Les Engagés se construisent-ils autour du vide?
Le mouvement politique Les Engagés, successeur du CDH, se réunit en congrès, samedi matin, à Liège pour avaliser son texte fondateur. Ce dernier divise ses adhérents. Face à face entre François-Xavier Blanpain, ancien candidat à la présidence du parti et Laurent de Briey, pilote de la refondation du CDH.
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- Publié le 13-05-2022 à 19h12
- Mis à jour le 16-05-2022 à 14h29
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Le contexte :
Le mouvement politique Les Engagés, successeur du CDH, se réunit en congrès, samedi matin, à Liège pour avaliser son manifeste, ses statuts et sa “charte introductive”. L’événement marquera l’étape finale de la création du parti. Un projet de manifeste, texte fondateur de plus de 150 pages, avait été présenté par le président Maxime Prévot lors du congrès de lancement des Engagés, le 12 mars, à Bruxelles.
Oui, pour François-Xavier Blanpain, adhérent aux Engagés et ancien candidat à la présidence du parti (1)
(Opinion)
Le projet de Manifeste de Les Engagés est mis aux voix ce samedi 14 mai. Depuis la mi-mars, l'avant-projet préparé par la direction du parti a été retravaillé : plus de 800 modifications, suppressions ou ajouts ont été proposés, filtrés puis arbitrés par une très opaque 'commission mixte' (en théorie, une moitié d'élus et une moitié de citoyens, en fait, les membres du bureau politique, des collaborateurs et des militants motivés, triés sur le volet). Elle a travaillé au finish – 14 heures de huis-clos – pour trancher l'essentiel et réserver symboliquement une poignée d'amendements indécis, qui seront donc arbitrés ce samedi, en séance.
Malgré ce travail considérable, le résultat déçoit. Pourquoi ?
Il ne faut pas chercher la cause dans les deux ans de brainstorming ouvert d'Il fera beau demain. Lancée au crépuscule du CDH, l'opération a créé un espace salutaire pour écrire un nouveau projet politique. Réduit par le 'distanciel' de rigueur, cet espace a néanmoins été investi par des citoyens curieux et par une nouvelle génération. Trop souvent bridé par obsession de la faisabilité (budgétaire, juridique, pratique, politique), le parti s'autorisait de nouvelles utopies. Il en est ressorti un recueil de propositions originales, innovantes, audacieuses, détonantes, rafraîchissantes. Restait à mettre tout cela en musique dans une partition harmonieuse et lisible.
Comme un gel tardif compromet la promesse d’un beau fruit, la reprise en main de ce réservoir d’idées par la direction du parti pourrait gâcher le renouveau. Les propositions, brutes de décoffrage, ont été mises bout à bout dans un assemblage inégal où le principal se confond avec l’accessoire, l’urgent avec le futile. Le sens de la ‘nuance’ désormais revendiqué comme marque de fabrique s’y abîme en improbables justifications. Des longueurs verbeuses alternent avec des formules lapidaires et caricaturales. Le tout retombe dans cette indécision chèvrechoutiste qui a tant érodé le parti centriste. Cette faiblesse n'est pas que formelle. Elle se double de sérieux problèmes de fond. Quelques exemples :
L'engagement pour le climat et la biodiversité vient en premier mais il est faible : on attendait de l'action, on aura une 'convention'. Pire, le texte fait mentir cette promesse, par exemple lorsqu'il crée par ailleurs de puissants incitants fiscaux au profit du secteur immobilier et de ceux qui le financent, tout en présentant un très grand angle mort sur l'aménagement du territoire, qui est pourtant un levier évident de la lutte contre le dérèglement climatique. Quant à la mobilité, elle n'est abordée, à l'autre bout du texte, que sous l'angle des libertés individuelles.
Le projet présente la participation par le travail, le bénévolat, l'aide aux proches comme un important levier de cohésion sociale, à juste titre. En même temps, il hésite entre deux conceptions antagonistes de l'autonomie de la personne et du rôle de l'État, au risque de dynamiter les solidarités. Ainsi, en corollaire d'une nouvelle allocation pas vraiment universelle, le texte veut instaurer une sorte de contrôle de l'« utilité sociale » des bénéficiaires, par « coup de sonde, comme en matière fiscale » !
Le nouveau 'modèle socioéconomique' des Engagés se partage entre générosité (pour les réfugiés) et restrictions (pour les chômeurs et allocataires sociaux), entre décroissance, découplage (une croissance mais sans CO2) et frugalité, entre emploi et travail, au prix de bricolages fiscaux et de gadgets de conception approximative.
Dans les matières éthiques, le projet marque des ouvertures attendues mais renonce en même temps à toute position commune. Dans une clause un peu discrète, au libellé bancal, il s'en remet en effet à la conscience intime et individuelle des élus qui recouvreront, ici seulement, leur « liberté de penser et de voter » (sic). Sur tous les sujets qui soulèvent de grands enjeux d'humanité, la cohérence et l'efficacité politique imposent de garder des positions révisées si nécessaire mais communes. Cette clause d'« abdication collective » sur tous les dossiers éthiques (quand on y réfléchit, c'est large !) et bioéthiques constitue donc une bombe à retardement pour la cohésion du mouvement.
Le texte se voulait clair sur la neutralité de l'État et la place des religions et philosophie dans l'espace public et à l'école. Résultat ? Il reste très ambigu et se débat avec une série de concepts et de justifications alambiquées. Il finit par se contredire dans une formule très débattue qui veut baliser la liberté de conscience tout en déclarant par ailleurs, à juste titre, qu'être libre, c'est également s'opposer à ce que l'on croit injuste, s'indigner face aux règles absurdes, aux lois incohérentes.
Mais d’où viennent donc les contradictions et les faiblesses structurelles d’un texte qui s’essouffle avant même d’avoir commencé sa course politique ?
L'explication se trouve dans l'option prise, dès 2019, par la direction du parti, pour la kénocratie. Il s'agit d'un 'modèle' de gouvernance politique basée sur le… vide (kenos en grec) idéologique. En pratique, il se traduit par la méthodologie de la 'boîte à idées' (désormais numérisée), dénuée de source consistante d'inspiration, coupée de toute racine, de tout système de valeurs. On la remplit de toutes sortes de choses que l'on compile ensuite dans un enrobage de déclarations un peu creuses. Eh oui, le vide… Le produit final est un drôle d'animal, une sorte de poule sans tête ni cœur mais qui continue à picorer, à droite, à gauche, au centre. Sans idée précise de sa destination. En première lecture, l'assemblage est hétéroclite mais il fait illusion. A l'analyse, le « modèle de société » est improbable. Il est aussi très écorné par de nombreux accents démagogiques et même populistes. C'est qu'on a voulu « coller aux aspirations » de divers groupes sociaux, chacun repartant avec sa petite promesse sous le bras.
S'avancer sur la scène politique avec une offre aussi fragile fait courir aux Engagés un risque politique. Remettre l'ouvrage sur le métier serait plus raisonnable. Et plus respectueux. Les options politiques à trancher, les valeurs fondamentales, les objectifs stratégiques, les références et le fil rouge (ou turquoise) de ce qui pourrait alors constituer un authentique manifeste seraient ainsi l'enjeu du renouvellement des instances, de la présidence en particulier. Il est annoncé pour les prochaines semaines. Les Engagés, oui mais au nom de quoi ? Voilà la question qui serait posée aux candidats.
(1) François-Xavier Blanpain est adhérent au mouvement, ancien directeur de cabinet au CDH et candidat à la présidence du parti en 2019.
Non, pour Laurent de Briey, philosophe et pilote de la refondation du CDH
(Entretien : Alice Dive)
Philosophe, Laurent de Briey est celui qui a été chargé par le président Maxime Prévot de faire disparaître le CDH. C'est lui qui a piloté l'opération Il fera beau demain.
Que répondez-vous à ceux qui épinglent “l’opacité” de la commission mixte chargée de traiter les amendements au texte fondateur des Engagés ?
Je réponds que cette commission est on ne peut plus transparente : elle est composée des membres du Bureau politique de notre mouvement et d’une cinquantaine d’invités, ceux qui ont été les plus actifs au processus participatif et qui ont répondu présent. Nous avons veillé à ce qu’il y ait parmi eux au moins un tiers de femmes, qu’il y ait une représentation proportionnée entre Bruxelles et la Wallonie. Avec les instances classiques du mouvement et les citoyens, cette commission a donc une double légitimité. Elle me semble moins opaque qu’une commission qui serait restée strictement interne aux structures du parti.
Sur le fond, vos détracteurs dénoncent la “faiblesse” de l’engagement des Engagés pour le climat et la biodiversité. Comment comptez-vous agir ?
Il faut d’abord de l’adhésion, puis de l’action. Notre convention sur le climat et la biodiversité vise à créer cette adhésion. Mais si vous avez de l’action sans adhésion, alors vous aurez les Gilets jaunes. Pour nous, il n’est pas question d’avoir un État autoritaire qui impose des mesures environnementales fortes sans s’inquiéter de l’adhésion des citoyens. Auquel cas, on va tout droit dans le mur.
Par ailleurs, dans la philosophie des Engagés, il est très clair que cette transition écologique doit se faire en partenariat avec les acteurs privés et avec les citoyens. Nous l’assumons pleinement. Je ne voudrais pas accuser mes détracteurs d’être partisans d’une transition écologique à la chinoise mais j’ai un peu de mal à comprendre ce que l’on nous reproche ici. Que notre programme en la matière ne soit pas complet, qu’il manque de propositions sur l’aménagement du territoire, je veux bien l’entendre. Mais nous ne demandons pas mieux que des propositions complémentaires soient formulées dans le cadre de l’approbation du programme.
“Entre responsabilité et assistanat, le projet hésite entre deux conceptions antagonistes des relations État-Citoyens”, juge François-Xavier Blanpain, notamment sur le revenu de participation.
Il ne s’agit en aucun cas d’une hésitation de notre part. Le revenu de participation est un concept extrêmement précis : ce ne serait pas une allocation universelle au sens classique du terme même si l’objectif est que tout le monde en bénéficie.
La logique que nous privilégions est celle du don contre don, avec d’un côté l’investissement de l’État au travers de revenu de participation et de l’autre des citoyens qui ont à cœur de contribuer positivement à la société. C’est cette idée de participation qui se présente à la fois comme un droit et comme une responsabilité. Ce n’est donc pas une hésitation, ce sont les deux faces complémentaires d’une même logique. C’est le propre de notre philosophie.
Sur les questions éthiques, le texte fondateur des Engagés renvoie à la conscience intime des élus et à leur liberté de penser et de voter. Faut-il y voir une forme d’“abdication collective” dans le chef du mouvement ?
Ce n’est pas parce que l’on reconnaît une liberté de vote sur les matières éthiques dont on sait qu’elles touchent en effet à l’intime des mandataires que l’on renonce à des positions collectives. Il y aura des prises de position du mouvement mais on acceptera que nos mandataires, sur ces questions-là, ne soient pas tenus par la consigne de vote. Le seul qui n’aura sans doute pas la même liberté de conscience, ce sera le président car on s’attend forcément à ce qu’il porte la position du mouvement.
Plus fondamentalement, cette décision témoigne de notre volonté de s’affranchir très clairement d’une conviction religieuse. L’ensemble de notre processus n’est pas fondé sur une forme de certitude ou de croyance qui devrait être commune à l’ensemble des adhérents. Si le contraire du vide, c’est la certitude de la conviction religieuse, alors il y a un vide dans ce sens-là. Mais selon moi, ce n’est pas d’un vide dont il est ici question. Certainement pas. C’est un souci du bien commun, c’est une aspiration à construire un projet de société sur l’avenir plutôt que sur un héritage.