est pas facile à accepter. Mais tout comme la voiture autonome n’est pas facile à accepter. Il y a dix ans, on pensait que ce serait introduit cinq ans plus tard… et on voit que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. On sait que cela prend du temps, difficile donc de donner un horizon de temps raisonnable. Et au-delà de dix ans, c’est de l’incertain complet. Mais je pense que cela arrivera : il y aura certaines expérimentations qui seront faites à certains endroits. Vous avez déjà le drone qui est fondamentalement quelque chose qui vole sans pilote. Il nous permet de réaliser énormément d’expériences de vol brassant énormément de données pour se satisfaire d’un certain niveau de sécurité. Petit à petit, le monde du drone et celui de l’aviation vont se superposer et commencer à fonctionner ensemble. Ainsi nous allons apprendre du drone comment faire voler un avion sans pilote, et on verra si cela pourra s’appliquer à des avions avec passagers. Ces deux mondes qui se rapprochent vont nous permettre de réaliser la transition.
La suppression progressive des pilotes risque d’être difficile à accepter pour les pilotes aussi...
Ne plus piloter comme on le fait aujourd’hui, pour ceux qui l’ont vécu, cela va être difficile - c’est indéniable. Mais la nouvelle génération, elle, n’aura pas du tout cette expérience, elle verra le monde différemment. Regardez les jeunes : posséder une voiture les intéresse moins ; elle est tournée vers l’intérêt que la technologie apporte, Uber, etc.
Quels autres avantages voyez-vous à ce que les avions soient un jour complètement automatisés ?
Mon but, personnellement, est d’un jour disposer d’un avion qui vole de manière autonome lorsque, pour des raisons d’âge, je devrai abandonner ma licence de vol…
Entretien : Clément Boileau
Le copilote, technologiquement remplaçable ?
Motus. "On en est à des échanges de solutions techniques, de stimulation. L’échéance de 2020-2022 n’est pas irréaliste dès lors que l’on y met l’énergie et les moyens" , déclarait l’an dernier, au quotidien Le Matin , le PDG de Thalès, entreprise spécialisée dans l’électronique aérospatiale. Patrice Caine évoquait la révolution Single pilot operation (un système de pilotage ne nécessitant qu’un seul pilote dans le cockpit). À l’époque, cette "révolution" semblait avoir les faveurs de grands avionneurs tels que Bœing. Où en est-on aujourd’hui ? "Nous pouvons nous exprimer sur tous les sujets" , nous a-t-on répondu du côté de Thalès, "mais plus un mot sur le Single pilot operation " . L’enjeu est d’ores et déjà de taille, visiblement…
Non pour Denis Petitfrère, directeur de l’école de pilotage Air Academy New CAG, à Charleroi
Les copilotes assurent la sécurité des vols. Ils sont indispensables dans la mesure où ils ont la capacité cognitive de pouvoir créer, sur base de leurs expériences et de leurs connaissances, des solutions à des scénarios qui n’auraient pas été envisagés par les machines. De plus, celles-ci peuvent connaître des pannes.

Pourquoi les copilotes doivent-ils rester à bord des avions ?
Parce qu’ils participent à la sécurité des vols. Dans un vol avec un équipage à plusieurs pilotes, vous avez le pilote flying , celui qui vole, et le deuxième qui prend le rôle du pilote monitoring . Ce n’est pas forcément le commandant qui vole et le copilote qui monitore, en général ils alternent les rôles. Celui qui monitore a un rôle important car il supervise et surveille les éléments complémentaires. Il participe notamment à la prise de décision. Dans l’aviation, on travaille avec ce que l’on appelle des filets de sécurité. Les automatismes d’un avion en sont un, la redondance des systèmes en est un autre et la prise de décision en équipage multiple en est un également.
Dans les années 80, trois personnes étaient chargées de piloter l’avion : le pilote, le copilote et l’ingénieur de bord, quel était son rôle ?
À l’époque, il n’y avait pas encore de systèmes GPS et autres. Il n’y avait pas l’informatisation et les avions étaient beaucoup plus complexes à gérer en termes de système. Dès lors, cette troisième personne avait pour mission de monitorer le système : les paramètres moteurs par exemple. La technologie ayant bien évolué, elle a permis de réduire le nombre de personnes dans le cockpit de trois à deux.
Pourquoi les machines ne pourraient-elles alors pas remplacer le copilote ?
Pour différentes raisons. Aujourd’hui, les machines n’inventent rien. Elles gèrent des scénarios qui sont préprogrammés. L’être humain a toujours un rôle, une valeur ajoutée en cas de panne éventuelle. À partir du moment où vous avez l’ensemble des scénarios définis alors oui, on peut les programmer et les machines peuvent les gérer seules. Mais malheureusement, ces systèmes peuvent rencontrer des pannes. Lors des deux derniers accidents d’aviation qui ont marqué l’actualité dernièrement, il ne semble pas que les êtres humains soient en cause mais bien les machines. L’être humain est donc indispensable dans la mesure où il a la capacité cognitive de pouvoir créer, sur base de ses expériences et de ses connaissances, des solutions à des scénarios qui n’auraient pas été envisagés par les machines. Forcément, s’il existait des systèmes infaillibles, on pourrait automatiser tous les vols. L’homme n’aurait plus aucun rôle à jouer à l’intérieur de l’avion, si ce n’est, peut-être, de rassurer les passagers qui ne sont aujourd’hui pas suffisamment confiants pour voler dans des avions sans pilote. Mais ce ne sera pas pour demain.
Si le pilote est seul à bord et fait un malaise, les machines pourraient-elles le remplacer ?
Le copilote est indispensable dans ce cas. Son rôle sera de ramener l’avion et ses passagers ou son cargo en bon état, au sol. Faire voler un avion, ce n’est pas très compliqué. Par contre, là où cela devient intense et exigeant, c’est lors de la gestion des systèmes et de leurs dysfonctionnements éventuels. Si le pilote est hors service, le système en question doit être capable de ramener l’avion au sol.
La suppression du copilote ne rendrait-elle pas le travail plus pénible pour le pilote qui pourrait se retrouver seul des heures durant lors de vols longs-courriers ?
Si. Mais il n’y a pas que l’aspect humain qui importe, il y a aussi l’aspect technique. Un vol peut être éreintant, fatiguant. N’avoir aucune interaction durant plusieurs heures, ce n’est pas des plus agréables.
Cette éventualité de la disparition du copilote fait-elle partie des sujets de discussion fréquents dans le secteur de l’aviation ?
Oui, cela en fait partie. On constate que les projets qui impliquent des drones évoluent de plus en plus. Je pense notamment aux drones habités comme les drones taxis à Dubai. Il s’agit de véhicules volants autonomes qui peuvent transporter des personnes à une vitesse d’une centaine de kilomètres par heure et évoluer jusqu’à 300 mètres d’altitude.
Entretien : Louise Vanderkelen
Une question de confiance
Interrogé dans Le Soir , le président de l’association belge des pilotes, Alain Vanalderweireldt, commente l’idée. "Oui, ça arrivera mais je ne suis pas certain que je le connaîtrai de mon vivant. On retombe sur les questions et principes d’une automation avec des systèmes conçus par des humains, comme l’affaire du B737 Max vient encore de l’illustrer. Les deux pilotes à bord, c’est bien sûr pour s’épauler en cas de problème mais aussi pour se contrôler l’un l’autre afin d’éviter d’en avoir. Jusqu’à quel point peut-on et fera-t-on confiance dans l’automation ?"