La science peut-elle prouver l’existence de Dieu ?
Oui, affirment haut et fort Olivier Bonnassies et Michel-Yves Bolloré dans leur ouvrage Dieu, la science les preuve. Leur thèse qui ne cesse de conquérir les lecteurs divise cependant la communauté scientifique. Voici un double entretien croisé et contradictoire entre Olivier Bonnassies et le philosophe des sciences Florian Laguens.
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- Publié le 14-10-2022 à 11h06
- Mis à jour le 14-10-2022 à 11h14
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Durant quatre siècles, de Copernic à Freud, "les découvertes scientifiques se sont accumulées", donnant à penser que l'existence de Dieu était une croyance irrationnelle. Désormais, "le balancier est reparti dans l'autre sens". Les découvertes de la relativité, de la mécanique quantique, de l'expansion de l'Univers, des multiples conditions qui permettent à la vie d'exister "sont venues dynamiter les certitudes" au point que l'on pourrait dire que les croyances dans le hasard ou dans le matérialisme sont devenues plus irrationnelles que la croyance en Dieu. Telle est la thèse d'Olivier Bonnassies (ancien élève - entre autres - de l'École polytechnique) et de l'ingénieur Michel-Yves Bolloré dans leur livre Dieu, la science, les preuves - L'aube d'une révolution (Guy Trédaniel éditeur). Vendu à 200 000 exemplaires, leur ouvrage est un phénomène médiatique et d'édition qui rassemble autant les foules lors de leurs multiples conférences qu'il divise scientifiques et catholiques. Alors qu'est publiée une édition collector, Olivier Bonnassies et Florian Laguens (maître de conférences en histoire et philosophie des sciences à l'IPC-Facultés Libres (Paris) et au collège des Bernardins) croisent leurs regards sur la question.
Olivier Bonnassies: "Oui, un faisceau de preuves rationnelles et concordantes permet de le conclure avec certitude"
Quelle est l’ambition de votre ouvrage ?
Dieu, la science, les preuves est une enquête qui porte sur une seule question, celle de l’existence de Dieu, avec un seul angle, la rationalité. Nous examinons 12 domaines indépendants en se demandant laquelle des deux thèses, « Dieu existe » ou son contraire, est la plus pertinente pour expliquer le monde réel. Nous regardons spécialement la science, car elle a été longtemps le principal discours structuré semblant plaider contre la thèse de l’existence de Dieu. Mais la science s’est retournée car les découvertes extraordinaires des 100 dernières années changent complètement la donne. Notre but a été de faire de tout cela un récit aussi exact et accessible que possible et cela a bien marché puisque nous avons vendu 200.000 exemplaires du livre, nous avons reçu beaucoup d’encouragements et nous sortons aujourd’hui une édition « Collector » introduite par le témoignage de 15 grandes personnalités internationales.
Qu’est-ce que vous entendez par "preuve" ?
Si on ouvre un dictionnaire ou si on lit le deuxième chapitre de notre livre on verra que, dans le monde réel et dans toutes les enquêtes, une "preuve" ce n'est pas un théorème ou une démonstration absolue, mais c'est un élément matériel ou intellectuel qui contribue à accréditer ou infirmer une thèse. Il y a une bonne définition des preuves de l'existence de Dieu dans le Catéchisme de l'Eglise catholique au n°31 : ce sont des "arguments convergents et convaincants qui conduisent à de vraies certitudes ». Car contrairement à ce qu'on peut croire parfois, la question de l'existence de Dieu n'est pas indéterminée ou indécidable. On peut conclure à partir de la lumière naturelle de la raison. Pie XII disait dans son fameux discours sur le "Fiat Lux" que "la science, la philosophie et la révélation collaborent harmonieusement" à parler du Créateur "parce que toutes trois sont instruments de vérité et rayons d'un même soleil". C'est très exactement la perspective de notre livre.
La science peut donc contribuer à prouver Dieu ?
Oui, et il faut arrêter avec les définitions restrictives de la science qui n’aurait pas le droit de faire ceci ou cela. En science, il n’y a pas que des théories et des modèles. Il y a également des intuitions physiques, des observations de plus en plus précises et des questionnements sur les causes, car le principe de causalité fait partie intégrante de la science et sans lui il n’y a plus de science. Il est faux de dire que la science ne peut rien dire de Dieu parce qu’elle s’occupe du matériel et que Dieu n’est pas matériel. On peut être confiné à un domaine et affirmer la nécessité de l'existence d'un au-delà de ce domaine, comme un sourd de naissance peut affirmer l’existence des sons à partir de l’analyse de son donné empirique. Ceux qui disent le contraire font une confusion en omettant de distinguer entre l’existence et l’essence. Il est faux aussi de dire que la science ne peut produire que de l’incertain et du provisoire. On ne reviendra jamais sur certaines découvertes comme l’héliocentrisme, l’expansion de l’Univers, la réalité du Big Bang dont on observe les effets après les avoir théorisés, modélisés et avoir fait des prévisions qui se sont révélées parfaitement exactes. Il faut en tirer toutes les conséquences. Notre livre cite des dizaines et des dizaines de grands scientifiques qui, à l’intérieur de leur pratique concrète de la science, dans un certain nombre de domaines, sont amenés naturellement à parler de Dieu, comme une hypothèse de plus en plus forte.
Quelles sont alors ces preuves ?
Aujourd’hui, la rationalité et de nombreuses disciplines scientifiques (pas seulement le Big Bang !) concourent à établir qu’il y a très certainement un début absolu au temps, à l’espace et à la matière et un réglage extrêmement fin des paramètres et constantes qui définissent l’Univers. Ces éléments sont nouveaux et ont entrainé naturellement des questionnements nouveaux. Car la cause qui est à l’origine de ces réglages de de cette émergence ne peut être que transcendante à notre Univers, non temporelle, non spatiale, non matérielle, elle a eu la puissance de tout créer et elle a aussi tout réglé pour que les atomes puissent exister et être stables, que les étoiles puissent brûler 10 milliards d’années, et que la vie complexe puisse se développer. Voilà pourquoi les athées sont aujourd’hui en grande difficulté en science. Et comme les autres preuves de l’existence de Dieu en philosophie (cf. notre chapitre : "Les preuves philosophiques contre-attaquent") et celles liées à la Révélation (Bible, Israël, Jésus, milliers de miracles, apparitions, saints, témoignages de rencontres avec Dieu) restent parfaitement valables et peuvent être rationnellement analysées, on aboutit à un faisceau de preuves fortes, rationnelles, concordantes et indépendantes qui permettent effectivement de conclure avec certitude, au-delà de tout doute raisonnable.
Ne faites-vous pas de Dieu un "bouche-trou" ? Certains phénomènes sont en effet inexpliqués, mais ne faut-il pas laisser ouverte la possibilité qu’il y ait plusieurs explications possibles ?
Cette objection du « God of the gaps » s'applique quand il y a un déficit de connaissance rempli indument par l'hypothèse de Dieu mais ici c’est l’inverse : la réflexion repose non sur un déficit de connaissance mais sur un excès de connaissance, une connaissance nouvelle, qui pose de nouvelles questions.
On vous accuse de concordisme, c'est-à-dire de confondre ce qui relève de la science et ce qui relève de la foi. Comment défendez-vous votre travail face à cette accusation ?
Notre livre ne parle pas de foi. La foi implique une adhésion de la volonté libre et nous en restons au niveau de l’intelligence. Quant au "concordisme", la Bible n’est certes pas un livre de science, d’histoire ou de philosophie mais la révélation n’est pas "hors sol" et elle ne pouvait permettre une vraie relation à Dieu qu’en libérant "en passant" de l’idolâtrie et des fausses compréhensions sur Dieu, le prochain et la nature, en opposition aux croyances de tous les autres peuples de l’Antiquité.
N’auriez-vous dû pas engager davantage la philosophie pour faire dialoguer le discours scientifique et le discours religieux ?
La philosophie, c’est le domaine du "logos", c’est-à-dire de la rationalité comme le rappelait très justement Claude Tresmontant. Certes, la rationalité est plus large que la science, mais elle inclut la science. Notre livre traite de tout cela. Il appelle à un large débat. Nos contradicteurs accepteront-ils ? Pour l’instant non et c’est dommage. Il faudrait qu’ils acceptent de prendre avec nous le temps d’aller au fond et de tout éclaircir. C’est important car comme vous le savez, la loi de Brandolini énonce que "la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des sottises est supérieure d’un ordre de grandeur à celle qui est nécessaire pour les produire".
Florian Laguens: "Non, la science ne peut rien prouver. Encore moins l’existence de Dieu"
Pourquoi la science ne pourra-t-elle jamais prouver l’existence de Dieu ?
Car la science ne peut rien prouver. Au XXe siècle, les philosophes des sciences ont bien mis en évidence que toute théorie scientifique n’est qu’une hypothèse provisoire en attente d’une autre qui la dépassera. Le propre de l’énoncé scientifique est qu’il est falsifiable, qu’il peut être contredit, assurait le philosophe Karl Popper : il n’y a donc pas de théorie éternelle. De plus, ajoutait-il, aucune expérience particulière ne peut prouver une loi générale. Quant à prouver l’existence de Dieu, la science le peut encore moins. Elle s’attache en effet au mesurable et à ce qui est accessible à l’expérience. Comment pourrait-elle approcher un être immatériel ?
Mais n’existe-t-il pas des conclusions définitives en sciences ? La sphéricité de la Terre, l’héliocentrisme ne sont-ils pas des certitudes ?
Que la Terre soit ronde, cela n’a rien d’une affirmation scientifique. Ce qui est de l’ordre de la science, c’est la description de la géométrie de la Terre, et on sait que celle-ci n’est pas exactement ronde ; qu’elle est un peu aplatie aux pôles. Certes, il y a du définitif en ce qui concerne des affirmations très vagues - on sait ainsi que la Terre est en mouvement -, mais de telles assertions n’ont aucun intérêt pour la théorie scientifique. Ce qui intéresse celle-ci est de savoir comment elle est en mouvement, en vertu de quels mécanismes… La science, ce n’est pas des phrases toutes faites, ce sont des modèles. Et parmi ces modèles, aucun n’est considéré à ce jour comme définitif ; tous sont appelés à être perfectionnés.
La science ne peut rien dire de Dieu, mais ne peut-elle pas prouver son existence de manière indirecte, négative (en montrant qu’il est la seule explication possible à ce que nous vivons) ?
La science ne pouvant trouver de cause à ce qu’il nous arrive, les auteurs en déduisent qu’il existe une cause extérieure à nous qui serait Dieu. Cette affirmation n’est en rien scientifique. Et elle oublie que cette cause extérieure pourrait être tout autre chose que Dieu.
Les auteurs n’utilisent cependant pas le mot "preuve" dans le sens d’un théorème ou d’une démonstration mathématique absolue, mais dans le sens d’un "élément matériel qui contribue à accréditer ou infirmer une thèse". Les preuves de l’existence de Dieu sont alors un ensemble d’arguments convergents et convaincants.
À force d’écouter les auteurs et de lire leur ouvrage, j’ai compris qu’ils ne se positionnaient pas comme des chercheurs, mais comme des avocats d’une cause. Dans le but de persuader, ils accumulent donc des citations et des arguments parfois indépendants les uns des autres. À mon sens, cela dessert en dernière analyse la rationalité. J’ajouterais que si preuves véritables de l’existence de Dieu il doit y avoir (ce que prétend l’Église), celles-ci relèvent davantage de la raison philosophique que de la raison scientifique. Malheureusement, le champ philosophique est peu convoqué, voire déprécié, dans leur livre. Or, la philosophie est un intermédiaire indispensable pour articuler le discours scientifique et le discours religieux.
Justement, l’Église appelle à articuler la foi et la raison. En quoi ce livre ne répondrait-il pas à cet appel ?
Cet ouvrage a deux mérites : celui d'insister sur le fait que la science ne prouve pas l'inexistence de Dieu (comme on pouvait le penser au XIXe), et que l'existence de Dieu est compatible avec le discours scientifique contemporain. Mais il va trop loin en donnant à penser que cette existence de Dieu serait comme prouvée par la science. Jean-Paul II, dans son encyclique Fides et ratio, invitait à faire usage de la philosophie pour délimiter le champ des différentes disciplines. Un peu comme les pièces d'un puzzle qui doivent être dessinées avec précision pour qu'elles puissent s'emboîter correctement. Cette distinction entre les différentes disciplines n'est pas suffisante dans l'ouvrage. Plutôt que d'articuler la foi et la raison, les auteurs superposent ces deux discours et amènent la science à affirmer ce sur quoi elle ne peut se prononcer.
Peut-on vraiment séparer ces deux discours ? De nombreux scientifiques sont amenés à parler de Dieu, et la Bible évoque aussi ce qui relève du monde réel.
La Bible évoque bien entendu le réel - celui de Jérusalem, qui existe effectivement. Mais elle ne se prononce pas sur l’espace-temps à quatre dimensions, sur le réglage fin de l’Univers, ni sur son expansion. Et de nouveau, je défends l’idée de séparation et de distinction entre les discours scientifiques et religieux, dans la droite ligne du prêtre et physicien Georges Lemaître (j’invite d’ailleurs les lecteurs à relire les excellents ouvrages du philosophe belge Dominique Lambert sur cette question). Ce que semblent oublier les auteurs, c’est que cette distinction n’interdit pas le dialogue entre les deux domaines. Mais ce dialogue, seule la philosophie le permet.