La paix en Ukraine est-elle possible ? Et si oui comment ?
Oui, la paix est possible déclare Bernard Adam, fondateur et ancien directeur du Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la sécurité (GRIP). Non, il faut viser la victoire contre la Russie lui répond Julien Théron, chercheur en sécurité internationale, enseignant à Paris-Sciences Po – PSIA.
Publié le 25-02-2023 à 15h53 - Mis à jour le 25-02-2023 à 17h37
Oui, c’est le moment d’un cessez-le-feu puis de négocier la paix. Dans ce climat anxiogène militariste, arrêtons les slogans et les simplismes binaires. Pour Mark Milley, chef d’État-Major des armées des États-Unis, une solution politique est possible. Avec Xi Jinping comme médiateur ?
Bernard Adam, fondateur et ancien directeur du Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la sécurité (GRIP)
La paix est-elle possible aujourd’hui ?
Oui et je me réfère à Mark Milley, le chef d’État-Major des armées des États-Unis. En novembre 2022, il constatait qu’après 9 mois de conflit le front s’était stabilisé en Ukraine – ce qui est toujours le cas – et qu’il était peu probable que les Ukrainiens puissent repousser militairement les troupes russes hors de la totalité des territoires qu’ils occupent. Les Ukrainiens étant en position de force – et ils le sont toujours – c’était le bon moment pour eux de rentrer en négociations avec les Russes. Il considère encore aujourd’hui qu’il peut y avoir une solution politique et un retrait des Russes. Et que si la paix apparaît possible, il faut tout entreprendre pour l’atteindre. Mais si les Ukrainiens continuent des actions militaires en vue de récupérer tous leur territoire d’avant 2014 (dont la Crimée), il y aura encore beaucoup de victimes. Ce général a ainsi comparé la situation en Ukraine avec la Première Guerre mondiale. Entre août et décembre 1914, il y eut un million de morts. La ligne de front était alors stabilisée, mais les protagonistes avaient refusé de négocier. Conséquence : la guerre a duré quatre ans et a causé 20 millions de morts. Aujourd’hui, avec près de 300 000 morts, le conflit en Ukraine est le plus meurtrier en Europe depuis 1945.
Quels sont pour vous les écueils principaux sur le chemin d’une possible paix ?
D’abord le climat anxiogène militariste, ensuite la banalisation de l’usage de la force pour la considérer comme la solution unique en vue d’obtenir la victoire. L’Histoire nous apprend les conséquences de ces deux facteurs. Depuis 1945, les États-Unis ont mené quatre grands conflits. La Corée, trois millions de morts, pas d’accord de paix, situation bloquée. Le Vietnam, 3trois millions de morts, défaite US et victoire communiste. L’Afghanistan, 254 000 morts, défaite US et victoire des talibans. L’Irak, 300 000 morts, pays dévasté par les crises et attaques terroristes. Nous sommes dans un climat anxiogène, trop sur l’actualité, trop sur les événements immédiats, nous manquons d’analyses globales. Regardez la façon dont on surestime, des deux côtés, la capacité des armées et des armements. Des Occidentaux donnent même l’impression d’avoir déjà gagné la guerre. “Oui il faut continuer les combats jusqu’à la victoire militaire”, clame-t-on des deux côtés. Et quand on demande d’arrêter les combats, on rétorque, “ça, c’est de la capitulation”. Arrêtons ces slogans et discours simplistes binaires et adoptons une approche plus fine et réaliste.
Faut-il continuer à armer l’Ukraine ?
L’armement est un élément de création du rapport de force. Oui il faut armer l’Ukraine parce qu’elle a le droit de se défendre. Pas pour poursuivre un objectif – aléatoire – de combat pour récupérer des territoires, mais dans un objectif de dissuasion pour signifier à Poutine que, s’il continue, il va perdre.
Pourquoi est-ce le bon moment de négocier ?
D’abord au vu des incertitudes (grande offensive russe) et – comme le dit le général Milley – parce qu’une victoire ukrainienne n’est pas garantie. Le rapport de force actuel est toutefois favorable à l’Ukraine. Poutine a déjà perdu 100 000 soldats, c’est l’échec militaire le plus meurtrier depuis 1945.
Concrètement, comment préparer cette paix ?
Avant de parler de paix, il y a l’urgence d’un cessez-le-feu. Il faut dans un premier temps freiner l’agresseur avec des tactiques psychologiques et créer un climat de confiance. Dixit Macron, ne pas humilier l’agresseur et lui laisser une porte de sortie permettront de le calmer et d’éviter une augmentation de sa fureur et des difficultés à l’arrêter. Le deuxième temps est de s’assurer qu’il ne recommencera pas une agression, d’où l’intérêt de déployer des armes. Entamer des négociations vient en un troisième temps. Oui, il faudra un jour juger et sans doute condamner Poutine, mais pas durant la négociation, sauf à tout bloquer. Avec Poutine ou avec son successeur ? Je suis le réalisme de Macron : son successeur sera sans doute pire, négocions avec Poutine tout de suite. Ensuite, il faut faire appel à une médiation. On a parlé d’Erdogan. Logiquement ce devrait être le Secrétaire général de l’Onu, António Guterres. Mais apparaît une troisième voie : Xi Jinping. Cet allié de la Russie n’a pas intérêt que la guerre continue. Et le président de la Chine est capable de convaincre Poutine. Piste annexe : des forces de paix (casques bleus ou autres) pourraient être déployées en cas d’un cessez-le-feu. Au niveau des négociations, le plan de paix en dix points des Ukrainiens sera mis sur la table mais ils n’auront pas gain de cause sur tout. Notamment sur la Crimée et sur le statut des régions du Donbass annexées par la Russie. On en revient aux accords de Minsk de 2014 que malheureusement Russes et Ukrainiens ont été incapables d’appliquer, et que la marraine Angela Merkel et le parrain François Hollande n’ont pas accompagnés jusqu’au bout dans ses applications. Bref, c’est le retour au point de départ.
Non, la paix ce n’est pas la cession d’une partie des territoires ukrainiens en guise de rétribution à un agresseur. Ce serait capituler et un précédent dans l’ordre international qui susciterait d’autres agressions dans le futur. La victoire est au bout du fusil.
Julien Théron, chercheur en sécurité internationale, enseignant à Paris-Sciences Po – PSIA. Auteur de “Poutine, la stratégie du désordre jusqu’à la guerre”
La paix est-elle, selon vous, possible ?
Non. Les autocraties conduisent des guerres sans les déclarer, voire en les niant comme ici, en appelant “opérations miliaires spéciales” un état de guerre. Premier problème, pour faire la paix encore faut-il que les acteurs reconnaissent qu’il y a une guerre. La Russie ne veut pas mettre fin à une guerre qui, pour elle, n’existe pas. Deuxièmement, la paix à quel prix ? Si l’Ukraine perd la moitié de son territoire, ce n’est pas la paix, c’est une reddition. Acceptera-t-on que l’Ukraine donne des territoires en rétribution de l’usage de la force par la Russie ? Ou n’accepterons-nous pas, pour l’Ukraine et comme règle générale ? Parce qu’aujourd’hui ce qui se joue est d’ordre international. Est-il possible d’accepter qu’un pays fasse usage d’une violence immodérée -qui sort complètement du droit international et humanitaire- pour s’approprier les territoires d’un état souverain ? Le but -et le danger- ici serait de créer un précédent. Beaucoup de puissances dans le monde regardent ce qui se passe en espérant une issue favorable pour la Russie afin qu’elles puissent s’emparer de territoires qui ne leur appartiennent pas. Des puissances dont la Russie elle-même vis-à-vis d’autres pays comme la Moldavie ou la Georgie dans le Caucase ou d’autres pays européens telles la Finlande et la Suède qui ne font pas encore partie de l’Otan.
Toute guerre doit bien finir un jour pour déboucher sur la paix ?
Qu’entendez-vous par la paix ? La paix est-ce l’arrêt des combats avec un cessez-le-feu, une situation de conflit gelé et donc un moyen de pression permanent de la Russie sur l’Ukraine ? La paix est-ce la capitulation de l’Ukraine avec la cession d’une partie de ses territoires en guise de rétribution à une puissance voisine coupable d’agression ? La paix est-ce offrir un précédent dans l’ordre international et susciter d’autres agressions dans le futur ? La paix n’est-ce pas le gouvernement démocratique ukrainien qui revient dans ses frontières légitimes et reconnues par la communauté internationale ? C’est selon moi le seul moyen d’assurer une paix.
Quels sont les obstacles que vous pointez sur le chemin d’un cessez-le-feu ?
Tant que la volonté politique produit les capacités militaires nécessaires à l’avancée sur le terrain, la victoire est au bout du fusil. Le risque est une volonté politique qui vacille ou une capacité militaire qui s’amenuise. On comprend ainsi l’importance des débats à l’Otan portant sur la relance de production de munitions d’artillerie.
Et côté russe, percevez-vous une ouverture ?
Non. Nous sommes dans une dynamique de confrontations depuis longtemps. Le Kremlin a transféré son risque militaire de défaite vers un risque politique sur fond d’une mobilisation partielle, d’une société radicalisée et des médias muselés. Il doit d’un côté augmenter son effort de guerre mais de l’autre casser notre effort de guerre via des éléments disruptifs. Dégarni de ses moyens de pression classique (diplomatie, espionnage, médias de propagande…) le Kremlin produit aujourd’hui de la peur. “Nous pouvons nous en prendre à vous directement” dit-il en agitant la menace nucléaire. L’Europe est également menacé via l’ingérence politique, des assassinats de dissidents, l’Agitprop, de la désinformation, par des incursions de sous-marins ou de centaines d’aéronefs russes. Ce n’est parce que nous soutenons l’Ukraine que nous pourrions avoir des ennuis ? Nous y sommes depuis longtemps confrontés.
Comment cette dynamique belliciste russe que vous décrivez pourrait-elle s’atténuer ?
Le problème est que le régime russe est dopé à la culture de la toute-puissance. Une idéologie structurée comme l’était celle du communisme fait partie du passé. Nous avons affaire à un système protéiforme avec des éléments plus religieux, d’autres plus nationalistes, et dont le commun dénominateur est cette culture de la force. Les “siloviki” - ‘force’en russe - à savoir les hommes issus de l’armée, de la police et des forces de sécurité représentent plus de 25 % de l’élite russe. C’est significatif.
Même pas un espoir à long terme ?
Ce régime pourra difficilement être détrôné. Aujourd’hui il a l’adhésion d’une population intoxiquée en termes informationnelle et a pris les moyens de rester au pouvoir. Quand on étudie les régimes nazis, de Milošević ou de l’État islamique, on voit que cette intoxication induit une inertie idéologique des populations. Répéter que l’Occident décadent veut détruire l’âme slave ou appeler à la militarisation de la jeunesse, cela va marquer la population russe sur un temps long.