La Région bruxelloise doit-elle réduire fortement l'affichage publicitaire ?
Publié le 04-04-2019 à 09h24 - Mis à jour le 04-04-2019 à 10h21
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Le nouveau règlement d’urbanisme que finalise actuellement la Région bruxelloise réduit considérablement les possibilités d’affichage publicitaire dans l’espace public. Pas de quoi réjouir les annonceurs, qui dénoncent une entrave à la liberté de commerce.
Oui pour Vincent Biauce, chef d’entreprise et consultant. Conseiller communal Écolo à Etterbeek

On ne peut pas d’un côté être solidaire des marches pour le climat avec la volonté de remettre en cause notre mode de consommation, et de l’autre imposer à nos citoyens, dans l’espace public, un maximum de messages en faveur de la voiture.
À Bruxelles, un nouveau Règlement régional d’urbanisme (RRU) - actuellement soumis à l’enquête publique - prévoit de limiter sensiblement la présence de la publicité visible depuis l’espace public. Quelles sont les principales mesures que vous épinglez ?
Ce règlement régional d’urbanisme a connu une accélération en fin de législature. Pas mal d’acteurs concernés, comme Inter-Environnement Bruxelles du côté associatif, ou les lobbys de JCDecaux et Clear Channel, les deux multinationales spécialisées dans la publicité urbaine, ont été pris de court. Toutefois, concernant les mesures avancées, je retiendrai deux limitations importantes : celle des panneaux numériques avec vidéos ou séquences animées - pour des raisons évidentes de sécurité routière - et celle des grands panneaux (20 m2 et plus).
Pourquoi faut-il limiter l’affichage publicitaire ?
On ne peut pas d’un côté marcher pour le climat (ou se déclarer solidaire de ces marches) avec la volonté de remettre en question notre mode de consommation, et d’un autre proposer aux citoyens (ou plus exactement leur imposer dans l’espace public, vu qu’ils n’ont pas le choix) des informations influençant fortement leur mode de vie. L’exemple le plus frappant est cette surreprésentation de messages en faveur de la voiture, alors qu’à Bruxelles de plus en plus d’autorités et de citoyens veulent réduire la place et l’utilisation des autos en ville. Nous devons remettre en cause cette poussée continue à la consommation pour la consommation. Autre argument, économiste de formation, je me bats pour que des coopératives et des commerces de proximité prennent une place en ville. Mais ce type de publicité ne donne la possibilité de se faire connaître qu’à des grands groupes ou sociétés. Les entreprises bruxelloises n’y ont pas accès.
Ne faut-il pas s’inquiéter de l’impact économique et financier - notamment sur les budgets communaux - de mesures limitatives ?
Ce type de publicité ne rapporte quasi rien aux caisses publiques. Prenons l’exemple de la commune d’Etterbeek. Sur un budget communal annuel de plus de 100 millions d’euros, la publicité d’affichage (pas celle via les boîtes aux lettres) ne rapporte que quelque 80 000 euros, soit 0,07 % des recettes pour la commune. Il faut arrêter de dire que la publicité urbaine finance le service public. Elle profite avant tout aux deux grands acteurs internationaux que sont JCDecaux et Clear Channel.
Quel est le lien entre ces acteurs et ce Règlement régional d’urbanisme ?
Ces professionnels de la publicité urbaine négocient avec les communes pour obtenir des permis d’urbanisme afin de placer leurs panneaux. Et comme le nouveau RRU qui encadre ces demandes d’urbanisme sera beaucoup plus limitatif, ils s’inquiètent.
Entretien : Thierry Boutte
Ce que dit le projet de modification du RRU
Nouveautés. Si la limitation de l’affichage publicitaire ne figure pas explicitement dans les grands axes du projet de modification du Règlement régional urbain (RRU), certains éléments n’ont pas manqué de faire grincer les dents les annonceurs. Surtout quand il s’agit de "réglementer la présence de publicités et enseignes afin d’éviter qu’elles ne nuisent au paysage urbain", ou d’"éviter les nuisances lumineuses et sonores générées par les publicités et enseignes à proximité des logements".
Surtout, l’environnement et le développement durable figurent dans les objectifs principaux du règlement, "le développement durable et les questions environnementales" ayant été "intégrés à de nombreux endroits dans le projet de modification du RRU". Un engagement en faveur de l’environnement qui n’épargne d’ailleurs pas les annonceurs puisque la Région cherchera désormais à "éviter les nuisances lumineuses et sonores générées par les publicités et enseignes à proximité des zones naturelles".
Non selon Karim Debbah, media manager à l’Union belge des annonceurs (UBA)

C’est sur le territoire de la Région bruxelloise que le marché publicitaire est le plus important. Un changement de règlement peut engendrer des procédures lourdes et chères. Il aurait été judicieux de consulter les acteurs du secteur pour plus d’efficacité.
Le projet de révision du règlement régional d’urbanisme (RRU) envisage de juguler l’affichage public en Région bruxelloise. Entre autres, il s’agit de restreindre l’affichage autour des écoles et la réduction de la taille de certains panneaux. Le secteur des annonceurs a-t-il été consulté ?
Il semble que des décisions ont été prises sans concertation. Ce qui se dit dans le secteur à propos de cela, c’est que cette réglementation est extrêmement draconienne. On a l’impression que le législateur fait cela dans son coin et le jette sur le marché au nom d’intentions certes louables, mais ensuite, les mises en pratique sont lourdes, compliquées, et parfois même impossibles à mettre en place.
C’est-à-dire ?
Les annonceurs n’affichent pas comme cela : au niveau communal il y a eu des accords. Donc s’il y a des accords au niveau communal et qu’après coup la Région dit : "non, parce que ci, parce que ça", bon courage !
Devant cette restriction des possibilités d’affichage, les annonceurs et les afficheurs crient à l’entrave à la liberté de commerce. Pourtant on ne les empêche pas de vendre leurs produits…
Si l’on considère que le commerce est une notion globale qui part de la communication sur la disponibilité d’un produit jusqu’à la vente effective à un consommateur, on peut parler d’entrave à la liberté de commerce à partir du moment où un des maillons de la chaîne est entravé. Ce qui peut étonner, c’est qu’il y a d’un côté la restriction quant à faire de la publicité sur certains médias alors qu’on en fait la promotion sur d’autres ! Si on veut être cohérent, il faut soit l’autoriser partout, soit l’interdire partout…
Mais il faut bien légiférer, non ?
Je veux bien entendre des arguments de type environnemental, sécuritaire, comme éviter de mettre d’immenses panneaux très lumineux à des carrefours stratégiques, ou supprimer des feux rouges et gêner la circulation. Mais quand le législateur décide en son sein de légiférer sur telle ou telle matière, si on ne vous met pas au courant ou qu’on ne vous demande pas votre avis, on est tout simplement mis au pied du mur. Nous ne pouvons que déplorer cette situation car en tant que spécialistes du secteur de la communication, on est là aussi pour servir et aider le législateur à agir en toute connaissance de cause.
Pourtant, en Belgique on a aussi une tradition d’autorégulation (lire ci-dessous) via des organismes tels que le Conseil de la publicité, qui permet d’agir avec des règles qui sont peut-être plus souples en matière de logistique. Mais une fois qu’une loi est votée et que les arrêtés d’application sont décidés, si on doit prendre des mesures, ce sont des procédures lourdes, qui coûtent cher. Dans un contexte d’autorégulation, si on s’aperçoit qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas pour telle ou telle raison, on peut revenir en arrière pour peaufiner ces aspects logistiques.
Ce qui pose également problème au secteur, c’est aussi le fait que la Région bruxelloise est la locomotive économique en matière de marché publicitaire…
Vous avez dix pourcents de la population belge qui habite la Région bruxelloise, plus tous les navetteurs qui viennent travailler, plus l’ensemble des touristes. Cela correspond à un marché de l’audience qui est extrêmement important…
Or, à quoi sert la publicité ? Elle aide à informer le public-cible en question de la mise en disponibilité d’un service ou d’un produit. L’annonceur cherche donc toujours à toucher son audience d’une manière ou d’une autre. C’est ainsi qu’on peut décrire la Région bruxelloise comme étant une locomotive pour le secteur de l’audience publicitaire en Belgique. N’oublions pas le caractère important du secteur au niveau national : d’après une étude de Deloitte il y a deux ans, le secteur représente 88 000 emplois en Belgique, et contribue pour 13 milliards au produit intérieur brut. C’est un secteur qui compte.
Entretien : Clément Boileau
Comment les annonceurs s'autorégulent-ils ?
1967. Au premier abord, il peut sembler étonnant que le secteur publicitaire dispose d’une structure visant à son autorégulation. C’est pourtant vrai : c’est en 1967 qu’a été créé le Conseil de la publicité, qui rassemble l’ensemble des métiers de la communication. Quel est son rôle ? "La valorisation de l’autodiscipline en renforçant notamment la crédibilité et l’efficacité du Jury d’éthique publicitaire (JEP), son organe d’autodiscipline."
Éthique. Cet organe indépendant, composé à parts égales de membres du secteur publicitaire et de la société civile, est censé s’assurer que la publicité en Belgique est "loyale, véridique et socialement responsable". Le jury est chargé de recueillir et d’évaluer d’éventuelles plaintes à "l’encontre d’un contenu publicitaire diffusé via les médias audiovisuels, la presse écrite, Internet, l’affichage, les folders et les supports publicitaires sur les points de vente". "Une seule plainte suffit pour que le JEP traite un dossier", promet le Conseil de la publicité.