Pourquoi la moustache fait-elle son retour chez les jeunes hommes ?
Sous le masque (chirurgical), la moustache. Elle fait son retour chez les garçons âgés de moins de 30 ans. Simple effet de mode ou volonté de réaffirmer leur masculinité face aux mouvements féministes ? Tentative de réponse.
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Publié le 25-03-2022 à 10h00 - Mis à jour le 25-03-2022 à 10h01
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Et vous, l’avez-vous remarqué ? La fin du port du masque obligatoire dans la majeure partie de l’espace public belge a cela de réjouissant qu’elle nous fait redécouvrir avec curiosité ce qu’il se passe sur la partie inférieure du visage de nos compatriotes. Domptée, taillée, soignée… la moustache fait son retour chez les hommes. Ils sont jeunes, le plus souvent âgés de moins de 30 ans. Est-ce un simple effet de mode qui repartira aussi vite qu’il est arrivé ? Ou peut-on tirer la réflexion un poil plus loin ? À l’heure où le discours féministe monte en puissance dans nos sociétés occidentales, faut-il y voir une volonté affichée dans le chef des garçons de réaffirmer leur masculinité ?
Ce ne sont ici que des hypothèses et nous n'avons pas mené une thèse de doctorat sur le système pileux de la gent masculine occidentale (cela aurait pourtant tout son sens !). "Ce qui est en tout cas certain, observe le sociologue français Jean-Pascal Daloz, c'est que le port de la moustache constitue en soi une affirmation." L'intéressé, spécialiste des élites et de la distinction sociale, est l'auteur de l'ouvrage Expressions de supériorité paru en 2021 aux éditions Max Milo. "Est-ce de la provocation ? C'est peut-être risqué face à un discours féministe qui n'aime pas trop l'affirmation virile", s'interroge-t-il d'emblée.
Ce qui est également avéré, c'est que les jeunes hommes qui font le choix de porter la moustache ne le font pas n'importe comment. " Il y a un certain raffinement. Bien sûr, les progrès techniques permettent aujourd'hui de tailler sa moustache au millimètre près, mais on sent très bien qu'il y a cette volonté de domestiquer son poil. Il n'est pas question de le laisser à l'état sauvage. Il doit être parfaitement coupé, ordonné, comme un gazon. C'est le trimming, comme on dit en anglais."
Une tradition ou une mode
Le court, en référence à l’ordre et au contrôle social. Le long, synonyme de saleté et de marginalité. Des anthropologues ont tenté de trouver des constantes dans les systèmes pileux, mais des contre-exemples ont toujours ponctué l’Histoire. La moustache renvoie en fait à plusieurs imaginaires collectifs possibles : le Gaulois, l’aristocrate, le bourgeois, le militaire, le pilote de la Royal Air Force, l’ouvrier de l’usine Fiat, le "gay"… Charlie Chaplin, Hercule Poirot, Clark Gable.
Pour Jean-Pascal Daloz, il y a lieu de distinguer les civilisations du monde où il est attendu de porter la moustache - pour des raisons identitaires et de tradition - des autres. "La plupart des Mexicains portent une moustache. En Amérique latine, la moustache est le signal du passage à l'âge adulte. En Inde, un Sikh porte forcément la barbe. Il ne se pose pas la question. Dans beaucoup de civilisations du monde non occidental, il est attendu que les hommes aient une barbe ou une moustache ou, au contraire, qu'ils soient glabres. Cela ne change pas", épingle le sociologue. A contrario, la figure masculine a connu en Occident de nombreuses fluctuations au fil des siècles. Les favoris au XIXe siècle, la barbe au début du XXe siècle, le visage glabre après la Seconde Guerre mondiale… le code occidental est avant tout un phénomène de mode et, inévitablement aussi, un code social. Ainsi, à titre d'exemple, les garçons de café ont revendiqué au début du XXe siècle le droit de porter la moustache qui leur était interdit par crainte (émanant de leurs patrons) qu'ils ne s'affirment trop. De manière générale, les domestiques n'étaient pas autorisés à porter la moustache, à quelques exceptions près comme le palefrenier.
"Maudite soit votre moustache !"
Dans l’Histoire, le port de la moustache - celle qui agrémente délicatement le visage - a aussi été utilisé comme un signe de ralliement par la communauté homosexuelle. Le look du chanteur mythique du groupe Queen, Freddie Mercury, est emblématique de ce phénomène. Dans le monde du sport, la pilosité est fréquemment associée à des rituels. Ainsi, il n’est pas rare de voir des sportifs faire "la grève du rasoir" pour militer en faveur d’une cause ou en guise de porte-bonheur.

En politique, la moustache symbolise le pouvoir et la puissance. Des dictateurs sud-américains qui affichent une moustache proéminente en passant par Hitler ou Staline… les exemples ne manquent pas. Anecdote illustrant son importance : en 2003, un conseiller de Saddam Hussein avait insulté le ministre des Affaires étrangères du Koweït en déclarant, texto : "Maudite soit votre moustache !"
Ceci explique d’ailleurs pourquoi la moustache peut susciter dans certains cas un sentiment de répulsion et de rejet, dès lors qu’elle est associée à une personnalité ou à une communauté. Ce périple dans l’Histoire permet ainsi de mieux saisir ce qui peut inciter les jeunes hommes à porter la moustache en 2022.

Reste, enfin, à savoir comment elle est perçue par les femmes… Comme le dit un proverbe italien : "Un baiser sans moustache est comme un beefsteak sans moutarde."