Étienne de Montety: “Emmanuel Macron n’a pas les lectures de son âge”
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Publié le 12-01-2020 à 09h00 - Mis à jour le 13-01-2020 à 09h08
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“La bibliothèque du général de Gaulle se trouve en pleine campagne […], dans un village qui depuis des siècles vit au rythme des labours, des fenaisons et de la chasse. Rien, dans les rues simples et tranquilles de Colombey-les-Deux-Églises, ne laisse soupçonner la présence d’un pareil trésor.” C’est par ces quelques lignes que l’ouvrage "Dans la bibliothèque de nos présidents", dirigé par Étienne de Montety, nous introduit au calme recueillement des lectures des présidents français. En ayant convoqué des proches de qui furent ou de qui sont les présidents, cet essai offre un regard inédit sur la force particulière de la littérature, la politique et le rapport qu’elle entretient avec les lettres. Car que disent des présidents leurs livres ? “Loin des poses politiques, du storytelling, phénomène de communication contemporain qui veut qu’une carrière politique s’accompagne d’un récit, leurs lectures parlent d’elles-mêmes, sans glose, elles révèlent l’histoire intime de chacun. Une bibliothèque est formée de strates géologiques qui racontent un homme.” Étienne de Montety dirige Le Figaro littéraire. Écrivain, il est l’auteur de plusieurs romans, dont La Route du salut et L’Amant noir, qui ont été primés. Entretien.
L'interview
L’ouvrage que vous avez dirigé témoigne du rapport très étroit qu’entretiennent les présidents français avec les livres et la littérature. Il évoque le temps qu’ils consacrent à la lecture malgré leurs agendas chargés, le soin avec lequel ils entourent leurs bibliothèques, la passion avec laquelle ils en parlent… Comment expliquer ce rapport si étroit ?
Cela se comprend en grande partie par l’Histoire de France, par la place que la littérature et les écrivains occupent en France depuis très longtemps. Cela donne à la littérature une sorte de statut un peu surnaturel dans la société française, une aura extraordinaire. Le lien a toujours été très fort entre le pouvoir et les lettres. Les rois, déjà, étaient fascinés par le savoir. C’est ainsi que Bossuet, par exemple, se retrouvera précepteur de Louis de France ; c’est ainsi que Ronsard, poète bucolique, consacrera une ode au Dauphin.
Ce rapport est-il propre à la France ?
Je pense qu’il existe un esprit européen qui fait que le pouvoir n’est jamais très éloigné du savoir qui lui apporte de la sagesse. Il m’a semblé, pour les présidents français, que le fait de lire et d’écrire leur permettait de gagner en profondeur par rapport à ce pouvoir finalement fugace et lié à une élection qui relève aussi du hasard. Plonger dans la littérature leur donne de s’enraciner dans une forme de pérennité.
Au-delà de la diversité de leurs goûts, on remarque en effet que tous les présidents cherchent un souffle, une inspiration à travers leurs lectures.
Oui, et une sorte de légitimité, bien qu’il y ait eu des exceptions. On a bien senti que Nicolas Sarkozy et François Hollande pouvaient s’affranchir de la littérature, alors que leurs prédécesseurs s’honoraient toujours d’amitiés entretenues avec des écrivains. François Mitterrand, durant ses campagnes présidentielles, s’entourait de comités de soutiens composés de grands auteurs. Et on se souvient de Georges Pompidou lors d’une conférence de presse qui, pour échapper à une question délicate, se mit à citer des vers de Paul Eluard. On était là dans la quintessence du président lettré. Et puis, il y eut un temps durant lequel on a pensé que ce n’était plus nécessaire, que cela avait moins d’importance, que les Français attendaient surtout de l’efficacité, de la rapidité, de la précision technique. Nicolas Sarkozy et François Hollande semblaient donc s’affranchir, dans le cadre de leur communication, de la littérature. Cela ne les a cependant pas empêchés d’entretenir un rapport personnel soutenu avec les livres.
À lire votre dernier chapitre, Emmanuel Macron marque à cet égard un nouveau tournant…
Macron, en voulant faire connaître sa proximité avec le philosophe Paul Ricoeur et son rapport à la lecture, souhaite rendre une importance symbolique au livre dans les allées du pouvoir. C’est une surprise, une restauration incroyable de la part d’un homme jeune. Ce qui m’a beaucoup frappé en le rencontrant, c’est que ce rapport aux lettres est très pensé, il l’a mûri toute sa vie. On voit également que son épouse, ses parents, sa grand-mère l’ont installé dans une culture très classique. Il fait d’ailleurs preuve d’une culture classique qui n’est pas forcément celle d’un homme de son âge. Il n’a pas les lectures de son âge. Il a les qualités de son âge et l’énergie de son jeune âge, mais il bénéficie d’une culture classique qui le précède.
Est-elle pour quelque chose dans ce qu’il est ?
Sûrement. Je ne parle pas de son aventure politique, mais de sa réflexion sur le pouvoir, et de la manière dont il l’exerce. En France, il déconcerte parfois par un certain vocabulaire, ou par des références à des auteurs et à des lectures particulières. Pour lui, dire aux Français que nous partageons une culture commune, c’est les prendre au sérieux. Il m’a confirmé qu’un responsable politique n’avait pas forcément à parler le langage de tout le monde. Faire preuve d’un langage soutenu est pour lui le signe du respect dû à chacun.
Est-ce aussi le signe que les Français restent un peuple littéraire ?
C’est un peuple qui sait qu’il l’est, ou l’a été. Les Français se souviennent par exemple que Voltaire a joué un rôle important dans l’Histoire de leur pays, et cela explique également l’extraordinaire popularité dont bénéficiait un Jean d’Ormesson. Jean d’Ormesson incarnait par sa personne, son brio, son intelligence, son charme, la figure de l’écrivain hexagonal telle que les Français se la représentent : un homme qui peut parler de tout, qui a de la conversation, de la culture, et qui apporte ce surcroît de sens aux sujets qu’il aborde. Jean d’Ormesson s’est emparé du rôle de l’écrivain au cœur de la société qui était vacant et qui n’a d’ailleurs été repris par personne. Ceci explique le monde qu’il y avait à son enterrement. Par la popularité dont ils l’entouraient, les Français voulaient dire que même s’ils ne lisent plus forcément beaucoup, ils gardent un rapport particulier avec la figure de l’écrivain.
Certaines références citées par les présidents, certaines de leurs préférences vous ont-elles surpris ?
On découvre qu’ils partagent une culture commune, et que la plupart des auteurs qu’ils citent sont des auteurs du passé. Il est frappant de voir aussi qu’il y a, pour à peu près tous, un ancrage dans l’Histoire en tant que telle. Pour tous les présidents, la lecture constitue un amarrage au passé.
Ils vont tous puiser au même fonds. On ne peut donc pas distinguer, à travers leurs goûts, un patrimoine littéraire de droite ou de gauche ?
Bien sûr, un François Hollande citera davantage Jean Jaurès ou Léon Blum que Giscard. Mais on remarque dans le même temps que François Mitterrand, élu à gauche, était fasciné par des écrivains de droite voire d’extrême droite. Il avait dans sa bibliothèque des éditions rares et reliées de Barrès ou de Jacques Chardonne. Et il n’y avait pas Zola… Cela est dû à son histoire personnelle. Homme de la province française, Mitterrand était à droite quand il avait 20 ans. Il a ensuite évolué pour des raisons tactiques et politiques, mais il a gardé un tempérament de droite dans un parti de gauche.
Malgré leurs agendas, les présidents se donnent du temps pour lire. Que cela dit-il de la force de la littérature ?
Pour eux, lire c’est s’échapper de cet agenda effréné qui leur est imposé. Ils retrouvent dans la lecture le temps de la réflexion. Le livre papier, par rapport à internet qui est le monde du mouvement et de la fluidité, permet en effet une véritable méditation. Le livre dématérialisé ne permet pas, comme a insisté Emmanuel Macron, la rencontre entre un esprit et un texte. Être reclus entre les quatre bords d’une page comme dans une cellule de prisonnier, de marin ou de moine, c’est faire l’expérience, en liberté, d’un rapport fort avec un texte. Je pense que pour les présidents qui passent d’une réunion à l’autre, d’un sujet technique à un autre, ce temps de la lecture, de la méditation, est pour eux un moment de bonheur et d’enrichissement dont ils connaissent la nécessité.
Vous dirigez Le Figaro littéraire. Face à ce qu’est et ce que sera la littérature du XXIe siècle, faites-vous preuve de curiosité, comme Macron, ou de nostalgie à l’instar de Giscard ?
Nous bénéficions en France d’une production littéraire abondante dont la qualité sera jugée par nos descendants. J’observe une présence de la littérature du réel, de textes qui naissent à partir de l’actualité, d’expériences fortes. Mais ce qui est important, c’est que les auteurs ne renoncent pas à l’apport de la littérature, et que la production éditoriale ne se transforme pas simplement en témoignages. Les témoignages peuvent être émouvants, prenants, mais la littérature quand elle s’empare d’une expérience humaine doit apporter une sorte de distanciation entre le sujet et son auteur. Jean-Paul Kauffmann, qui est un écrivain que j’aime beaucoup et qui tient une place importante, a la caractéristique d’avoir été otage trois ans au Liban. Il n’a pourtant rédigé aucun témoignage sur cette expérience. En revanche, tous ses livres traduisent une sorte de réclusion intérieure – je pense à La chambre noire de Longwood qui raconte l’exil de Napoléon à Sainte-Hélène – ou de claustrophobie. C’est pour évoquer cette dernière qu’il a écrit La lutte avec l’ange, un livre sur l’église Saint-Sulpice à Paris.
Son livre
Étienne de Montety, Dans la bibliothèque de nos président : ce qu'ils lisent et relisent. Aux éditions Tallandier, 2020, 190 pp, env. 17,9 euros

Quelques extraits
“La vérité [d’un] homme, à en croire Malraux, est dans ce qu’il cache : ce que fut sa formation intellectuelle, et plus profondément encore, ce que furent, ce que sont ses lectures : celles de son enfance, de ses études, celles de ses auteurs fétiches ; en un mot : la vérité est dans sa bibliothèque.”
“[J] amais il ne lit avec un crayon […]. De Gaulle reste concentré dans sa lecture. [Quand elle] est achevée, ‘il ôtait ses lunettes puis passait la main sur son visage en allant du front vers le menton, puis à l’inverse, comme s’il voulait en effacer une certaine tension.’”
“Chez Nicolas Sarkozy, toute lecture est d’abord une lecture active et dynamique, ce qui lui fait dire qu’il serait bien incapable de lire couché car il lit toujours à plat, un feutre ou un stylo à la main, et engage ainsi une sorte de corps-à-corps avec le livre […].”
Macron : “Je n’arrive pas vraiment à lire sur une tablette […]. Lire, c’est se perdre. Ce n’est pas linéaire. Prenez une encyclopédie, les dictionnaires, le seul plaisir, c’est de s’y perdre. Chercher un mot à la mauvaise page, en trouver un autre, qui n’a vécu ça ? […] Avec un logiciel qui marche bien, on ira tout de suite à l’hypertexte, soit ; mais ça va trop vite. Quand je lis ou quand j’écris, j’ai besoin de ce temps où l’on se perd ; et d’ailleurs les connexions les plus fortes se font dans ce moment-là […] Le numérique a quelque chose de trop lisse.”