Investir dans le vin est-il le meilleur des placements ?
Publié le 26-03-2019 à 09h21 - Mis à jour le 26-03-2019 à 11h53
Une vente aux enchères de vins a battu tous les records ce week-end à Anvers. 16 000 bouteilles réparties en 1 600 lots, dont 119 millésimes de Mouton Rothschild acquis pour 190 000 euros, y ont été vendues. Le vin est-il devenu le meilleur des placements?
Oui pour Stéphane Deubel, président fondateur de Cavacave, service de vente aux enchères en ligne de bouteilles de vin.
Investir dans le vin, c’est s’assurer d’avoir le meilleur rendement qui soit. Les Mouton Rothschild, par exemple, gagnent +18 % en moyenne chaque année. La rareté et la capacité de revente du produit sont primordiales pour faire jouer le principe de l’offre et de la demande.

Investir dans le vin, est-ce un bon placement ?
C’est même un excellent placement. Si, à Cavacave, nous prenons le seul exemple du Mouton Rothschild et que nous comparons tous les lots de 2018 à ceux de 2017, nous constatons un gain de valeur de +18 % en un an. L’année dernière, nous avons également réalisé une expérience. Notre plateforme a investi 45 000 euros dans l’achat de vins, d’avril à décembre 2018. Nous nous sommes entourés d’experts qui ont tenté d’acquérir des vins aux prix les plus attractifs. En huit mois, nous avons eu un rendement brut de +63 %. Personnellement, à part mon appartement, toute mon épargne se trouve dans le vin.
Quels sont les facteurs qui permettent de déterminer le prix d’une bouteille ?
Le prix d’un vin est basé sur le principe simple de l’offre et de la demande. On considère donc le taux de raréfaction (qui s’accroît avec le temps, les bouteilles étant bues) comme l’un des facteurs qui détermine le prix du produit. Prenons l’exemple du domaine Romanée Conti. Quand on acquiert la bouteille en sortie de domaine, elle se vend aux alentours de 1 200 euros. Les bouteilles de 2015, qui viennent de sortir du domaine il y a deux mois, sont vendues actuellement aux alentours de 20 000 euros. Investir dans le vin peut donc rapporter gros… à condition de le faire intelligemment. Il faut comprendre que l’on ne gagne pas à tous les coups.
Comment fait-on pour investir dans ce domaine ?
Il existe deux approches principales : soit on multiplie les lignes, c’est-à-dire que l’on achète plusieurs bouteilles de vin issues de différents domaines, soit on se concentre sur un domaine en particulier car on sait que sa production est exceptionnelle et rare. On essaie alors de se procurer un maximum de ces bouteilles pour assécher le marché sur une référence. On peut alors se permettre d’avoir une incidence sur la valeur du marché et, donc, de déterminer ses propres prix. On peut bien sûr toujours capitaliser sur des valeurs sûres, comme les Bordeaux : le rendement sera toujours supérieur à ce que vous donnera la banque sur votre compte d’épargne.
À quoi faut-il être attentif lors d’un investissement ?
Un des critères importants est la capacité de revente, ce que l’on appelle la liquidité du produit : si l’on achète une bouteille de collection qui n’intéresse qu’une dizaine d’acteurs, encore faut-il avoir accès à ces personnes. Il faut donc avoir du flair et déterminer les produits qui sont convoités et rares. Ensuite, il faut bien sûr s’assurer d’acheter au meilleur prix.
Le marché asiatique a-t-il influencé positivement la vente des vins ?
Oui. Notre bureau travaille beaucoup avec la Chine, Hong Kong, la Corée du Sud et le Japon. Cette zone représente à elle seule 40 % de notre chiffre d’affaires. Les Chinois sont très curieux, ils veulent en apprendre et comprendre. Il y a dix ans, on pouvait leur vendre n’importe quoi. Aujourd’hui, les meilleurs palais que je connaisse sont des palais chinois. Le vin est aujourd’hui considéré comme l’un des piliers de l’éducation chinoise. Ce sont surtout des consommateurs, c’est-à-dire qu’ils achètent des bouteilles pour les boire. Leur influence est extrêmement positive car on constate qu’il y a de plus en plus de demandes pour des produits assez spécifiques et techniques.
Entretien : Louise Vanderkelen
Petit guide pour investir dans le vin : les conseils d’une professionnelle
Pour Angélique de Lencquesaing , directrice d’iDealwine.com, une plateforme de ventes aux enchères de grands millésimes, le vin est un excellent investissement sur le long terme. Pour elle cependant, " il ne faut pas acheter des vins dont les productions sont importantes. Si elles le sont, il faut se cantonner aux très bons millésimes qui disposent d’une excellente capacité de garde , c’est-à-dire qui se conservent bien. En effet, on ne sait jamais quand on pourra les revendre en maximisant nos profits. Un autre conseil pour obtenir de la rareté est d’acheter les vins dans un format atypique : magnum, double magnum voire impérial. Ils sont produits à moindre échelle et se valoriseront mieux à la revente ". La spécialiste distingue deux profils d’investisseurs : " Les personnes qui ont pu obtenir les meilleurs investissements sont celles qui constituent elles-mêmes leurs caves. Elles sont motivées par la passion plus que par un objectif strictement financier. Ces personnes se sont renseignées avant de sélectionner des domaines, en lisant les guides, en allant à la rencontre des viticulteurs, en louant des liens avec les producteurs. Les personnes qui ne sont pas particulièrement amatrices de vin et seulement attirées par l’appât du gain éventuel obtiennent de moins bons résultats sur leurs investissements. " Elle note donc que, plus que la mise du départ, c’est la passion qui détermine la chance de gains. L’experte en vin continue : "Pour un investissement sans risque, il faut se tourner vers les Bordeaux . Leur capacité de revente est assurée compte tenu de la notoriété des signatures. Cependant, ils ne réaliseront pas les meilleures performances en terme de valorisation. Pour de meilleurs résultats, je conseille la Bourgogne et la vallée du Rhône , où il existe des domaines très prestigieux aux plus petites productions très recherchées. Enfin, pour les plus grands connaisseurs, il y a la vallée de la Loire, le Jura, l’Alsace et la Champagne . La valorisation de la performance sera remarquable."
Non pour Baudouin Havaux, ingénieur agronome et œnologue. Chroniqueur vin à la Libre . Président du Concours Mondial de Bruxelles
Ce marché hautement spéculatif est alimenté par les Chinois et les Américains qui font monter les prix. Attention aussi aux risques de contrefaçon, de mauvaise conservation et d’altération du contenu.

Le vin est-il un des meilleurs placements financiers ?
Je ne suis pas d’accord de concevoir le vin comme un produit de spéculation financière. C’est malheureusement une réalité. Certains chiffres peuvent laisser croire que c’est un excellent placement mais il est très risqué. Aujourd’hui, je ne serais pas acheteur de vieux millésimes aux prix forts actuels. Qui l’est ? Les Chinois et les Américains. C’est eux qui font monter les prix. Ils ne les boiront jamais, mais les revendront en grande majorité.
Quels sont les risques ?
C’est d’autant plus spéculatif que le vin n’est pas un produit de première nécessité et s’avère relativement périssable. Dans 100 ans, votre Picasso sera encore là. Votre Château Petrus 1961, oui, la bouteille sera encore là. Mais le contenu ? Le risque n’est pas anodin au niveau de l’altération et de la conservation. Un risque annexe est la contrefaçon, comme dans le domaine de l’art. Les fausses bouteilles millésimées ne sont pas rares. Souvent, dans le cadre des ventes publiques, le vendeur ne se fait pas connaître, il faut alors avoir confiance dans la salle de vente qui authentifie comme elle peut. Ce n’est pas évident parce qu’il faut aussi pouvoir garantir à l’acheteur que le millésime ait été conservé dans de bonnes conditions et pas exposé des années dans un entrepôt, à la chaleur, à la lumière ou à une mauvaise hygrométrie. Pour de très vieux millésimes de grands châteaux, on peut normalement ramener la bouteille au château tous les vingt ans qui débouchonne, vérifie que le vin est toujours bon, ajuste le niveau, rebouchonne et délivre un certificat à l’appui. Dans ce cas, il n’y a pas de danger de contrefaçon. Un gigantesque scandale a secoué le marché voici quelques années suite aux malversations d’un professionnel chinois qui, ayant pourtant pignon sur rue, fabriquait de faux millésimes. Ce ne fut pas le seul.
Seuls les vieux vins sont-ils concernés ?
Non, un autre exemple de spéculation est l’achat en primeur. Le vin acheté est alors en tonneau, pas encore prêt à être bu. Les acheteurs le reçoivent un an après et espèrent le revendre avec une belle plus-value. Voici peu, le président de l’union des grands crus de Bordeaux nous expliquait que quand ils vendent leur vin en primeur, les prix diminuent ou augmentent au gré de la qualité des vins - une bonne cette année ! - mais aussi en fonction de la situation économique mondiale. Et pour l’instant, elle n’est pas sereine.
Un conseil tout de même ?
Comme dans l’art, il faut être un fin connaisseur. Il faut acheter les bons châteaux, les bonnes années, et avoir un peu de chance. Finalement, il n’y a que les grands crus qui se vendent.
Entretien : Thierry Boutte
Test-Achats met en garde
Nicolas Claeys , coordinateur de Test-Achats invest, est plutôt réservé face aux allégations sacrant le vin comme un grand cru des placements. Sur le rendement comme sur le niveau du risque. D’abord parce qu’acheter du vin n’est pas soumis à une réglementation qui protège l’investisseur lambda. A-t-il le bon profil - comme peut le dresser une banque - pour une opération comportant autant de risques ? Achète-t-il et vend-il au juste prix ? Au fait, qui fixe les prix ? On peut s’interroger sur la transparence du marché. Et sur sa liquidité : va-t-il facilement revendre - à un bon prix - ses bouteilles ? A-t-il aussi une bonne connaissance des châteaux, des crus, des millésimes, de la rareté, etc. ? À défaut, peut-il se faire aider par un spécialiste indépendant ? Quant aux frais afférents - commissions d’achat et de vente, frais de détention, de stockage…-, ils sont plutôt opaques dans le secteur.
Dans ce marché du vin , si la valeur des bouteilles s’effondre, il n’y a aucune garantie de capital, avertit Nicolas Claeys. D’accord, les taux sont faibles, mais l’alternative au compte d’épargne n’est pas un placement dans le vin, trop risqué. Il conseille d’opter plutôt pour un fonds de placement qui, bien réparti, peut aussi offrir plus de 100 % de rendement sur les dix dernières années. Les informations dans ces marchés classiques sont plus nombreuses et fiables que dans le vin, qui reste un marché de niche. Et de conclure qu’il faut toujours diversifier les secteurs.