L'homme blanc de 50 ans doit-il céder la parole?
Publié le 22-03-2019 à 09h57 - Mis à jour le 28-02-2020 à 16h56
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Une pièce de théâtre, Calimero, souligne le malaise de l’homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans, souvent désigné comme le symbole d’un patriarcat mis en accusation. Mais est-il vraiment responsable de cette position ? Et comment peut-il repenser sa place dans la société ?
Oui pour Noura Amer, psychologue, fondatrice de l’ASBL Arab’s Women Solidarity Association
Quelqu’un qui écoute, surtout depuis une position dominante, est un allié de l’égalité. Et pas seulement l’homme blanc de plus de 50 ans : il peut s’agir de l’homme vis-à-vis de la femme, du valide vis-à-vis de l’invalide, du riche vis-à-vis du pauvre, etc.

L’écoute plutôt que la complainte, c’est la première chose à faire en tant qu’homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans ?
C’est une question de modestie. L’écoute, c’est quoi ? C’est reconnaître quelqu’un, le respecter. Parce qu’on réfléchit aussi quand on écoute. En être capable est quelque chose de précieux : il faut commencer par écouter ce que les autres ont à dire par rapport à leur souffrance ; c’est comme ça que nous, féministes, le vivons. Chaque fois que les femmes dénoncent les discriminations, par exemple sur le harcèlement sexuel, c’est le manque d’écoute qui est vraiment révoltant. Quelqu’un qui écoute est un allié. Ensuite, il peut agir de manière constructive. Quand les Belges descendent dans la rue pour protester contre les guerres en Irak ou ailleurs, ils engendrent des gestes de solidarité, des alliances qui sont nécessaires.
Pourquoi l’homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans constitue-t-il une sorte de symbole du patriarcat ?
Parce qu’il représente le pouvoir depuis des siècles, et actuellement encore. Il détient les privilèges du pouvoir politique, économique, militaire, culturel, social et sexuel, et ce, au niveau mondial.
Ceci dit, notre féminisme intersectionnel place toutes les discriminations au même niveau et ne "tolère" pas une hégémonie plus qu’une autre. Et dans le monde dit "arabe" d’où je viens, je suis consciente de la présence d’autres systèmes hégémoniques contre lesquels on se bat avec la même détermination.
Moi, en tant qu’Arabe, je dois aussi être consciente de mes privilèges, et comprendre quand les Berbères me disent leur souffrance, leur vécu de la domination arabo-musulmane. Une lecture de l’Histoire, de son histoire et de celles des autres, est toujours intéressante pour construire son point de vue.
La domination est-elle selon vous le produit d’un système ou de ceux qui en forment la majorité ?
Dans notre approche féministe, nous accordons beaucoup d’importance aux contextes dans lesquels les gens vivent. Ces contextes construisent leurs identités et orientent leurs choix. Notre compréhension de la "blanchité" est celle du pouvoir, de la domination et de l’hégémonie. Chacun est un peu le Blanc d’un autre : l’homme vis-à-vis de la femme, l’hétéro vis-à-vis de l’homo, le valide vis-à-vis de l’invalide, le riche vis-à-vis du pauvre, l’Arabe vis-à-vis du Berbère, du Kurde, du Noir…
En fait, nous n’avons pas toujours conscience de nos propres mécanismes de domination ?
En effet, chacun est aveugle sur ses privilèges et il est important d’ouvrir les yeux avec objectivité et modestie. Notre objectif est le respect, l’égalité et la justice sociale, et il est clair que chacun doit réfléchir à ses privilèges pour y parvenir.
L’Occident, représenté par "l’homme blanc de 50 ans", est au sommet depuis longtemps et au détriment du reste du monde, donc c’est normal qu’il lui soit demandé de s’interroger sur sa posture. Les jeunes par ailleurs le crient dans les rues depuis des semaines concernant le climat. Cette domination a un prix qui n’épargne personne !
Que répondez-vous aux Blancs hétérosexuels de 50 ans qui peuvent ressentir un sentiment de culpabilité à cause de leur position "dominante" ?
Si un dominant ressent une souffrance, une culpabilité, il doit pouvoir le dire. Je crois que reconnaître cela pour soi-même, être connecté à ses sentiments, c’est déjà une très bonne chose.
De notre côté, nous ne reprenons pas des outils de dominants et essayons d’être dans le constructif, dans l’échange. Nous ne disons pas : "Voilà, vous n’avez rien à dire." Au contraire, on a vu que cela engendrait beaucoup de crispation, car chacun de là où il est a ses souffrances, ses propres problèmes… Or le débat doit être beaucoup plus apaisé, et il ne l’est pas.
Entretien : Clément Boileau
L’honneur sauvera-t-il les hommes ?
Pourquoi les femmes ont-elles besoin des hommes ? La force physique [est devenue inutile]. La paternité est évacuée de la filiation. La virilité est déconstruite, s’interrogeait la journaliste Eugénie Bastié dans "Famille Chrétienne" ce 9 mars. Je crois qu’il est essentiel de redonner du sens à ce fait qu’est la différence des sexes, et donc retrouver des applications culturelles à la virilité. Parmi ces vertus, je pense que l’honneur est une vertu masculine à réhabiliter. Qu’est-ce que l’honneur ? C’est le sentiment d’avoir à rendre des comptes, d’être responsable de ses actes. C’est un code social, mais c’est aussi un acte intime qui engage la personne." "Le véritable honneur n’a rien à voir avec l’orgueil de la brute qui demande aux faibles de baisser les yeux […], ni avec la grossièreté vengeresse et barbare. L’honneur n’est pas un concours de testostérone, mais l’élan du cœur qui prend un risque et s’expose au danger en dépassant son intérêt immédiat. C’est un effort pour dépasser sa nature animale, sans la renier. C’est la vertu qui anime d’Artagnan, le ‘Vieil Homme’ d’Hemingway, Perceval et Lancelot. L’honneur des hommes protège la liberté des femmes. Voilà une version positive de la masculinité que nous devrions enseigner, cultiver et préserver."
Non pour Bernard Breuse, acteur dans la pièce "Calimero", au Tanneurs. Cofondateur du collectif théâtral du Transquinquennal.
Ce n’est pas sa faute si l’homme blanc de plus de 50 ans hétérosexuel incarne la classe dite dominante. C’est le résultat d’un système historico-social. Il n’empêche, aujourd’hui, il connaît un sérieux malaise et il faut en parler.

Avec Miguel Decleire et Stephane Olivier vous jouez, dans la pièce Calimero (voir p.44), trois hommes blancs de plus de 50 ans hétérosexuels, de la classe dite dominante. Comment réagissez-vous à l’irritation, voire la colère d’"autres" issus des minorités ?
Je l’entends mais ne la comprends pas. Je la trouve mal placée parce que le statut de l’homme blanc de plus de 50 ans hétérosexuel est le résultat d’une évolution. Le capitalisme, par exemple, n’est pas apparu suite à une décision politique. Ce système s’est construit dans l’Histoire. De la même façon, l’homme blanc de plus de 50 ans hétérosexuel n’a pas créé sa situation, il n’est que le produit d’un système historico-social. On peut remettre sa situation en question, mais c’est la réalité. C’est vrai qu’il est difficile de remettre en jeu ses privilèges. En démocratie, les minorités sont respectées. La majorité, elle, s’installe d’elle-même. Mais un mode de pensée, une façon de voir les choses peut évoluer…
Aujourd’hui, y a-t-il un malaise chez ces "dominants" ?
Oui, et il est lié à notre imaginaire. Dans le récit judéo-chrétien qui est à la base de la civilisation de l’homme occidental, Jésus est un homme, et Dieu un homme âgé. Ce récit patriarcal - qui existe aussi dans les autres religions monothéistes - a imprégné notre société. Selon Bergson, ces religions sont un fait social mais aussi une révélation, une transcendance en l’homme. Aujourd’hui, cette histoire est remise en question. Les lieux de projection de l’homme blanc de plus de 50 ans sont moins évidents. Peut-être doit-il les reconstruire ?
Si vous aviez le pouvoir, comment participeriez-vous à cette reconstruction ?
Il faut demander à Charles Michel. Son gouvernement comptait 14 ministres masculins et 4 femmes. Un institut de l’égalité des chances existe et une loi sur l’égalité a été votée. Un gouvernement ne doit-il pas se montrer exemplaire ? Le fil est là, qui peut tirer dessus ? Mais aujourd’hui, tout doit se faire vite. La réalité est pourtant autre. Une telle évolution, tous ces mouvements, prennent du temps. Les mentalités doivent s’imprégner. Les hommes blancs de plus 50 ans hétéros doivent prendre conscience de leur situation, je ne le nie pas, de privilégié. Mais ils en souffrent aussi.
Quelles souffrances ?
Notamment suite à la performance que leur impose ce système, amplifié par le jeunisme ambiant. Notre société met en doute les compétences de l’homme blanc de plus 50 ans. Il y a un sérieux malaise au sein de ces hommes qui tentent de s’accrocher à ce qu’ils ont, à ce qu’ils sont. J’en suis. On se sent coincé. Qu’a-t-on comme alternative ?
Quel chemin voyez-vous ?
J’ai une vision pessimiste. L’humanité évolue davantage par les catastrophes que par la raison.
Quelle catastrophe pourrait faire évoluer le système qui privilégie l’homme blanc de plus de 50 ans ?
Cette autorité, qui lui a été donnée et qu’il assume, est minée. Le changement viendra d’ailleurs. Peut-être de l’informatique et des prises de décision d’intelligences artificielles ? Les révolutions chez nous sont impossibles à cause de la pyramide des âges. Jules Verne avait anticipé la science et la technique mais pas la place de la femme dans la société. Elle a pris sa place suite à la Première puis la Seconde Guerre mondiale, suite à deux catastrophes.
Pourquoi votre pièce s’appelle-t-elle "Calimero" ?
C’est un clin d’œil à ce dessin animé que les hommes de plus de 50 ans connaissaient. C’est notre jeunesse. Le bon temps, la nostalgie. L’autre côté est : "c’est trop injuste" qu’on nous accuse de tous les maux.
Vous sentez-vous légitime à prendre la parole alors que pour certains issus de minorités, vous l’avez monopolisée pendant des millénaires ?
Dans son nouveau décret sur les arts de la scène, la ministre de la Culture, Alda Greoli, n’a pas inscrit la parité comme base dans la répartition des subsides. Pourquoi cette femme ne l’a-t-elle pas fait ? Par là, elle accepte, reconnaît et renforce mon rôle dans la société. Je la remercie vraiment.
Entretien : Thierry Boutte