La Belgique est-elle prête à affronter d’importants feux de forêt?
L’incendie qui s’est déclenché en début de semaine dans les Hautes Fagnes relance cette question, cyclique : notre pays sera-t-il capable dans les décennies à venir de faire face à des incendies de grande ampleur ? Et nos forêts sont-elles suffisamment résilientes? Tentative de réponse avec un homme du feu et un expert ingénieur agronome.
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- Publié le 02-06-2023 à 11h28
- Mis à jour le 02-06-2023 à 11h29
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L’incendie qui s’est déclenché lundi après-midi dans les Hautes-Fagnes a détruit 170 hectares de végétation. Si le feu est désormais sous contrôle provisoire, le vent pourrait réactiver certains points chauds. L’occasion de s’interroger sur la capacité de notre pays à gérer ce genre de catastrophe, sur le plateau fagnard comme dans nos forêts.
Le pompier
Frédéric Lex, président de la Fédération des sapeurs-pompiers de Belgique
La Belgique est-elle prête à faire face à d’importants feux de forêt ?
Oui, notre pays est outillé pour affronter un important feu de forêt. Lorsque les pompiers de Belgique et la police fédérale unissent leurs forces, notre pays est en mesure de gérer un gros incendie de végétation. En revanche, s’il y a cinq feux de forêt de 150 hectares qui démarrent le même jour sur notre territoire, cela sera compliqué. Cela ne s’est toutefois jamais produit chez nous car nous n’avons pas la même végétation ni les mêmes étendues qu’un territoire comme la France par exemple. Dans le cas actuel des Hautes-Fagnes, on parle de 170 hectares de végétation qui sont partis en fumée. Ce n’est pas un petit feu, et la Belgique peut le gérer. En l’occurrence, nous avons reçu de l’aide de casernes allemandes, car elles se situent à quelques kilomètres seulement du lieu de l’incendie, mais ce sont des moyens terrestres que l’on aurait pu faire venir de Belgique.
Pour le reste, notre travail varie d’une forêt à l’autre, d’un type de terrain à l’autre. Certains sont facilement accessibles avec les véhicules classiques, d’autres comme les Hautes-Fagnes sont plus compliqués et nécessitent parfois exclusivement des moyens aériens pour parvenir à l’extinction.
Vous semblez donc optimiste quant à notre capacité à gérer un incendie de grande ampleur. D’autres avant vous étaient plus dubitatifs…
Sur le plan matériel, plusieurs zones de secours ont réalisé des investissements au cours de ces dernières années, notamment dans les véhicules “feux de forêt”. C’est le cas de la zone Luxembourg, des zones 2, 4 et 5 de la province de Liège et aussi de celle de la province d’Anvers. Il s’agit en fait d’investissements dans des véhicules tout-terrain qui permettent d’approcher au plus près des foyers. La police fédérale a pour sa part investi dans une poche à eau qui nous a été très utile à plusieurs reprises.
Sur le plan des moyens humains, les pompiers belges sont-ils suffisamment formés pour gérer d’importants feux de forêt ?
Oui, ils sont suffisamment formés. Un pompier qui démarre aujourd’hui a automatiquement reçu une formation sur les incendies en milieux naturels. C’est nouveau depuis quelques années, cela fait désormais partie de la formation de base du pompier. Cette formation est importante, car on ne gère pas un incendie de végétation comme on gère un incendie de bâtiment ou un incendie d’industrie. Par ailleurs, le pompier volontaire est une grande force en Belgique. Sur les 17 000 sapeurs-pompiers que compte notre pays, 11 000 sont des volontaires. Ces derniers ont un autre travail, mais se rendent disponibles lorsque c’est nécessaire. Ils se mettent au service de la population. Cette complémentarité entre les pompiers professionnels et les volontaires fonctionne bien dans notre pays.
À vous entendre, les troupes belges sont donc prêtes et en suffisance pour gérer une prochaine catastrophe d’ampleur ?
Cela reste compliqué dans toutes les zones de secours, car la tendance est aujourd’hui à l’économie : on réduit les effectifs les jours de garde, on ne remplace pas les personnes qui partent à la pension. Je ne dis pas que tout est rose, mais je le répète : je suis convaincu que les pompiers belges couplés à la police fédérale peuvent maîtriser un important feu de forêt sur notre territoire.
L’agronome
Mathieu Jonard, chercheur à l’Earth and Life Institute, professeur à la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain et spécialiste de l’impact du réchauffement climatique sur les forêts
Nos forêts belges vont-elles être davantage soumises au risque d’incendies de grande ampleur dans les décennies à venir ?
Les incendies font partie des menaces qui pèsent aujourd’hui sur nos forêts au même titre que les sécheresses, les vagues de chaleur, les attaques de ravageurs, les nouvelles maladies ou encore au même titre que des espèces invasives. Et on doit se préparer à un risque accru de menaces de différentes natures.
Ceci étant, il existe une grande incertitude sur ce qu’il va se passer dans les années à venir. Nous entrons dans une ère de perturbations et de turbulences. Ce que l’on sait, c’est que les températures vont augmenter, que le climat va se réchauffer. Nous ignorons toutefois avec quelle ampleur ce phénomène va se déployer. Ce que l’on sait également, c’est que la manière dont l’humanité va répondre en termes de trajectoire d’émissions de CO2 va influencer l’intensité du réchauffement climatique. Par ailleurs, il persiste une incertitude encore plus importante quant à la manière dont les précipitations vont évoluer. Avec des hivers qui pourraient être plus pluvieux et des étés plus secs, la situation s’avère encore plus incertaine.
En réalité, vivre dans un climat un peu plus chaud n’est en moyenne pas problématique pour la forêt. Ce qui l’est beaucoup plus par contre, ce sont des pics de chaleur plus intenses surtout lorsque ceux-ci sont combinés à une sécheresse. Cela peut alors créer des pertes de vitalité, une sensibilité accrue aux ravageurs et aux maladies et de la mortalité chez les arbres.
Dans son histoire, la Belgique n’a jamais dû gérer de front plusieurs incendies de grande ampleur. Est-ce lié à la composition de nos forêts ?
Oui, normalement, nous n’avons pas une végétation qui se dessèche en été. Ce qui, a contrario, est par exemple le cas de la végétation méditerranéenne (le maquis, la garrigue). Toutefois, on ne peut pas exclure que les conditions puissent être un jour réunies chez nous pour que se déclenche un incendie de plus grande ampleur que ce que l’on a déjà connu sur notre territoire si, après une vague de mortalité importante notamment liée à un ravageur, une sécheresse prolongée survenait (cf. la présence d’une grande quantité de bois sec). Ceci est vrai pour la forêt wallonne.
Pour les Hautes-Fagnes, la sensibilité aux incendies est sans doute encore plus grande, essentiellement pour des raisons liées à la composition de la végétation. Au sortir de l’hiver, cette dernière qui s’assèche peut facilement prendre feu.
Certaines espèces réagissent mieux que d’autres aux pics de chaleur et à la sécheresse…
Oui, c’est exact. Et à partir du moment où nous savons que le risque assez clair est de se rapprocher d’un climat plus chaud et plus sec, la question est de savoir comment nos espèces vont réagir. Encore une fois, tout cela va dépendre de l’ampleur du phénomène du réchauffement climatique que nous ne sommes pas en mesure de connaître.
Que faire alors pour se prémunir contre d’importants feux de forêt malgré ces incertitudes ?
Il faut tenter de renforcer la résilience de nos forêts en augmentant la diversification des espèces, notamment celles qui sont plus résistantes à la sécheresse. Par “résilience”, on entend la capacité à récupérer un fonctionnement normal après une perturbation. Cette diversification passe par la plantation de nouvelles espèces, mais également par la régénération naturelle. Il s’agit d’avoir des peuplements d’âges différents : si les arbres adultes sont endommagés par une perturbation, les plus jeunes peuvent prendre le relais.
En renforçant la résilience de nos forêts, on se prémunit contre un risque que l’on ne maîtrise pas. C’est un peu comme lorsque l’on place de l’argent en Bourse : on a des actions d’un côté et des obligations de l’autre, il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier.