Devons-nous exploiter les ressources de la Lune pour sauver la Terre?
Publié le 03-04-2019 à 09h19 - Mis à jour le 04-04-2019 à 10h19
Le gouvernement américain a annoncé, mardi 26 mars, une accélération de son programme spatial, avec un retour de ses astronautes sur la Lune dès 2024. Mais un tel retour est-il utile ? Est-il nécessaire et approprié d’exploiter les ressources lunaires ?
Oui pour Frank De Winne, astronaute pour l’Agence spatiale européenne, directeur du centre des astronautes européens
Il faut retourner sur la Lune et exploiter des ressources de manière durable. Les métaux précieux, l’hélium-3 et l’eau qui s’y trouvent permettraient d’y développer des technologies bénéfiques pour contrer le réchauffement climatique sur Terre.

Faut-il selon vous retourner sur la Lune ?
Oui. Il s’agit de l’un des trois objectifs de la stratégie d’exploration de l’univers de l’agence spatiale européenne. Nous souhaitons poursuivre notre travail à la station spatiale internationale, retourner sur la Lune avec l’aide de nos collègues du Japon, du Canada, de Russie et des États-Unis, et enfin explorer Mars afin de ramener des échantillons prélevés vers la Terre.
Pour quelles raisons ?
L’exploration spatiale voulue par l’Europe est poussée par quatre raisons principales. La première est l’innovation. Si on veut retourner vers la Lune, ce n’est pas simplement pour y planter un drapeau et y faire une course, comme dans les années 1960. Ce serait plutôt pour exploiter ses ressources de manière durable en y développant une base permanente. Pourquoi parler d’innovation ? Car pour installer cette base, il faudra de l’énergie. Or, sur la Lune, il n’y a pas de gaz, de pétrole, de carbone. Il faudra donc créer de l’énergie 100 % renouvelable. Cette technologie développée sur la Lune nous permettra d’avoir un impact positif sur Terre, surtout dans un contexte de réchauffement climatique. Même chose pour les techniques de purification de l’eau qu’on pourrait développer sur la Lune. L’eau potable va devenir une des ressources les plus limitées sur Terre. Nous savons aussi qu’il existe sur la Lune des ressources qu’on pourra utiliser sur Terre pour résoudre nos problèmes énergétiques. Je pense notamment à l’hélium-3 (NdlR : isotope qui est un carburant idéal pour la fusion nucléaire et permettrait de produire de grandes quantités d’énergie, sans déchets radioactifs) qu’on pourrait extraire et ramener sur Terre pour voir s’il peut nous être utile dans le domaine nucléaire. Peut-être existe-t-il également sur la Lune des matériaux précieux, ce que l’on ne sait pas encore tant on n’a exploré que des zones géographiques limitées de notre satelite. C’est un peu comme si on s’était rendu sur Terre uniquement à Bruxelles, Paris et Madrid et qu’on affirmait qu’il n’y avait pas de pétrole sur cette planète. Une exploration beaucoup plus globale de la Lune est donc nécessaire. Peut-être y trouverons nous des matériaux précieux, utiles au développement de batteries nécessaires à la production à grande échelle de véhicules électriques. Je ne sais pas encore ce qui se trouve sur la Lune mais, à chaque fois que l’homme a réalisé des explorations, il y a trouvé des opportunités. C’est pour ces différentes raisons que l’Europe investit dans un "Space Gateway", une petite plateforme que l’on va développer et qui volera autour de la Lune. À partir de celle-ci, on sera en mesure d’explorer toute la surface lunaire, ce qui n’était pas possible au temps d’Apollo par exemple.
Un retour sur la Lune ne servirait donc pas uniquement à faire rêver le public...
Nous devons retourner sur la Lune pour des raisons scientifiques. Cela nous permettrait peut-être de mieux comprendre d’où nous venons et quelle est l’origine de la Terre, de la Lune et de notre système solaire. On pourrait par exemple installer des radios télescopes sur la face cachée de la Lune. Cela nous donnerait une tout autre vue de l’univers. Le retour sur la Lune sera également une source d’inspiration pour nos jeunes. Quand on voit tous les problèmes que rencontre la Terre aujourd’hui, comme les changements de températures, il est clair que nous devrons trouver rapidement des solutions technologiques. Cela nécessite d’inciter les jeunes à s’engager dans des missions scientifiques. Un bel exemple de cela est le succès que connaît l’astronaute français Thomas Pesquet. Il a plus d’un million de followers sur Twitter. Il est très populaire chez les jeunes et les inspire.
Cette mission lunaire n’attiserait-elle pas de nouveau les tensions connues entre les États-Unis et la Russie lors de la période de la guerre froide ?
Au contraire, ces missions permettent d’entretenir une coopération internationale entre certains pays. Il est important de les poursuivre main dans la main parce qu’elles agissent comme un stabilisateur de tensions dans ce monde très volatil. Grâce aux missions, on lance tous les trois mois vers la Station spatiale internationale des Américains et des Russes qui font partie de la même équipe. C’est éloquent, quand on voit ce qui se passe entre ces deux pays au niveau de la géopolitique.
Pourquoi n’est-on pas retourné sur la Lune en un demi-siècle ?
Depuis la salle de contrôle du télescope Trappist au Chili , l’astronome spadois Emmanuël Jehin explique les raisons pour lesquelles l’homme n’est pas retourné sur la Lune depuis 1972. " Si nous sommes allés sur la Lune à la fin des années 60, c’est parce que le contexte s’y prêtait. Les États-Unis avaient beaucoup d’argent, son président était très ambitieux et la technologie se développait. De plus, nous nous trouvions dans un contexte de guerre froide entre les États-Unis et la Russie qui étaient en compétition pour la conquête spatiale. "
Si nous n’y sommes pas retournés depuis bientôt cinquante ans, c’est avant tout pour des raisons budgétaires. " De plus, après cette démonstration de force, il était évident que les États-Unis avaient la main. Depuis, la Nasa est frileuse et manque pas mal d’ambitions. Surtout depuis les accidents des navettes spatiales américaines qui ont provoqué la mort de 14 astronautes. Cela a marqué un arrêt dans la conquête spatiale ", détaille le spécialiste.
Pour l’astronome, la Lune présente pourtant d’énormes avantages. Elle est comparable à une station-service avancée entre la Terre et Mars de laquelle on pourrait tester de nouvelles fusées. " Un autre avantage qu’a la Lune est que sa gravité est beaucoup plus faible que la gravité terrestre. Il est donc plus facile de lancer une fusée vers Mars depuis la Lune que depuis la Terre. De plus, on y a trouvé de l’eau sous forme de glace à son pôle sud. Cela permettrait d’y installer une base permanente et de développer du combustible, nécessaire aux astronautes qui veulent se rendre sur Mars. "
Non pour Yaël Nazé, astrophysicienne à l’ULiège et chercheuse au FNRS
La présence d’hélium-3 sur la Lune est un faux prétexte pour justifier sa conquête. La mission voulue par Trump apparaît d’ailleurs sans intérêt scientifique. Nous devrions plutôt retourner vers les planètes gazeuses Uranus et Neptune.

Faut-il retourner sur la Lune ?
Cela dépend des raisons invoquées. Si c’est seulement pour le prestige et prouver qu’on peut le faire, alors non. C’est d’ailleurs ce que souhaite entreprendre le président Trump, en retournant sur la Lune en 2024. Cette mission ne serait qu’une démonstration de force, sans intérêt scientifique. Cette année, cela fait 50 ans que l’homme a marché sur la Lune. Annoncer une telle mission de reconquête, c’est une façon pour les États-Unis de dire : "On était les meilleurs il y a 50 ans et nous sommes toujours les meilleurs maintenant". Aujourd’hui, tout le monde montre ses muscles. Il y a les Chinois qui ont été avec leur robot motorisé "rover" sur la face cachée de la Lune et il y a les Indiens qui, la semaine passée, ont fait un essai antisatellite. Chacun est en train de montrer ce qu’il sait faire.
Les ressources éventuelles qui se trouvent sur la Lune ne pourraient-elles pas servir à la Terre ?
La présence sur la Lune d’hélium-3 est un faux prétexte pour justifier sa reconquête. Ce n’est pas intéressant. Je dirais même que c’est un leurre car nous ne maîtrisons pas la fusion nucléaire sur Terre. Nous n’en avons donc pas besoin. De plus, il faudrait retourner de larges parcelles de sol sélène pour y extraire l’hélium-3, ce qui serait très compliqué à entreprendre. Si on veut retourner sur la Lune pour y faire de la science, je suis d’accord, bien que cela soit cher. Avec ce budget, retourner par exemple vers les planètes gazeuses Uranus et Neptune serait sans doute plus utile.
Retourner sur la Lune pour 2024, cela vous semble faisable ?
C’est impossible. Cette mission de Trump qui est donc selon moi un effet d’annonce, plus politique que scientifique, sert à cacher les coupures dans le budget de la Nasa. Il faut savoir que les administrations américaines, quand elles sont en difficulté, prévoient des budgets pour dire au monde entier que les États-Unis vont retourner sur la Lune. George W. Bush avait utilisé ce subterfuge à plusieurs reprises pendant son mandat. Trump aussi. Pendant ce temps, des missions d’observation de la Terre ont été annulées car ce dernier est climatosceptique. Beaucoup disent aussi que le projet Orion (NdlR : vaisseau spatial de la Nasa destiné à transporter un équipage d’astronautes au-delà de l’orbite basse) est en voie d’abandon pour causes budgétaires. Il n’est par ailleurs pas abouti. S’il permet d’atterrir sur la Lune depuis une station en orbite, le mécanisme ne permet pas encore de remonter sur cette même station.
Ce retour souhaité sur la Lune ne risquerait-il pas de raviver des tensions entre les pays afin de s’approprier des parcelles de Lune ?
Officiellement, il existe un traité qui ne permet pas aux États de s’approprier un bout de terrain de la Lune. Ce qui n’est pas extrêmement clair, c’est de savoir si les citoyens de ces pays signataires peuvent s’approprier des parcelles. Il reste enfin à étudier la rentabilité de l’exploitation de la Lune. Concernant l’hélium-3, comme je l’ai dit, la réponse est pour le moment clairement non. L’eau pourrait par contre nous être utile, tout comme l’exploitation des astéroïdes pour leurs teneurs en métaux précieux. Toutes ces études, débats et discussions ne sont pas encore abouties. Au contraire du tourisme spatial...
Entretien : L.V.