Qui sont les jeunes qui ne veulent plus d’enfants ?
Sont-ils de plus en plus nombreux ? Assiste-t-on avec eux à un véritable phénomène de société ? Et quelles sont leurs raisons ? Analyse et témoignages.
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Publié le 11-03-2023 à 18h02
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“Mes enfants disent tous les deux qu’ils ne veulent pas avoir d’enfants. Ils sont très inquiets du futur, de toutes ces crises, de la guerre, du fait que la génération actuelle gagne moins que la précédente.” La confidence est faite par la princesse Esmeralda de Belgique dans La Libre du 4 mars dernier. Et elle ne serait pas la seule à pouvoir la tenir. Dans les conversations ou sur les réseaux sociaux, les jeunes qui ne veulent pas avoir d’enfants ou qui veulent “un enfant de moins” que ce qu’ils désireraient spontanément prennent davantage la parole. Et en général, ils engagent des débats serrés.
D’un côté, c’est l’argument écologique qui est souvent invoqué. Ainsi de l’éditorialiste américaine Lysa Hymas, fondatrice du mouvement Gink (acronyme de Green Inclination No Kid). Celle-ci explique que ne pas vouloir avoir d’enfant relève d’une démarche “humaniste”. Cela permet de réduire considérablement l’empreinte écologique de l’humanité et d’éviter la surpopulation mondiale. De l’autre, on retrouve des personnalités qui relativisent les risques de surpopulation planétaire, ou qui soulignent – ainsi du philosophe français Fabrice Hadjadj (auteur de l’ouvrage Encore un enfant aux éditions Mame) – qu’une naissance “n’introduit pas un nouvel objet [polluant], mais un nouveau sujet, à travers le regard et la liberté de qui tout peut être renouvelé”.
Les femmes qui ne souhaitent pas d’enfants sont plus nombreuses chez les femmes diplômées.
Au-delà de ces différents arguments, assiste-t-on à l’émergence d’un phénomène de société ?
“C’est très difficile à dire, car il y a peu d’études qui portent sur ce sujet de l’infertilité volontaire”, notent, chacune de leur côté, Sabine Henry, professeure de géographie et spécialiste de la démographie à l’Unamur, et Amélie Anciaux, sociologue à l’UCLouvain.
“Parler d’un phénomène de société me paraît audacieux, souligne en substance cette dernière. On évoque souvent ce souci de ne pas avoir d’enfant dans nos conversations tant il nous interpelle, mais on surestime sans doute son importance.”
“Pour estimer l’ampleur de ce courant, on peut s’appuyer sur l’étude française de 2010 intitulée Fecond et réalisée par l’Inserm et l’Ined (1), ajoute Sabine Henry. À l’époque, en France, sur l’ensemble de la population âgée de 30 à 49 ans, 5 % des personnes souhaitaient ne pas avoir d’enfant. Ce chiffre global confirme qu’il s’agit d’un phénomène marginal, et il est difficile d’affirmer qu’il est en forte croissance”, poursuit-elle.
D’après cette étude, 6,3 % des hommes et 4,3 % des femmes déclarent ne pas avoir d’enfant et ne pas en vouloir. Cette différence, lit-on dans l’étude Fecond, s’expliquerait parce qu’il serait sans doute moins stigmatisant pour les hommes d’assumer ce choix que pour les femmes, “étant donné les rôles encore assignés à chacun des sexes”.
Autre chiffre notable, relève Sabine Henry, les femmes qui ne souhaitent pas d’enfants sont plus nombreuses chez les femmes diplômées. “Ces femmes accordent une importante plus grande au fait d’être indépendantes, autonomes et libres, notamment pour développer leur vie professionnelle sans devoir la conjuguer avec une vie familiale, explique la géographe. Elles souhaitent sans doute davantage rejeter les valeurs traditionnelles du couple qui assignaient les femmes aux activités familiales et domestiques. Notons également que s’il n’y a pas de corrélation aussi importante chez les hommes entre le niveau du diplôme et la volonté d’avoir un enfant, c’est que la paternité pèse en général moins sur la vie professionnelle que la maternité.”
Au rayon des chiffres, notons que ce souhait de ne pas avoir d’enfant peut évoluer en fonction de l’âge et de l’état de vie. Ainsi, les personnes célibataires sont proportionnellement trois à quatre fois plus nombreuses à ne pas vouloir avoir d’enfant que les personnes en couples.
Des raisons diverses
Quelles sont les raisons qui expliqueraient ce choix ? “C’est encore plus difficile à dire et étudier, insiste Sabine Henry. Beaucoup de jeunes évoquent les enjeux écologiques. Mais s’agit-il des raisons les plus profondes ? On peut s’interroger. Ne pas avoir d’enfant est encore mal vu, surtout pour les femmes. Affirmer que l’on s’abstient pour des raisons écologiques est donc une manière d’avancer un argument qui passe bien.” L’étude Fécond avance d’autres raisons. Elle note que le souhait de rester libre, d’avoir des priorités autres que les familiales sont des explications récurrentes. “Le souci de favoriser son épanouissement personnel, dans une société des loisirs et qui met en avant la vertu d’autonomie n’est pas iconoclaste. En réalité, on peut penser que toutes ces raisons s’entrecroisent dans l’esprit des jeunes.”
“Enfin, conclut la chercheuse, chaque période de crises a une incidence sur le taux de natalité. Il n’est donc pas illogique de penser que le contexte actuel et notre avenir incertain pèsent sur le souhait de donner la vie.”
Quoi qu’il en soit, soulignent Sabine Henry et Amélie Anciaux, les “childfree”, aussi marginaux soient-ils, offrent encore au monde académique un champ à explorer.
Voudriez-vous encore des enfants? Voici vos témoignages
Vous êtes une centaine à avoir répondu à cette question posée sur lalibre.be. 58 % des internautes affirmaient que “non” il ne souhaitaient pas ou ne souhaiteraient plus avoir des enfants (ces chiffres n’ont évidemment pas valeur sondagière). Nous avons réunis ici quelques-uns des arguments le plus souvent évoqués.
“Ce serait égoïste”
“Étant donné notre incapacité à vivre dans les limites nécessaires à la soutenabilité de notre planète, avoir ses propres enfants me parait égoïste. Cela se ferait au détriment des êtres humains les plus vulnérables qui subiront de plein fouet les conséquences de l’incapacité de nos sociétés à nous autolimiter. Je préfère combler mes besoins de transmissions à travers le service à des humains déjà nés, voire par l’adoption.” Tom, 37 ans
“Je ne pourrais l’assumer”
“Alors que je sais le manque de gestion à long terme des ressources naturelles, je refuse devoir expliquer dans 30 ans à mes enfants que j’ai tout de même décidé de les avoir.” Florence, 35 ans
“Mes deux enfants me suffisent”
“J’ai déjà deux enfants. De plus, l’éducation et les soins d’un enfant représentent des charges de travail et financières importantes, et je ne souhaite pas accroître ces charges. Je préfère consacrer une somme d’argent afin de constituer une épargne à mes enfants. Les jeunes ont besoin aujourd’hui du soutien de leurs parents afin de pouvoir prendre leur autonomie. Surtout, je ne ressens pas le besoin d’un enfant de plus, ceux que j’ai m’apportent beaucoup. Ils me suffisent.” Arlette, 50 ans
“Nous ne suivons plus les schémas classiques”
“Notre génération fait face à de multiples difficultés qui peuvent mener à remettre en cause le désir d’avoir des enfants. Pour les générations précédentes, avoir des enfants allait de soi. Aujourd’hui, nous sommes davantage dans une société qui prône l’épanouissement personnel qui ne passe pas nécessairement par un schéma dit “classique” de maison-boulot-bébé-mari/femme. Dans mon entourage, nous sommes de plus en plus à ne plus ‘suivre’les schémas classiques. La cohabitation en “collocation” est préférée à la vie de couple en appartement. Le poly-amour, le couple libre et autres formes d’engagement sont préférés à la vie de couple monogame et au mariage, etc. Le fait de ne pas vouloir d’enfant est davantage normalisé et accepté. À cela, s’ajoutent les différentes craintes liées aux crises qui se succèdent, au changement climatique. Ces changements paradigmatiques sur la façon d’envisager le futur couplé à ces nouvelles anxiogènes remettent fortement en cause mon envie d’avoir – peut-être un jour – des enfants. D’autant que mettre des enfants au monde est une grande responsabilité. C’est d’ailleurs une des rares actions que l’on peut faire en tant que personne non pas pour soi mais pour les enfants eux-mêmes. Ne pas être certaine de pouvoir leur assurer un épanouissement et une vie heureuse suffit à remettre en question l’envie d’avoir un jour des enfants.” Zoé, 25 ans
“Ne renonçons pas à l’humanité”
“Choisir de fonder une famille, c’est choisir la vie. Renoncer à avoir des enfants, c’est renoncer à l’humanité, choisir la mort. Fonder une famille est le plus beau moyen de s’engager pour l’écologie, de manifester l’espérance, de faire grandir l’amour, d’habiter le monde créé, d’honorer sa beauté et son dynamisme. La famille est le noyau qui fonde toute société. Le monde traversera inévitablement des crises difficiles. Ne fermons pas les yeux. Dans ce contexte, la famille ne pourrait-elle pas alors se révéler comme cette source première dans laquelle l’humanité peut puiser pour les affronter ? Le lieu premier de l’expression d’une solidarité, d’une transmission d’une histoire, d’une culture, d’un espace de créativité ? Le futur effraie. Faut-il tout arrêter et mourir ? Quel est notre désir ? Qu’est-ce qui nous rend vivant ?” Marie, 29 ans
“Oui, pour qu’ils protègent le vivant”
“Mon espoir est justement que les générations futures parviennent à protéger le milieu dans lequel ils vivent. L’homme en tant qu’être incarné, doué autant de raison que d’esthétique doit être créateur de la beauté tout en s’émerveillant de la beauté de la nature qui l’environne. Renoncer à avoir des enfants à cause d’une ‘éco-anxiété’est un prétexte d’enfant irresponsable qui refuse de grandir. Avoir des enfants c’est devenir adulte, c’est répondre de soi et du futur, c’est risquer le pari de permettre un changement par l’éducation, de la transmission de valeurs saines, qui élèvent l’homme en tant qu’être capable de créativité et de raison, capable d’amour et de bienveillance au contraire de valeurs qui tendent actuellement à rabaisser l’Homme à un animal, pis même, à un bout de bidoche mené par de viles passions.” Sébastien, 43 ans
“J’ai confiance”
“Quand on entend tout ce qui se passe dans le monde, autant je suis inquiète pour mes enfants, autant ce sont eux qui me font avancer et ce qui rendent ma vie belle et intéressante. Les jeunes sont nés avec cette révolte en eux, j’ai confiance en la jeunesse. Oui, ce sont les jeunes qui vont nous sauver, alors ne nous empêchons pas d’avoir des enfants, et faisons confiance aux générations futures. Tout n’est pas fichu d’avance.” Charlotte, 49 ans