Doit-on fêter Noël, et donc se déconfiner ? Quatre experts anticipent les scénarios possibles pour cette fin d’année
Coronavirus : pour ou contre le maintien des fêtes ? Avec à la clé donc un possible déconfinement? Des experts de l’UCLouvain répondent. Ces scientifiques issus de divers domaines d’expertise anticipent les scénarios possibles pour cette fin d’année.
- Publié le 26-11-2020 à 16h20
- Mis à jour le 27-11-2020 à 08h19
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Une récente étude de l’UAntwerpen indique qu’un Belge sur trois ne compte pas fêter Noël en cercle très restreint. Quel est l’avis des scientifiques à ce sujet ? L’UCLouvain a rassemblé ses experts afin de répondre à la question : peut-on se déconfiner et fêter Noël dans le contexte actuel ? Et si oui, doit-on s’attendre à une troisième vague du Covid-19 ? Ce jeudi, lors d’un déjeuner de presse virtuel, ils ont donné leur avis à partir de leur domaine d’expertise. Une manière d’anticiper – ou non – les scénarios de déconfinement possibles pour cette fin d’année. La Libre a interrogé quatre de ces spécialistes.
1) Françoise Van Haeperen, historienne spécialiste de l'Antiquité
Non au vu des précédentes célébrations en temps d’épidémie
Que nous dit l’histoire sur les conséquences de festivités ou des célébrations de Noël en temps d’épidémie ?
L’histoire semble se répéter. Remontons dans le temps. Pour faire face à la première épidémie connue, appelée la peste d’Athènes (430 av. J-C), on s’adresse aux dieux, ce qui provoque de grands rassemblements qui, indirectement, vont contribuer à la propagation de l’épidémie. Durant la grande peste qui frappe l’Occident au milieu du XIVe siècle, on n’a pas encore conscience des mécanismes de la contagion. Des cérémonies religieuses sont décrétées pour faire fléchir la colère divine, l’épidémie étant perçue comme un fléau de Dieu. Les processions, célébrations et autres réunions participent là aussi à répandre le mal. Certains s’en rendent compte puisqu’à Avignon, le pape Clément VI va interdire alors les rassemblements, signe d’un début de prise de conscience.
Plus proche de nous, il y a eu la grippe espagnole, une souche H1N1.
Une première vague de la pandémie de la grippe espagnole s’estompe en août 1918 pour rebondir à l’automne 1918. À la fin de novembre 18, cette deuxième vague s’estompe et les esprits sont ravis, en Belgique comme en France : on a battu les Allemands, on a gagné contre la grippe. Les fêtes de Noël 1918 sont célébrées dans une allégresse assumée. Et une troisième vague de la grippe apparaît en janvier 1919.
En 1968-69, la pandémie de grippe de Hong Kong a tué un million de personnes dans le monde. Pourquoi le monde politique, économique et médiatique d’alors n’en ont guère fait état ?
Il n’est pas simple d’expliquer cette relative indifférence. Des confrères avancent différents facteurs à savoir qu’alors on mourrait plus, on mourrait plus jeune et la mort faisait davantage partie de l’environnement des gens. Quelque part, ces morts n’ont pas énormément choqué. Deuxième élément, il n’existait pas de centralisation des chiffres comme les annonce aujourd’hui quotidiennement Sciensano. Ce n’est qu’a postériori qu’on s’est rendu compte de la surmortalité de cette grippe.
Entretien : T.Bo
2) Niko Speybroeck, épidémiologiste
Non, car une relâche pourrait faire tripler les hospitalisations
Faut-il selon vous célébrer Noël cette année ?
En tant qu’épidémiologiste, je ne donne pas d’avis en faveur ou en défaveur des fêtes de Noël. Je préfère informer la population sur les conséquences possibles d’une telle célébration sur l’augmentation de la propagation du virus. Je travaille avec des modèles de simulation et de prédiction qui nous indiquent que relâcher tous nos efforts pour célébrer Noël, même un jour ou deux jours pourrait faire tripler les hospitalisations après Noël pour ensuite maintenir ce niveau sur deux à trois semaines. Fêter Noël risque donc de détruire les efforts de plusieurs semaines en un ou deux jours.
Et si la fête se fait en petit comité ?
Ces prédictions viennent avec des incertitudes, bien sûr. L’effet d’un relâchement limité, comme célébrer Noël avec deux contacts rapprochés supplémentaires, sera peut-être moins grave que si on relâche tout, mais n’oublions pas la réaction psychologique de la population.
Qu’entendez-vous par là ?
Pourrons-nous garantir qu’un tel assouplissement d’un ou de deux contacts supplémentaires ne sera pas interprété par la population comme un grand feu vert ? N’oublions pas non plus la fête du Nouvel an. On sait que la période d’incubation du virus est d’environ six jours. Donc, les personnes qui seront infectées lors de la fête de Noël propageront le virus six jours plus tard, lors du Nouvel an.
Que conseillez-vous ?
Sauver Noël à tout prix demandera des efforts supplémentaires de la part de la population. Il s’agira d’un choix politique qui demandera un arbitrage délicat pour faire la balance entre plusieurs enjeux. Pour fêter Noël, il existe aussi des options moins risquées, comme organiser un dîner par visioconférence ou prévoir une balade hivernale. Il faudra être créatif. L’espoir d’un vaccin efficace en 2021 devrait nous encourager à maintenir nos efforts en diminuant nos contacts. Personnellement, j’estime qu’il faut respecter les hôpitaux et le personnel soignant.
Entretien : L.V.
3) Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue, spécialiste des questions migratoires
Oui, fêtons Noël à l’image des familles transnationales
Devons-nous célébrer Noël cette année ? Oui, évidemment. Mais la question est de savoir comment. Nous ne célébrerons certainement pas Noël comme les années précédentes. Il faudra tenir compte des mesures sanitaires, du contexte de pandémie afin d’inventer d’autres manières de se retrouver. Il serait fou, en cette période de fin d’année, symbole de solidarité, de ne rien faire.
Mais alors, comment s’y prendre pour célébrer sans risquer de faire circuler le virus ?
En 2020, nous avons pris l’habitude d’établir nos relations à distance. Il existe tout un tas de logiciels qui nous permettent de rester en contact. Nous devrions nous inspirer des familles transnationales ou migrantes qui, pour célébrer Noël, cuisinent le même repas et dînent ensemble, à distance, en se parlant via un logiciel. Et puis, il vaut parfois mieux être moins à un repas de Noël mais engager de véritables discussions, profondes et bénéfiques à la relation, que de se retrouver en très grand groupe. Pour Noël cette année, les familles pourraient aussi se retrouver lors d’une promenade, en respectant bien sûr les gestes barrières. Il faut être créatif.
Bouleverser ainsi la fête de Noël ne mettrait-il pas à mal sa symbolique, qui est celle du partage ?
Noël peut, dans un contexte sanitaire strict, rester une fête de retrouvailles, un véritable moment qualitatif. Cette fête de fin d’année est très importante pour un bon nombre de personnes, qu’elles soient chrétiennes pratiquantes ou laïques. L’interdire totalement serait une erreur car la population se débrouillerait pour la célébrer coûte que coûte. Et puis, une telle mesure ferait passer un message de contrôle et de jugement.
Je tiens également à ajouter que ce Noël 2020, sera peut-être éprouvant pour bien des familles, mais il le sera encore plus pour les personnes qui sont déjà seules toute l’année et pour les familles pauvres ou en situation précaire. On évoque déjà les cadeaux et la nourriture des fêtes mais ce qui inquiète ces personnes ce n’est pas de savoir à combien elles pourront se retrouver cette année, mais bien de savoir si elles pourront offrir quelque chose de décent à leurs proches.
Entretien : L.V.
4) Mikael Petitjean, professeur à la Louvain School of Management de l'UCLouvain
Oui, il en va de la survie des petits commerces
Selon l’économiste, doit-on, dans le contexte actuel, fêter Noël ? L’économiste ne peut s’empêcher de penser à la consommation et à la croissance économique. Personne ne peut nier l’importance de l’activité économique pour financer les services publics : sans économie florissante, il est difficile de financer la santé ou l’éducation. L’inverse est aussi vrai : sans une population active en bonne santé, il est difficile de faire fonctionner l’économie et de financer les services publics. Le choix d’autoriser les fêtes de fin d’année est donc cornélien car les enjeux sont à la fois économiques et sanitaires.
Quels enjeux économiques ?
Il en va de la survie des petits commerces et la population est schizophrène sur ce plan : elle se plaint de la disparition des petits commerces et semble approuver les mesures de confinement strictes à leur égard, qui bénéficient aux grandes multinationales qu’elle déclare ne pas aimer. Elle semble également oublier que le commerçant ne peut pas compter sur un salaire ou une indemnité fixe qui tombe à la fin du mois. Plus déroutant est l’absence d’étude scientifique sérieuse qui démontrerait que les petits commerces, hormis les bars et cafétérias, sont des foyers de contagion plus importants que les grandes surfaces.
Faut-il maintenir les mesures de prohibition ?
Elles fonctionnent rarement et interdire les réunions familiales de fin d’année est une décision d’autant plus contreproductive que la défiance est forte. Ce seront les restrictions et les mesures de distanciation sociale qui ne seront même pas prises en compte. Or, cette défiance est malheureusement très forte en France et en Belgique. Ce n’est pas tant l’effondrement du capital économique qui me préoccupe ; la destruction créatrice va fonctionner, douloureusement certes, mais elle va permettre de recréer de l’activité, souvent de manière plus efficace qu’auparavant. C’est surtout l’effondrement du capital confiance qui m’inquiète profondément.
Entretien : T.Bo